La PMA pour toutes?

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La PMA pour toutes?

Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) vient de rendre un « avis sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation » (PMA dans le langage courant). Le contexte de l’avis est particulier et son importance est indiscutable, notamment dans la perspective de la révision des lois bioéthiques prévue en 2018. Son contenu est curieux au point que l’on doute en le lisant de la qualité de la réflexion du Comité. Enfin, l’on pressent que la décision sera conflictuelle, même si l’avis du Comité lève un obstacle en allant dans le sens de la libéralisation.

Le contexte et l’enjeu

Le Comité a été saisi sur ce sujet il y a plus de 4 ans par François Hollande, le 28 mars 2013. Celui-ci, dans un contexte troublé par les débats sur le mariage pour tous (la loi a été promulguée le 17 mai 2013) a jugé plus prudent de conditionner la promesse qu’il avait faite pendant la campagne présidentielle 2012 d’accorder la PMA à toutes les femmes à un avis favorable du CCNE. L’avis, promis pour quelques mois après, a été retardé à plusieurs reprises, ce qui n’a pas déplu au Président de l’époque, qui a jugé sans doute qu’il avait suffisamment contribué aux « demandes sociétales » et a préféré éviter d’affronter les foudres des associations catholiques pour une question qui devait lui paraître de faible importance[1]. E. Macron, qui s’est déclaré pendant la campagne de 2017 favorable à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, a promis d’attendre l’avis du CCNE. Du coup, l’avis arrive, 4 ans après la demande.

 

L’enjeu de l’avis n’est pas anodin : depuis la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, l’article L2141-2 du Code de la santé publique réserve l’assistance médicale à la procréation aux couples hétérosexuels infertiles en âge de procréer, vivant ensemble, y consentant conjointement, en dehors de toute requête de divorce. Accéder à la demande des femmes célibataires ou en couple homosexuel d’avoir accès à la PMA en changerait le sens : d’acte médical remédiant à une pathologie, elle deviendrait une réponse à une demande « sociétale », un désir d’enfant pur, sans justification médicale. C’est bien pour cela, dira-t-on, que l’on a besoin d’une réflexion éthique car, tant qu’il s’agit de soigner, il n’y a sans doute pas beaucoup de débat. Pourtant, si 11 membres du Comité se sont prononcés pour le statu quo, c’est parce que la médecine, selon eux, ne doit s’occuper que de pathologies. Si « elle est sollicitée pour répondre à toutes les formes de souffrance », dit l’avis minoritaire joint au rapport, elle va au-delà de ses missions traditionnelles, ce qui n’est pas souhaitable. Le rapport lui-même craint que la relation au médecin ne change si les praticiens s’éloignent de leur spécificité qu’est le soin… La position est fascinante : elle témoigne d’abord d’une conception étroite (et erronée) de la médecine et surtout d’une étonnante absence de réflexion de certains membres du Comité sur leur rôle : ils n’ont pas à être le gardien des frontières professionnelles en assimilant au soin tout recours à des techniques médicales. Leur mission fondamentale est d’examiner des demandes sociétales qui précisément ne relèvent pas de pathologies et qui ont pourtant un volet médical, l’IVG, la fin de vie, le respect des volontés des malades, le recours aux tests génétiques, la conservation des ovocytes, la GPA… L’enjeu de la décision est donc bien là d’abord : la PMA est-elle un acte de soin ? Si oui, il n’y a pas de débat d’éthique et tout est fermé.  Ou est-elle une réponse à un désir d’enfant ? Alors, un débat éthique se pose et tout est ouvert.

Le contenu de l’avis

La presse a relaté que l’avis du CCNE à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes était favorable. La réalité est plus nuancée : à la lire précisément, la conclusion indique que la majorité des membres du CCNE « ne formule aucune opposition » à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. De fait, la réponse du rapport manque non seulement d’enthousiasme mais surtout de clarté.

Avant d’en venir au fait, le Comité avance des considérations qu’il pense « de nature à éclairer la réflexion éthique » : quelques pages sont donc consacrées aux conséquences du progrès scientifique, qui a créé des « disjonctions » entre sexualité et reproduction, entre procréation et gestation, entre transmission génétique et filiation, voire, dans le cas de la conservation des ovocytes, entre la personne et des éléments de son corps[2]. Le rapport souligne que toute décision en ce domaine concerne un ensemble relationnel, médecin, donneur, enfant, société…Certes, mais est-ce ici le sujet ? La contraception existe, la PMA aussi, la conservation des ovocytes également, la question est de savoir si on étend certaines de ces pratiques à des publics qui n’y ont pas accès aujourd’hui. La réflexion éthique est insupportable quand elle philosophe dans le vide et s’engage par une sorte de lamento sur les risques des évolutions scientifiques, sans d’ailleurs en tirer aucune conclusion.

Après cela, le rapport énumère (et semble reprendre à son compte) tous les arguments défavorables : l’absence de père est au centre, absence de père juridique et absence de figure masculine, sachant que le père représente, selon les rédacteurs, « la première expérience de l’altérité et de la différenciation sexuelle ». La monoparentalité renforce cette absence car les couples de femmes au moins offriront une disponibilité complémentaire. De plus, ouvrir à toutes le recours à la PMA, ce serait changer la mission des médecins. En outre, les gamètes sont rares et déjà les délais d’attente très longs, on va mettre en concurrence des couples hétérosexuels et les autres…A la fin, après 8 pages d’arguments hostiles, un avis « non défavorable » arrive, plaidé au nom de l’autonomie de décision des femmes, de l’évolution de la mission des médecins et du fait que l’enfant devrait parvenir à se construire même dans des configurations peu propices (on table sur sa résilience). Les conditions posées sont toutefois que le don de gamètes reste gratuit et que l’acte ne soit pas remboursé par l’assurance maladie. Les arguments favorables et défavorables sont alignés côte-à-côte, le doute au final semble prévaloir sur une conviction ferme et la conclusion paraît forcée, comme si elle allait aux rebours de la conviction profonde du Comité.

Qu’en penser ?

 En premier lieu, la réflexion ici doit-elle être seulement éthique ? Nous vivons dans un monde ouvert : que la Belgique et l’Espagne acceptent de donner suite aux demandes de PMA de Françaises et que cela crée des inégalités entre femmes pèsent nécessairement sur la décision à prendre. La meilleure lutte contre la marchandisation (des actes médicaux ou des gamètes), c’est une loi ouverte qui permet de ne pas aller chercher à l’étranger un service marchand.

De plus, le législateur français doit faire preuve de logique : à partir du moment où il a donné aux couples homosexuels le droit d’adopter un enfant (droit reconnu par ailleurs, depuis toujours, aux hommes et femmes célibataires), la réflexion sur la PMA semble d’arrière-garde : si l’absence de père (ou de mère…mais on en parle moins) apparaît comme dirimante, il ne fallait pas en accepter le principe lors de précédents votes. En tout cas, aucun des pays européens qui ont légalisé le mariage entre couples de même sexe n’interdit la PMA aux couples de femmes, par pure logique.

Restent les divergences d’opinion sur la qualité de vie familiale et personnelle offerte aux enfants dont le père est non seulement absent mais inexistant ou quasiment. La sociologue Irène Théry fait mention de centaines d’études scientifiques sur le bon développement des enfants qui ont grandi dans des familles homoparentales. Le rapport du Comité d’éthique sème au contraire le doute : il comporte une annexe intéressante sur les études portant sur ces enfants, qui montre la difficulté de conclusions univoques tant est grande l’hétérogénéité des situations. Par ailleurs, il n’existe pas d’études sur le point spécifique des enfants issus de PMA. Est-ce que ce doute, non pas sur l’amour porté aux enfants mais sur la complétude de la famille lorsqu’elle est homosexuelle, suffit à fermer la PMA aux femmes qui le demandent ? Sans doute non car il est fragile et s’adosse sans doute à des convictions acquises par la tradition. De même, peut-on rejeter un « projet monoparental », même si ce n’est pas un projet enthousiasmant pour un enfant, sachant qu’il suffit aujourd’hui de vouloir le concrétiser pour le pouvoir ?

On aurait aimé que le Comité d’éthique engage une vraie réflexion sur tous ces points au lieu de tricoter de l’abstraction et de bâtir un argumentaire boiteux qui dit à la fois blanc et noir. La question de la PMA n’est pas sans risques, comme l’avait bien compris F. Hollande en 2013. Si, selon un sondage BVA réalisé pour la DREES en mars 2017, 60 % des Français sont favorables à la PMA pour tous, les membres du clergé, les associations familiales catholiques et les tenants de la Manif pour tous vont attiser les conflits et tenter de revenir sur le choix de reconnaître l’amour homosexuel. Toute une frange haineuse va se réveiller. L’absence d’une parole éthique forte n’aidera pas à apaiser le débat.

Suzanne Maury, IGAS, enseignante à l’IEP et à l’IRA de Lyon   

 

 

 

[1] « L’Elysée préfère freiner sur les questions éthiques », Le Monde, 26 mai 2013

[2] Le rapport ne porte pas que sur la PMA mais aussi sur la conservation des ovocytes et la GPA