Moralisation de la vie publique : les faiblesses du projet

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Moralisation de la vie publique : les faiblesses du projet

Les deux projets de loi « rétablissant la confiance dans l’action publique » (loi organique et loi ordinaire) déposés par le gouvernement au Parlement vont contribuer à la lutte contre la corruption, éviter que l’argent public ne serve des intérêts privés et inciter le personnel politique à sortir d’une culture de l’impunité.  Mais ils sont loin d’être parfaits, pas seulement à cause de leur titre prétentieux.

Les projets règlent correctement quatre questions, l’emploi d’un membre de la famille, l’inéligibilité en cas de cas de manquements à la probité, la transformation de l’indemnité représentative des frais de mandat versée aux parlementaires, la suppression de la réserve parlementaire. Cependant, sur deux autres points déterminants, les conflits d’intérêts des parlementaires et le financement de la vie politique, les lois ne prennent pas la question à bras le corps.

Interdiction des emplois familiaux, extension des cas d’inéligibilité, transformation de l’indemnité représentative de frais de mandat : des solutions correctes  

L’interdiction d’employer un membre de sa famille touche, au-delà des parlementaires, le Président de la République, les membres du gouvernement et les exécutifs locaux, ce qui est bien. La loi n’en profite pas cependant pour régler le statut des assistants parlementaires qui devraient être employés en CDD de longue durée par le Parlement, avec contrôle de leur embauche et de leurs conditions de rémunération. C’est dommage.

Les juridictions répressives devront désormais prononcer, sauf décision motivée, une peine complémentaire d’inéligibilité lors des condamnations pour les crimes et pour les délits considérés comme des manquements à la probité, ceux, pour l’essentiel, qui sont du ressort actuellement du Parquet national financier. La disposition n’est pas nouvelle : la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique avait déjà fixé une liste d’infractions pour lesquelles une peine complémentaire d’inéligibilité devait être prononcée par le juge, sauf décision motivée. La liste des délits pris en compte sera désormais plus longue et touchera tous les domaines, marchés publics, trafic d’influence, questions fiscales et électorales, financement des partis, obligations de déclaration à la Haute autorité… Passons sur le regret qu’un casier judiciaire chargé ne puisse pas être automatiquement cause d’inéligibilité : l’étude d’impact du projet de loi rappelle que le Conseil constitutionnel demande qu’une décision de justice explicite prononce cette peine, au nom du principe de nécessité et d’individualisation des peines. Pour autant, sur un point, la loi aurait pu être plus sévère : le Code pénal prévoit aujourd’hui que la durée de privation des droits civiques (dont fait partie l’inéligibilité) ne dépasse pas 5 ans pour un délit, 10 ans pour un crime, durée qui ne peut être dépassée que pour les personnes exerçant, au moment des faits, des fonctions électives ou en tant que membres du gouvernement. Sans doute aurait-il fallu prévoir une durée plus longue même pour les citoyens ordinaires, afin que toute personne ayant commis un acte malhonnête ait du mal à se faire élire.

Quant à la transformation de l’indemnité représentative de frais de mandat des parlementaires (qui couvre jusqu’ici, forfaitairement, les coûts résultant de l’exercice des fonctions parlementaires, comme les frais de permanence ou de personnel) en un remboursement de frais constatés, elle va dans le sens d’un meilleur respect de l’argent public : les Assemblées définissant désormais le plafond, il faudra toutefois veiller à ce que celui-ci reste convenable.

Enfin, la suppression de la réserve parlementaire se veut le symbole de la fin du clientélisme local des parlementaires et de l’achat de voix.

 La prévention et la gestion des conflits d’intérêts : une réforme décevante et alambiquée

 Pour regagner la confiance publique, une gestion rigoureuse des conflits d’intérêts est la mère de toutes les batailles.

La loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique en donne une définition : « Constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».  Le conflit d’intérêt n’est pas un délit (c’est, pour un responsable public, la situation la plus courante qui soit), mais il peut y conduire si la personne arbitre en faveur d’intérêts privés parce qu’elle est corrompue ou y trouve un profit indirect. Plus simplement, le conflit d’intérêt peut conduire à des indélicatesses et à un détournement du sens de la fonction exercée : c’est le cas lorsqu’un parlementaire soutient un amendement dicté par un lobby ou pèse sur le choix du titulaire d’un marché. Dans ce cadre, la répression pénale est inopérante et seule la prévention, voire même l’arbitrage de for intérieur, permet de sauvegarder la morale publique. C’est dire si la réglementation du conflit d’intérêts est difficile : ce qui compte, c’est plutôt la culture et la morale dominantes. Or, jusqu’à présent, la France ne s’est manifestement pas éloignée des pratiques complaisantes longtemps en vigueur : l’exemple de F. Fillon et, plus récemment, de F. Bayrou montre que le caractère répréhensible de certaines pratiques n’est même pas compris.

Pour lutter contre les conflits d’intérêts, les lois de 2013 ont soumis les décideurs publics, parlementaires, membres du gouvernement, dirigeants de collectivités territoriales, hauts fonctionnaires et agents publics ayant de hautes responsabilités (membres des AAI ou de cabinets ministériels) à obligation de déclaration d’intérêts et de patrimoine, contrôlées par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Cependant, à la différence des autres responsables publics, tenus de s’abstenir de prendre part à une décision lorsqu’ils estiment se trouver en situation de conflit d’intérêts (“système de déport”), les parlementaires sont restés régis par des règles définies par le bureau de chaque assemblée parlementaire après consultation de l’organe chargé de la déontologie parlementaire. L’on a vu ce que donnait ce choix lors de l’affaire Fillon : le bureau de l’Assemblée nationale a édicté de jolies règles et n’a jamais interrogé le député ni sur l’emploi d’une épouse que personne ne voyait jamais ni sur ses activités de conseil. Consulté cet hiver sur la situation de F. Fillon, le déontologue de l’Assemblée nationale, par ailleurs professeur de droit constitutionnel à l’université, a estimé qu’il n’y avait pas là de conflit d’intérêts, ce qui surprendrait sans doute un enfant de 4 ans.

Les projets de loi rétablissant la confiance publique tentent de progresser sur ce point mais, dans un contexte marqué par la séparation des pouvoirs et par une décision effarante du Conseil constitutionnel, qui trouve tout à fait normal qu’un parlementaire gagne de l’argent en conseillant des intérêts privés[1], ils y parviennent mal : certes l’obligation de déport est étendue aux parlementaires, qui devront désormais « veiller à faire cesser immédiatement » un conflit d’intérêt dans lequel ils pourraient se trouver. Un registre sera tenu des cas où ils s’abstiendraient pour cette raison de prendre part aux débats (il va rester mince). Mais il appartiendra toujours aux Assemblées de définir les règles permettant de prévenir et de faire cesser les conflits d’intérêts. L’entre-soi risque de favoriser le maintien d’un état d’esprit tolérant, là où il faudrait de l’inflexibilité.

Quant aux activités de conseil, les progrès sont limités et tortueux : depuis 1995, il n’est plus possible de commencer en cours de mandat une activité de conseil sauf pour les parlementaires issus de professions libérales (ils sont 65 dans la nouvelle Assemblée). Désormais il y aura incompatibilité entre le mandat parlementaire et la direction d’une société de conseil dès lors que celle-ci s’adressera à des entreprises susceptibles d’être liées à l’action publique (la direction d’une société de conseil destinée à des entreprises strictement privées reste donc permise, et c’est surtout là que se nichent les conflits d’intérêt) ; il sera en outre interdit en cours de mandat de prendre le contrôle d’une société de conseil (mais on peut la garder si la prise de contrôle s’est effectuée avant). Enfin, pour poursuivre à titre individuel une activité de conseil pendant un mandat parlementaire, il faudra l’avoir commencée plus d’un an avant d’être élu : c’est vraiment la politique des tout petits pas.

Peut-être ne pouvait-on aller plus loin, même s’il serait opportun d’expliquer au Conseil constitutionnel qu’un revirement de jurisprudence serait de bon aloi. Au final, aucun progrès significatif n’est enregistré sur la gestion des conflits d’intérêt des parlementaires. Le projet aurait pu attaquer à la question des conflits d’intérêts d’une autre manière, en imposant par exemple plus de transparence aux interventions des lobbies et en rendant publics les documents remis et les compte-rendu de réunions dans lesquels interviennent leurs représentants : il ne l’a pas fait.

Le financement des partis : rien

Ni la séparation de l’ordonnateur et du comptable dans les partis ni la certification des comptes par la Cour des comptes pour les partis dont les ressources excèdent un certain seuil et qui reçoivent l’aide publique, prévus dans le projet d’origine, n’ont résisté aux critiques du Conseil d’Etat : celui-ci a jugé que la première disposition imposerait des contraintes excessives à des organismes auxquels la Constitution garantit la possibilité d’exercer librement leur activité. Il ne s’agissait pourtant que d’une disposition sur l’organisation interne des partis, justifiée par le financement public qu’ils reçoivent et qui n’altérait pas le libre exercice de l’activité politique. La seconde disposition a été récusée par le Conseil d’Etat au motif que la certification des comptes est une activité marchande et que les motifs d’intérêt général ne sont pas suffisants en l’occurrence pour confier à la Cour des comptes un monopole de contrôle. Que ceux qui considèrent que des partis politiques, vivant avec de l’argent public, devraient être contrôlés par des organismes publics, se taisent.

Ne restent donc dans le projet que quelques dispositions encadrant les prêts dont bénéficient les partis et leur imposant des règles comptables supplémentaires, ainsi qu’un projet d’ordonnance pour leur faciliter l’accès au crédit.

Les associations de lutte contre la corruption ont toutes regretté la pauvreté de ces dispositions et l’absence de toute réglementation des micro-partis qui permettent de détourner les règles de plafonnement des dons.

Les lois rétablissant la confiance publique vont-elles y parvenir ? Elles permettent d’avancer, c’est indéniable, et surtout contribuent à imposer certains thèmes dans le débat public. Pour autant, malgré les avancées, il reste du travail à faire.

Suzanne Maury, IGAS, enseignante à l’IEP et à l’IRA de Lyon

 

 

 

 

 

[1] Selon la décision 2013-675 DC, l’interdiction d’une activité de conseil pour les parlementaires, sauf pour les professions libérales qui auraient commencé cette activité avant le début de leur mandat, excède manifestement ce qui est nécessaire « pour prévenir les risques de confusion ou de conflits d’intérêt » et est donc contraire à la Constitution.