Vaccinations, un dossier bien mal mené

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Vaccinations, un dossier bien mal mené

Un projet de loi doit être déposé à la rentrée pour rendre obligatoires 11 vaccinations au lieu de 3[1], annonce qui suscite de vigoureuses réactions d’une « galaxie » d’opposants très diverse, comportant des particuliers, des médecins et des associations[2], dont la plupart ne se présentent pas comme hostiles à la vaccination mais réclament le libre choix.

La nouvelle ministre de la santé, Agnès Buzyn, fait valoir des arguments : le statut différent donné aujourd’hui à 3 vaccinations obligatoires (qui protègent contre des maladies graves mais désormais peu fréquentes) et à 9 vaccins « recommandés », qui protègent de pathologies courantes mais parfois dangereuses, n’a guère de sens. Telle était déjà la conclusion du rapport Hurel de 2016[3]. Mais celui-ci ne tranchait pas entre le renoncement complet à l’obligation vaccinale et sa généralisation. Il insistait pour qu’un travail d’information et de conviction soit engagé pour rétablir une adhésion à la vaccination qui fléchit dans la population. Il plaidait pour davantage de transparence (y compris sur les risques de la vaccination) mais il renvoyait à un débat public et à une conférence de consensus scientifique pour décider du caractère obligatoire ou non des vaccinations. Marisol Touraine avait alors suivi cette recommandation, au moins formellement, mais n’avait pas donné de suite aux rapports qui lui ont été remis. En généralisant l’obligation, la ministre actuelle méconnaît l’état de l’opinion, surtout après les maladresses insignes de la « concertation citoyenne » de 2016, ce qui ne concourra pas à apaiser un débat difficile.

Une méfiance grandissante à l’égard des autorités sanitaires

 La London School of Hygiene and Tropical médecine a publié en septembre 2016 une enquête réalisée dans 67 pays sur la confiance à l’égard des vaccins. Avec 41 % de la population qui ne considèrent pas les vaccins comme sûrs (17% en moyenne dans l’ensemble des pays), la France est le pays où la méfiance est la plus forte. Les chercheurs en concluent que la défiance exprimée envers les vaccins reflète la défiance envers l’Etat. Ils rappellent la longue suite de crises sanitaires, y compris les erreurs, approximations voire dissimulations qui ont marqué la communication sur les vaccins : en laissant penser, au moment de la crise H1N1, que l’attitude incitative de l’Etat à la vaccination était liée à des intérêts économiques ou en minimisant, dans les années 90, les risques du vaccin contre l’hépatite B tout en suspendant les campagnes systématiques de vaccination en milieu scolaire, l’Etat a fait naître une méfiance qui s’est peu à peu enkystée, nourrie par ailleurs par la longue suite de révélations sur les erreurs d’appréciation et les conflits d’intérêts des responsables de la santé publique. L’étude anglaise en conclut, selon les recommandations souvent données aux autorités des pays sous-développés qui veulent lutter contre les fléaux sanitaires, qu’il faut « associer » la population. De plus, les médecins eux-mêmes ne sont pas à 100 % confiants : ainsi, selon la Société française de médecine générale, 1 médecin sur 10 exprime de fortes réticences sur la vaccination, ¼ d’entre eux est défavorable à certaines vaccinations et ¼ aussi se déclare très défavorable à la présence d’adjuvants dans les vaccins, notamment l’aluminium[4].

Si la méfiance à l’égard des vaccins traduit une méfiance de la population envers l’Etat et le soupçon d’une connivence entre les décideurs et l’industrie, la situation n’a pas dû s’arranger depuis l’enquête de la London school of Hygiene and Tropical médecine. Pour s’en tenir aux affaires récentes, la plainte d’une institution médicale, fin 2016, contre l’Agence européenne des médicaments (pour avoir déformé les conclusions d’une expertise à la suite d’une alerte sur les effets indésirables du vaccin contre le papillomavirus) fait mauvais effet. Autre affaire, cette fois-ci éloignée des questions de vaccination :  l’on peut se réjouir de la condamnation, en 2017, du professeur Michel Aubier à 50 000 € d’amende et 6 mois de prison avec sursis pour avoir, lors d’une audition devant le Sénat, dissimulé ses liens d’intérêt avec Total (il en était le salarié), tout en minimisant l’impact du diesel sur la qualité de l’air. Mais force est de constater qu’elle écorne un peu plus l’image de l’élite médicale (les hospitalo-universitaires). Et la défiance des Français qui ont suivi le feuilleton de la définition des perturbateurs endocriniens par la Commission européenne a sans doute crû quand la France, rangée jusqu’alors derrière la Suède et le Danemark, a rejoint le 4 juillet dernier les pays « pro business », permettant ainsi l’adoption d’un texte laxiste sur ces substances dangereuses, et ce malgré l’opposition vigoureuse de prestigieuses sociétés savantes.  Dans un contexte pareil, mieux vaut écouter et apaiser l’opinion publique, même si chacun reconnaît que les mouvements franchement hostiles à la vaccination sont minoritaires dans l’opinion et même si, au final, le taux des vaccinations simplement « recommandées » n’est pas si mauvais (il n’est franchement médiocre que pour l’hépatite B : 88 % et le vaccin ROR (rougeole oreillons rubéole) : 79 %.

La « concertation » de 2016 : les maladresses insignes des pouvoirs publics

La ministre de la santé de l’époque, Marisol Touraine, a lancé en 2016, sur la question des freins à la vaccination et de l’obligation vaccinale, une « concertation citoyenne » pilotée par un Comité d’orientation composé d’experts ou d’institutionnels présenté comme indépendant. Le Comité devait s’appuyer sur les conclusions de deux jurys, un jury de citoyens et un jury de professionnels de santé qui ont bénéficié de séances de travail avec divers experts et ont eu du temps pour se former et pour échanger. La démarche était bienvenue et aurait pu être utile.

Une concertation tout sauf citoyenne

Sur la question de l’obligation, le rapport final du Comité (le seul qui ait fait l’objet d’une présentation officielle), tout en prétendant « s’appuyer » sur leur travail, ne mentionne pas les conclusions des jurys citoyens ou de professionnels de santé, pourtant différentes des siennes propres.

Le Comité propose de rendre obligatoire les vaccins qui ne l’étaient pas jusqu’ici (coqueluche, rougeole, oreillons, rubéole, infections à pneumocoque…) et même de réexaminer le statut du vaccin contre le papillomavirus, qu’il juge très utile malgré sa mauvaise réputation, envisageant même de l’étendre aux garçons alors que des experts considèrent que cette mesure n’aurait pas d’intérêt. Le seul aménagement proposé est d’ouvrir aux parents un droit d’exemption (c’est-à-dire de refus) par écrit, après entretien avec un professionnel de santé, mais le rapport précise que l’enfant pourrait alors ne pas être admis en collectivité, ce qui revient à maintenir l’obligation. La tonalité du rapport est très affirmative sur le bilan avantages /risques de la vaccination mais plutôt « à dire d’expert », sans référence précise à des études scientifiques.

La conclusion des « jurys » est différente : le jury citoyen composé, comme c’est l’usage, d’anonymes, s’est partagé à égalité entre les partisans d’une levée de l’obligation, accompagnée d’un effort d’information et de formation pour améliorer les taux de vaccination, et ceux qui souhaitaient la maintenir pour des raisons de santé publique. Les membres se sont retrouvés sur la nécessité d’harmoniser la prise en charge financière des vaccins, obligatoires ou non, comme le régime des indemnisations en cas d’effets indésirables graves.

Le jury de professionnels de santé, quant à lui, a été unanime pour réclamer la levée de l’obligation vaccinale : il considère que, si l’on veut mener une véritable politique de santé publique, il faut mieux informer, engager des recherches sur les points qui inquiètent la population (les adjuvants par exemple), mais construire une politique de développement de la vaccination sur une adhésion éclairée.

Le rapport final du Comité de concertation ne mentionne ni ne discute ces arguments. Sur le fond, sa position n’est pas en cause : l’on comprend que, sur un sujet aussi difficile, les avis soient partagés. Sur la méthode, c’est gênant : tout le monde a en tête les affirmations péremptoires de certains médecins sur l’absence de risque du Médiator ou des pilules contraceptives de troisième génération. Le savoir des experts n’étant, c’est ainsi, plus reconnu a priori par la population, toute manœuvre pour l’imposer de manière autoritaire renforce la défiance. Cette défiance a été en l’occurrence d’autant plus forte que l’association médicale Formindep, connue pour son indépendance, a montré que 5 membres du Comité sur 16 étaient en situation de conflits d’intérêt, parfois déclarée, parfois non.

Se fonder sur une « médecine par les preuves »

Formindep a en outre déploré la faible qualité du rapport du Comité, qui ne dépasse pas, selon elle, le niveau de la discussion de salon. L’association recommande d’adopter, dans le domaine de la vaccination, une méthode scientifique rigoureuse qu’a étudiée le Haut conseil de santé publique[5] et qui permet de parvenir, sur le fondement de plusieurs critères (mesure de la qualité des études, synthèse scientifique des résultats avec prise en compte des données d’observation, interprétation des experts…), à des « recommandations graduées » : c’est la « médecine fondée sur des preuves », qui permet de mesurer le degré de confiance scientifique du recours à la vaccination et étaye les choix. La publication de telles recommandations graduées mettrait fin au diktat des « sachants », qui irrite manifestement une partie de la population. Un expert qui explique sa position au cas par cas est un expert plus convaincant que celui qui l’assène globalement sans faire de distinction entre les divers points d’une même question.

 Aujourd’hui, une décision qui découle de l’impossibilité de suivre une obligation imposée par le conseil d’Etat ?

Pourquoi la ministre de la santé, Agnès Buzyn, annonce-t-elle une décision impopulaire d’amplification de l’obligation vaccinale à peine arrivée dans son ministère, alors qu’elle aurait tout intérêt à prendre le temps de réexaminer la question ? Il est malheureusement loisible d’y voir un lien avec une décision du Conseil d’Etat du 8 février 2017[6] : saisi du refus de la ministre de la santé de prendre des mesures pour que les vaccins obligatoires soient disponibles seuls, sans être associés à des vaccins « facultatifs », le Conseil d’Etat a jugé la demande légitime. Il a enjoint au ministre de prendre les mesures nécessaires pour mettre à disposition de la population les seuls vaccins obligatoires dans un délai de 6 mois, qui expire donc en juillet 2017. Très probablement, c’est cette échéance, autant qu’un contexte de santé publique, qui conduit la ministre à vouloir généraliser l’obligation vaccinale. Elle ne le dit pas : ce silence, là encore, est maladroit. Si les laboratoires pharmaceutiques ont de bonnes raisons pour refuser de fournir des vaccins obligatoires seuls (y compris l’impossibilité matérielle), autant les reconnaître, sauf à raviver le soupçon de collusion.

Traiter les Français comme des adultes ?

 La conclusion est difficile. Pour autant, généraliser l’obligation accentuerait la méfiance. Si l’on juge que le statu quo n’est plus possible, alors il faut s’en remettre à la formation et à l’information, tabler sur l’esprit de responsabilité des personnes et lever l’obligation.

C’est la politique de nombre de pays étrangers proches[7] : en Suisse, en Allemagne, dans la plupart des pays nordiques, au Royaume-Uni et en Espagne, les vaccinations ne sont pas obligatoires. Les conséquences n’en sont pas mauvaises, même s’il existe, c’est vrai, des alarmes, par exemple sur la rougeole st si la France a un taux de vaccination meilleur que la moyenne européenne pour les vaccins obligatoires (diphtérie-tétanos-polio : 98 % contre 95 %). Il est vrai que l’attitude des populations est lié à des facteurs culturels : en France, la notion d’obligation rend la population moins sensible aux recommandations. Il existe donc des risques à lever l’obligation, même si on obligeait les familles (cela se pratique en Allemagne) à faire examiner leur enfant par un médecin qui se prononce sur la question des vaccinations, même si elles devaient signer une « reconnaissance de responsabilité » en cas de refus de vaccination.

Peut-être est-il temps cependant de passer à un autre modèle de société où l’Etat cesse d’être un paterfamilias tutélaire et considère les citoyens comme des êtres responsables. Le rapport des professionnels de santé rédigé dans le cadre de la concertation de 2016 recommande d’édicter une obligation en cas d’épidémie et pour certaines professions, y compris les enseignants, et, pour le reste, de « construire les conditions » d’une suppression rapide de l’obligation. C’’est ce travail qui reste à faire : la levée de l’obligation doit être préparée. Si cette préparation est bien faite, le dossier des vaccinations sera traité. Sinon, il restera entier.

 

[1] Les trois vaccinations obligatoires sont celles contre la poliomyélite, le tétanos et la diphtérie. Seraient ajoutées celles contre la coqueluche, la rougeole, les oreillons, la rubéole, l’hépatite B, les bactéries Haemophilus influenzae, pneumocoque et méningocoque C, vaccinations aujourd’hui recommandées.

[2] Une galaxie d’opposants à la vaccination obligatoire, Le Monde, 13 juillet 2017

[3] Rapport sur la politique vaccinale, S. Hurel, députée, janvier 2016

[4] Il est vrai que le doute est jeté par un médecin, le professeur R. Gherardi, dans « Toxic story » (Actes sud, 2016), qui soupçonne des phénomènes d’intolérance à l’aluminium chez certains patients et demande un approfondissement de la recherche sur ce point, sans être entendu, tant, dit-il, en France, dans les milieux médicaux, le vaccin ne se discute pas.

[5] Méthodologie de recommandation des gradations en pratique vaccinale, Haut Conseil de la santé publique, janvier 2016

[6] http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2017-02-08/397151

[7] Voir rapport Hurel, chapitre 4