Un ministère en charge des territoires, pourquoi faire ?

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Un ministère en charge des territoires, pourquoi faire ?

Le nouveau gouvernement comporte un ministère de la cohésion des territoires. Le décret d’attribution du ministre indique qu’il concentre les compétences jusque-là dispersées du logement, de l’urbanisme et de la planification territoriale, de la politique de la ville et de l’aménagement du territoire. Il s’occupe également des zones littorales, rurales ou de montagne et d’accès aux services publics, y compris aux équipements de santé. Certaines attributions sont moins concrètes : le ministre « veille à l’accompagnement des territoires dans leur développement et à la réduction des inégalités territoriales » ; « il coordonne les initiatives en faveur de la cohésion économique et sociale des territoires, de leur attractivité et du développement économique ». Il participe au dialogue avec les collectivités locales et il agit en lien avec le ministre de l’intérieur pour que la politique à l’égard des collectivités territoriales renforce la cohésion nationale. Ce sont des objectifs, pas une feuille de route.

Des inégalités territoriales qui se creusent

Les constats se sont multipliés, à l’occasion de l’analyse des votes à la présidentielle, sur la fracture entre deux France, une France riche des métropoles et une France des zones rurales et du périphérique éloigné des villes, qui se sentirait abandonnée. Le rapport « Emploi et territoires » publié en 2016 par l’Observatoire des territoires[1] reconnaît ces inégalités mais complexifie l’approche, montrant qu’il existe deux niveaux de disparités territoriales :

  • Au niveau régional, de vastes espaces en déclin démographique et économique (Centre, Nord-est, Normandie) contrastent avec des régions du Sud et de l’ouest à la fois attractives démographiquement et économiquement dynamiques. L’évolution du PIB par habitant entre ces deux grandes parties de la France témoigne du décrochage de régions entières, en particulier les anciennes régions industrielles. Les indicateurs de santé, d’éducation, de niveau de qualification y sont également mauvais. Le rapport note que « la géographie du chômage est de plus en plus stable » : autrement dit, les inégalités datent de longtemps, d’avant la crise de 2008 en tout cas ;
  • La deuxième grille de lecture des inégalités se situe entre les grandes métropoles, qui concentrent depuis 1975 une forte croissance de l’emploi, et les espaces périphériques les plus éloignés, notamment les couronnes des petits pôles urbains. Dans les grandes aires urbaines, se concentrent les professions qualifiées du tertiaire supérieur, les capitaux, les réseaux de transport, les équipements de recherche et de soins et les universités, synergie qui attire l’emploi et la richesse. Reste, pour faire le lien avec les inégalités régionales, que toutes les grandes aires urbaines ne sont pas logées à la même enseigne : celle qui ont progressé le plus sont situées au sud et à l’ouest de la France et, dans ces régions, de petites aires urbaines qui n’ont rien de métropoles sont également très dynamiques. Le contexte régional n’est pas en effet anodin : selon certains géographes, la « métropolisation » recouvrirait, au-delà des effets de densité et de concentration mentionnés supra, la capacité à tisser des liens avec un territoire qui aurait des effets positifs bien au-delà des grands pôles urbains.

Quelle politique d’aménagement du territoire ?

Sur le fondement du constat ci-dessus, qui ne conclurait que la politique d’aménagement du territoire a échoué ? Mais, à vrai dire, quelle est la politique ?

Dans un chapitre du livre « L’Etat de la France »[2], les géographes Daniel Béhar et Philippe Estèbe dressent l’histoire des politiques suivies, des années 60 où l’Etat était « aménageur » aux années 70 à 90, où il choisit de passer systématiquement contrat avec des collectivités qui deviennent chargées du développement territorial, puis aux années 2000 où il s’inquiète d’une croissance atone et lance des pôles de compétitivité et des plans campus pour contraindre au regroupement des moyens : c’est aussi dans cette période qu’il veut « rationaliser » la carte des hôpitaux et des tribunaux pour une meilleure efficience, au détriment de la proximité et de l’équité territoriale.

En 2012, la création d’un « Commissariat général à l’égalité des territoires » renverse les choix : pour autant, malgré des ambitions de départ fortes (permettre un accès de tous aux services publics, en y intégrant Internet, accroître la solidarité financière entre collectivités et donner à chaque territoire les moyens de son propre développement), le bilan est modeste : si l’on met à part la distribution des aides européennes et celle des contrats de plan (dont on a du mal à comprendre pourquoi, après le bilan calamiteux dressé par la Cour des comptes en 2014[3], ils ont été reconduits), restent un Pacte Etat-Métropoles, qui encourage l’innovation, des aides à l’installation d’entreprises dans certaines zones, des contrats de ruralité qui subventionnent la revitalisation des centre-bourgs ou certains équipements et une loi Montagne (loi du 28 décembre 2016) qui satisfait les élus concernés. Restent aussi des réformes territoriales qui ont décidé la généralisation d’intercommunalités plus grandes (15000 habitants minimum), enrichi les compétences des Régions dans le domaine économique et l’aménagement du territoire, donné également des responsabilités aux métropoles, qui définissent avec la région les orientations applicables sur leur territoire. Pour autant, les Régions restent des nains financiers et sans doute politiques, sans autonomie fiscale.  Plus traditionnelle que révolutionnaire, la politique d’aménagement du territoire des années 2012-2017 connaît des réussites locales mais ne fait que pallier certains manques. Elle ne comble pas en tout cas les écarts structurels.

Refuser la sélection des territoires

Le double choix de l’Etat de soutenir d’un côté le développement des métropoles et, de l’autre, de compenser les handicaps de régions défavorisées fait l’objet de débats, notamment de la part du Conseil d’analyse économique[4], qui conseille plutôt de concentrer les aides sur les métropoles, territoires dynamiques, porteurs de croissance, quitte à créer dans les zones les plus déshéritées les conditions favorables à l’implantation des entreprises en réduisant les inégalités de santé, d’éducation et de formation. L’organisme France-Stratégie, soulignant que la politique actuelle ne poursuit pas des objectifs clairs et repose sur un système d’aides confus voire contradictoires, partage cet avis[5].

Toutefois, une telle politique est difficile à plaider : l’on acte quasiment du fait que certains territoires sont perdus, sauf à donner davantage de moyens éducatifs. L’argument selon lequel les inégalités de revenus seront réduites par les transferts sociaux et la répartition de l’emploi public (c’est déjà le cas, comme le montre France Stratégie) a une portée limitée : les populations ne s’en contentent pas, elles veulent du travail, elles veulent être insérées dans l’évolution du pays, pas être reléguées ou assistées.

Mesurer les difficultés et changer de méthode

En même temps, la politique traditionnelle d’aménagement des territoires qui engageait des projets, réalisait des infrastructures de désenclavement, offrait des primes à l’installation d’activités est dépassée : l’Etat n’a plus les moyens d’investir comme auparavant. Surtout, ce qui compte désormais, dans un contexte de concurrence mondiale plus âpre, c’est davantage la nature des activités et la qualification des personnes. Une note de l’Observatoire des territoires[6] montre combien les niveaux d’éducation varient d’une région à l’autre. En 2013, en France métropolitaine, 44,1 % des 30-34 ans disposent d’un diplôme de l’enseignement supérieur, mais cette proportion varie de 32 % en Corse à 52,2 % en Île-de-France. À une échelle plus fine, les disparités sont encore plus marquées. Le rattrapage des régions en déclin en est rendu plus difficile : il ne suffit pas de faire des investissements ou d’attirer des activités : les actifs ne sont pas adaptés. De même, en milieu rural, la qualité des produits est souvent trop faible alors que la France ne peut pas concurrencer les pays à bas coûts. Le CAE a en partie raison : il faut mettre le paquet sur la qualification.

Autre faiblesse structurelle, la mauvaise articulation des compétences entre l’Etat, les collectivités et la population. Le seul travail qui tente de proposer un nouveau cadre à la politique d’aménagement du territoire, le rapport Lebreton [7],  n’insiste que sur l’évolution de la gouvernance : il prône la co-construction d’une nouvelle politique avec des collectivités territoriales mobilisées, autonomes et responsables, un abandon du zonage, un changement de méthode en se dotant partout, sur le fondement d’une analyse du territoire, de programmes pluriannuels d’actions. C’est sans doute la voie à suivre : il est douteux que le pouvoir qui arrive en soit conscient.

Au final, l’Etat peut-il empêcher les inégalités territoriales de se creuser ? Reste, à partir du constat de l’échec actuel, à établir une feuille de route. Que va faire le ministre ? S’il annonce vouloir accélérer le plan haut débit, freiner les fermetures de classe et encourager l’installation des maisons de santé, il enfilera les pantoufles du pouvoir précédent. L’on redécouvrira alors, lors des prochaines élections, les fractures territoriales non traitées.

Suzanne Maury, IGAS, enseignante à l’IEP et à l’IRA de Lyon

[1] L’Observatoire des territoires dépend du Commissariat général à l’égalité des territoires, structure publique dont la mission est « la lutte contre les inégalités territoriales et le développement des capacités des territoires ».

[2] L’Etat de la France 2013-2014, collectif, Editions La découverte, 2013

[3] Les contrats de plan Etat régions, Cour des comptes, 2014 : la Cour indique que le cadrage stratégique des contrats est déficient et les priorités trop nombreuses.

[4] Promouvoir l’égalité des chances à travers le territoire, Conseil d’analyse économique, février 2015

[5] Dynamiques et inégalités territoriales, enjeux, France Stratégie, juillet 2016

[6] Qualité de vie, habitants, territoires, CGET, 2014, partie Développement durable

[7] Une Nouvelle ambition territoriale pour la France en Europe, Claudy Lebreton, 2016