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Universités, organiser la sélection

Tout a commencé (ou recommencé) par une circulaire, la circulaire du 24 avril 2017, publié, ô courage, dans l’entre deux tours de la présidentielle : le Code de l’Education (article L612-3) prévoit que, si les demandes d’inscription en première année d’université excèdent les capacités d’accueil, c’est le recteur (et non l’université) qui procède aux inscriptions « selon la réglementation fixée par l’Education nationale ». Encore fallait-il que celle-ci existe…ce qui n’était pas le cas.  La circulaire fixe donc les critères de priorité, résidence, puis vœux, puis situation familiale. Si, à l’issue de ce classement, il faut choisir entre des candidats à égalité, la circulaire prévoit qu’il est fait recours au tirage au sort. Cette méthode n’est nullement une nouveauté : elle est pratiquée depuis très longtemps, mais sans texte. Devant la multiplication des recours[1], il fallait sécuriser la procédure[2]. L’officialisation avait été envisagée dès janvier 2017 mais, devant le tollé, le gouvernement avait reculé. Aujourd’hui, le dispositif est officiel mais provoque tant de couacs que son absurdité saute aux yeux : ainsi, compte tenu des critères utilisés, des formations peuvent être ouvertes (ou refusées) à des candidats sans que l’on se préoccupe de leurs chances de réussite, y compris dans des filières que l’on sait ultra sélectives, comme la médecine, où des candidats qui ont toutes leurs chances de réussite au concours de fin de première année peuvent ne pas être retenus alors que d’autres, par chance, bénéficieront d’une inscription dont ils ne feront rien. Inévitablement, ce constat repose la question de la sélection à l’entrée de l’université et de ses critères. L’on pouvait admettre des critères d’inscription mécaniques et dépersonnalisés si, vaille que vaille, tout le monde trouvait une place à sa convenance. Dès lors que l’afflux de demandes heurte le principe (même non écrit) de méritocratie, ce n’est plus possible. C’est bien ce qu’a compris le nouveau gouvernement, qui propose des solutions de rafistolage pour cette année et ouvre une concertation sur l’application de « prérequis » à la rentrée 2018, dans la droite ligne, au demeurant, du programme du candidat Macron.

La vraie question : l’échec à l’université

 Face aux difficultés d’inscription, certaines organisations syndicales d’étudiants et d’enseignants proposent le développement des capacités d’accueil, pour que soit respecté le « principe » de l’accueil de tous les bacheliers à l’université, même si, en droit, ce principe est encadré par les restrictions prévues à l’article L612-3 et n’est nullement un droit absolu. Outre que l’Etat n’en a aujourd’hui ni les moyens ni l’envie, la proposition est à courte vue : derrière le débat actuel de l’engorgement de certaines filières, on trouve très vite la question de l’échec à l’université.

Les études chiffrées sont parlantes. Le Ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche a publié en novembre 2016 les taux de réussite à la licence en 2015 : 27 % des étudiants obtiennent la licence en 3 ans et 12 % de plus en 4 ans. Ces chiffres, reconnus comme médiocres, sont d’une remarquable stabilité depuis plusieurs années.

Le CEREQ (Centre d’études et de recherche sur les qualifications) suit quant à lui l’insertion professionnelle des sortants (diplômés ou pas) de l’enseignement supérieur. Sa dernière étude parue en 2015 porte sur le devenir, en 2013, des 370 000 jeunes sortis en 2010. Comme pour la génération précédemment étudiée, presque un quart des étudiants sont sortis sans diplômes de leurs études supérieures. Le profil de ces sortants non diplômés est sans surprises: leur origine sociale est plus modeste que celle des diplômés et les bacheliers technologiques ou professionnels y sont majoritaires. Après leur échec, la logique veut que ces jeunes, à leur sortie d’études, éprouvent des difficultés d’insertion : de fait, 3 ans après leur sortie, leur taux de chômage est de 24 %, à mi-chemin entre ceux qui n’ont aucun diplôme (taux de chômage de 50 %) et ceux sortis diplômés à bac + 5 (10 %).

La conclusion ne souffre pas beaucoup de nuances : aujourd’hui, le parcours scolaire antérieur au baccalauréat conditionne le parcours dans le supérieur. Le retard déjà pris, le type de baccalauréat obtenu et l’obtention d’une mention sont des marqueurs à partir desquels échec ou réussite dans le supérieur sont aujourd’hui largement prédictibles. Même si les étudiants sortis sans diplômes représentent un ensemble divers et si certains d’entre eux sont en situation de transition acceptée[3] ou dans l’attente d’une solution mieux adaptée, reste qu’une part est en perdition.

En termes d’évaluation des politiques publiques, le constat est dur : l’exposé des motifs de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités (loi LRU) faisait de l’échec en premier cycle un cheval de bataille et le « Plan licence 2008-2012 » avait la même finalité. La loi LRU a d’ailleurs confié aux universités une nouvelle mission, l’orientation active, pour mieux préparer l’entrée et l’accueil en universités et organiser des passerelles avec les filières professionnelles courtes : de fait, le contenu des licences a été rénové ; le réseau des IUT et STS a été mobilisé pour accueillir certains bacheliers. Depuis 2008, des plans pour améliorer la réussite en licence ont été lancés : préparation des orientations avec les lycées, mise en place de tests et de tutorats, dispositifs de soutien, réorientation en cours d’année, heures supplémentaires d’accompagnement…rien n’y fait ou presque, sous réserve, il est vrai, d’un bilan de plus long terme. Cela ne signifie pas nécessairement qu’il faut se résigner : mais la question est difficile à résoudre, trop sans doute pour en rester à de simples incitations à agir qui, en milieu universitaire, sont toujours très inégalement appliquées. Les résultats sont au demeurant meilleurs dans certaines universités (les petites), les grandes ayant d’autres préoccupations que l’échec des « premières années ».

Il est donc certain que les solutions doivent être plus nettes, coercitives pour prononcer le mot, d’autant que certaines semblent plus efficaces que les autres[4]. De plus, elles doivent agir plus en amont, avant l’inscription proprement dite, parfois pour l’empêcher.

Pour autant, la question la plus difficile n’est pas de reconnaître la sélection, même si en France le tabou des mots est fort. Dans les faits, celle-ci est en place : 40 % des lycéens qui arrivent dans le supérieur y ont été soumis. Il ne s’agit pas seulement des classes préparatoires aux grandes écoles, de sciences-po, des IUT ou des BTS. Les universités ont elles-mêmes mis en place des licences sélectives : licences « contingentées », « à flux régulés », « avec prérequis », « sous tension », le pourcentage de licences qui sélectionnent est estimé dans certains établissements à 30 %, dans d’autres à 40 %.  Le dispositif, sans doute illégal, est voté par les conseils d’administration des universités et avalisé par les recteurs, responsables du contrôle de légalité. Pour ce qui est de l’entrée en second cycle, la loi du 23 décembre 2016 officialise une sélection mise en place depuis longtemps, en permettant de subordonner l’admission dans un master soit à un examen, soit à l’examen du dossier du candidat.

Etendre la sélection (en refusant l’inscription de certains bacheliers, en organisant un examen ou en exigeant des prérequis) n’est donc plus impensable. Au-delà, la question la plus compliquée est de savoir ce que l’on fait des personnes recalées à une telle sélection. Sinon, le système économisera de l’argent et de l’énergie gaspillés aujourd’hui mais certains jeunes se retrouveront toujours en errance et démunis pour affronter le marché de l’emploi. En outre, politiquement, une telle prise en charge est indispensable pour faire accepter la sélection.

Comment sélectionner ? Que serait un prérequis ?

La notion de prérequis n’a pas de contenu juridique précis : c’est ce qu’a rappelé le Conseil d’Etat lorsqu’il a examiné le projet de décret d’application de la loi citée ci-dessus du 23 décembre 2016. Le Conseil d’Etat a fait remplacer, dans le texte final du décret du 25 janvier 2017, la nécessité de remplir des prérequis par la nécessité d’une « compatibilité » entre les mentions du diplôme obtenu et les mentions du master auquel l’étudiant prétend (le terme « mention » s’entend ici comme spécialisation). Il ne serait donc pas difficile de recopier la formule et de demander que soit vérifiée la « compatibilité » entre le parcours antérieur de l’étudiant et la mention de la licence à laquelle il souhaite s’inscrire.

Le terme de prérequis, tout imparfait qu’il soit, implique cependant davantage d’exigences. Le prérequis, ce n’est pas une simple « compatibilité » :  ce sont les connaissances, les capacités et les aptitudes qui permettent de s’intégrer dans un apprentissage nouveau. La richesse du contenu présente un inconvénient majeur : comme le souligne le rapport de l’Inspection générale qui évoque cette solution[5], aucun prérequis ne fait vraiment l’unanimité : il faut qu’ils soient à la fois pertinents au regard de la formation concernée, équitables à l’égard des candidats, simples à vérifier, ni trop généraux ni trop restrictifs. Or, même en langues et en sports, la définition des prérequis ne fait pas l’unanimité…La question la plus prégnante est de savoir s’ils doivent être définis nationalement (les organisations syndicales d’étudiants préféreraient sans nul doute cette solution, avec le risque qu’un examen ou un test national ne soit pas bien adapté à des formations nécessairement diverses) ou par les universités (avec le risque qu’elles s’efforcent, dans un contexte de concurrence, d’être plus sélectives que la voisine). Reste donc à travailler sur la définition et la mise en place des prérequis : les universités réclament une sélection sur dossier et éventuellement entretien, mais la combinaison de l’examen du dossier et d’un test élaboré, au moins en partie, au niveau national, est sans doute préférable, sauf pour certaines licences très spécifiques.

Aménager des voies alternatives pour les recalés.  

 La loi du 23 décembre 2016 qui légalise la sélection en master prévoit que les étudiants refusés dans le master de leur choix doivent se voir proposer un choix alternatif : le décret prévoit ainsi trois propositions en fonction du projet professionnel et de l’établissement d’origine. C’est ce droit à poursuite d’études qu’il faut sans doute reprendre et adapter aux candidats à l’université. Cependant, l’ambition est énorme : elle suppose une individualisation de l’orientation et surtout l’ouverture de places dans des formations adaptées : ce serait pourtant l’occasion de maîtriser mieux le phénomène de décrochage, de revoir le contenu et l’ampleur des voies professionnelles et technologiques supérieures, de développer certaines formations en alternance et de s’interroger aussi sur l’offre de « voies de rattrapage » : dans une note de janvier 2017[6], France Stratégie évoque la possibilité d’une première année universitaire qui serait une préparation aux études supérieures, permettant de mieux comprendre (et peut-être d’acquérir) les prérequis pour la suite. La conclusion est claire : la mise en place de la sélection entraînera des coûts et demandera de la créativité et de l’engagement, voire une réorganisation des premiers cycles après définition de leur vocation.

Améliorer les chances de réussite dans les cursus universitaires

 L’échec à l’université n’est pas seulement imputable au niveau des étudiants. Toutes les personnes qui ont fréquenté l’université évoquent des méthodes pédagogiques désuètes, des enseignements parfois inadaptés à un public de « généralistes », des universitaires qui se pensent comme des chercheurs et qui se désintéressent de la manière dont leur enseignement est reçu et approprié. Moins autonomes, plus perdus, moins aptes à chercher l’information par eux-mêmes, les étudiants débutants sont souvent négligés, surtout dans les grandes universités prestigieuses. Evoquer la pédagogie, s’interroger sur les attentes et les besoins des étudiants, accepter que les enseignements et les enseignants soient évalués représenteraient des progrès. Au-delà, la demande se répand de cursus plus ouverts, et, notamment, de licences couvrant des champs disciplinaires vastes avec une spécialisation progressive, ce qui faciliterait les parcours et les orientations.

Les pouvoirs publics ne pourront donc pas se contenter d’instaurer une sélection à l’entrée de l’université, serait-ce de manière détournée. Il leur faudra prendre du problème, s’ils veulent le traiter, une vision plus large.

 

 

[1] Voir notamment les décisions du TA de Bordeaux du 16 juin 2016 et 22 juin 2017 annulant des refus d’inscription après tirage au sort pour absence de réglementation prévoyant cette méthode (refus antérieurs à la circulaire).

[2] Cette « sécurisation » n’est pas acquise. Certes, le Conseil d’Etat, par une décision du 5 novembre 2001, semble considérer que le tirage au sort serait possible à condition que le principe d’égalité soit respecté pour sélectionner les dossiers soumis à cette procédure. Cependant, l’article L612-3 du Code de l’Education énumère les critères sur lesquels doit reposer la réglementation encadrant les refus d’inscription et le tirage au sort n’y figure pas. Saisi d’un recours en référé contre la circulaire du 24 avril 2017, le Conseil d’Etat a refusé de se prononcer dans ce cadre, l’urgence ne lui paraissant pas établie. Il se prononcera donc dans plusieurs mois.

[3] « L’université face au décrochage », François Sarfati, La vie des idées, avril 2015 : la conduite d’entretiens avec des décrocheurs sortis sans diplômes de l’université conduit à distinguer ceux qui partent parce qu’ils ont trouvé une meilleure solution, ceux qui l’attendent et ceux qui, cumulant les difficultés, « ne seront jamais vraiment des étudiants ».

[4] L’article de la Vie des idées cité en note 3 considère que l’effort d’orientation mené dans les universités est peu utile alors que l’accompagnement et les groupes de niveaux ont leur utilité, au risque toutefois d’une stigmatisation des inscrits et d’une moindre lisibilité de l’offre.

[5] « L’affectation en 1ère année de licence dans les formations à capacité d’accueil limitée », IGAEN (Inspection générale de l’administration de l’Education nationale et de la recherche), janvier 2016

[6] La transition lycée enseignement supérieur, France Stratégie, janvier 2017