Réfugiés : dissuasion migratoire et poudre de perlinpinpin

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Réfugiés : dissuasion migratoire et poudre de perlinpinpin

Le premier ministre et le Ministre de l’Intérieur ont présenté en conseil des ministres, le 12 juillet 2017, un « plan d’action pour garantir le droit d’asile et mieux maîtriser les flux migratoires », avec l’annonce, pour septembre, d’un projet de loi en ce domaine. En complément, le Président de la République, dans un discours prononcé le 27 juillet à Orléans, a pris des engagements sur l’accueil des migrants. Les deux déclarations tablent, sans doute de manière utopique, sur l’externalisation de l’accueil mais ne sont pas cohérentes sur les conditions de vie des demandeurs, qu’Emmanuel Macron veut améliorer tandis que le ministre de l’Intérieur refuse de s’en occuper. Surtout, le plan indique que le droit de l’asile sera prochainement modifié dans un sens restrictif ou répressif, en liant accélération de l’examen des demandes et renvois plus rapides hors du territoire. Les pouvoirs publics adoptent ainsi la politique de la godille de leurs prédécesseurs, avec un mélange entre rappel convenu des grands principes humanitaires, promesses pour la forme, défausse sur l’Europe, durcissement effectif des procédures et des pratiques policières pour dissuader les demandeurs, la préoccupation principale étant d’éviter les « appels d’air ». Le hiatus devient manifeste entre les humanitaires, qui insistent sur l’urgence d’agir, et la prise de distance des pouvoirs publics, qui s’organisent pour limiter les entrées, accélérer les procédures et garantir les sorties. Les choix sont, au demeurant, les mêmes que sous François Hollande. Les dirigeants actuels ne jugent sans doute pas cela très grave : à l’exception d’une frange minoritaire, la population est aujourd’hui peu favorable aux réfugiés et ne s’inquiète pas que le droit d’asile vacille, voire chavire. C’est pourtant une faiblesse : esquiver la question n’est pas une option (les migrants sont là, quoi qu’ils arrive) ; surtout, à s’empêtrer dans une politique hypocrite, le pouvoir enlève à son action sens et grandeur, ce que tous les citoyens repèrent et, au final, n’apprécient pas.

Les réfugiés : en France, un flux limité malgré les effets de loupe

 Il faut le rappeler : les images des bateaux pleins à craquer de migrants en Méditerranée ou des corps enchevêtrés sur le trottoir à Paris ne correspondent pas aux données chiffrées de l’accueil des réfugiés en France. La France est loin d’être la destination majoritaire des migrants qui arrivent en Europe. La demande existe pourtant, elle est pressante mais très concentrée. Comme le flux est traité avec retard et que les migrants sont continûment chassés d’un point à un autre, on les voit. Mais en fait, ils ne sont pas si nombreux.

Selon Eurostat, 1 204 000 demandes ont été déposées en Europe en 2016 (contre 1 226 000 en 2015). L’Allemagne a recueilli 722 000 demandes et la France, environ 10 fois moins : l’OFPRA, Office français de protection des réfugiés et apatrides, a ainsi enregistré 78 371 premières demandes en 2016, (mineurs inclus), en hausse de 5,2 % par rapport à l’année précédente. Il est vrai que les demandes augmentent depuis plusieurs années : le chiffre atteignait 55 255 en 2012 et 59 313 en 2014. De plus, les données de l’OFPRA en tiennent pas compte des « dublinés », c’est-à-dire de ceux qui ont été enregistrés à leur arrivée en Europe dans un autre pays de l’Union et ne sont pas censés pouvoir demander l’asile en France, même si des dérogations ont été parfois acceptées, comme à Calais, pour réduire le poids des réfugiés non régularisables. En 2016, 22 500 « dublinés » ont été recensés.

Quant au taux d’acceptation des demandes, il n’est pas élevé, même s’il a progressé. Ainsi, en 2016, 28 % des dossiers examinés par l’OFPRA ont fait l’objet d’un avis favorable, 37 % après procédure d’appel auprès de la Cour nationale du droit d’asile. Même si les populations accueillies sont différentes, le rapprochement avec les taux d’acceptation des pays voisins interpelle : la France est, pour le taux de reconnaissance du droit d’asile, 23e en Europe, où 12 pays (auxquels il faut ajouter la Norvège et la Suisse) ont des taux d’acceptation étagés entre 50 et 80 %).

Enfin, la France a manifesté une évidente mauvaise volonté à accepter les « relocalisations » décidées en 2015 pour 160 000 demandeurs pour soulager l’Italie et la Grèce. Oralement, elle s’était engagé sur 30 000, par écrit, elle a accepté 19 700, en pratique elle a accueilli quelques milliers de réfugiés à ce titre.

Les réfugiés reconnus comme tels sont donc peu nombreux. A 26 500 admissions en 2016, soit 0,04 % de la population, la France n’est pas submergée.

Plan gouvernemental : le rêve d’une France sans réfugiés 

Retenir au loin

 Le « plan migrants » se réfère clairement à une réponse européenne de maitrise des flux migratoires par la protection des frontières extérieures et par la dissuasion des migrations en agissant sur les pays d’origine ou de transit. Dans un paragraphe qui, au demeurant, confond immigration et asile, le « plan migrants » souhaite la stabilisation de la Libye pour pouvoir lui voir jouer un rôle de barrage. De fait, l’Europe travaille à élever ce mur invisible que seraient la présence des agents Frontex d’une part (on vient de les renforcer) et la rétention des migrants en dehors des frontières de l’Union dans des pays qualifiés de sûrs et qui, sur le modèle de la Turquie, garderaient les migrants contre contreparties financières.

L’on ne sait trop si c’est dans ce cadre que se situe la déclaration fantaisiste d’Emmanuel Macron, le 27 juillet, de créer des « hot-spots » en Lybie pendant l’été, c’est-à-dire des centres de tri qui permettraient d’accueillir les migrants et d’examiner leur situation. S’il ne s’agissait pas de la Lybie, le projet serait intéressant, puisqu’il rapproche la demande d’asile des zones de guerre, à condition bien évidemment que les demandes soient examinées sérieusement et débouchent sur des transferts, ce qui reste douteux. L’Union quant à elle n’habille pas aussi bien ses intentions : l’objectif est bien de refuser l’asile si le réfugié a transité par un pays déclaré sûr. L’Union a annoncé en janvier dernier rechercher un accord avec la Lybie pour améliorer la formation de ses garde-côtes et inciter les migrants à revenir dans leur pays d’origine.  Le projet est effarant, s’agissant d’un pays que tous les témoignages décrivent comme un camp d’esclavage des réfugiés qui y transitent, maltraités, vendus, exploités et tués par les milices locales. Plus généralement, l’Europe (et la France) se trompent si elles croient ainsi réduire à néant les migrations : celles-ci seront freinées puis les itinéraires changeront et les migrants passeront. Quant à prétendre (le « plan migrants » l’évoque aussi) utiliser l’aide au développement pour limiter les migrations, c’est une autre illusion : l’échelle de temps n’est pas la même, le bénéfice (même à l’échelle d’un pays) est sans comparaison (mieux vaut des migrants qui envoient de l’argent que des aides internationales incertaines). Qui prétendra enfin que les Soudanais, les Congolais, les Afghans ou les Syriens s’exilent pour des raisons économiques ?

Sur le traitement des demandes, le gouvernement annonce que les délais seront réduits à 6 mois, dans la continuité de la loi du 29 juillet 2015 qui les avait fixés à 9 mois maximum, en incluant les délais de l’appel.

Le problème est, comme le soulignait le référé de la Cour des comptes de 2015[1],  que le point de départ de ces délais n’est pas clair. Le dispositif prévoit que les demandeurs d’asile s’adressent à des PADA, plate-forme d’accueil des demandeurs d’emploi, ONG qui mettent en forme la demande et prennent rendez-vous à la préfecture pour la déposer. Cette première démarche est censée prendre quelques jours. Aujourd’hui, les associations sont submergées et le délai d’attente pour être reçu dans une PADA atteint des semaines. Il faut ensuite, selon les endroits, 1 à 2 mois pour obtenir un rendez-vous en préfecture. On ajoute ensuite les 5 mois de l’étape l’OFPRA (constitution du dossier, convocation, entretien, réponse) et les 6, 5 mois de l’appel et on atteint facilement les 13 à 14 mois que dure aujourd’hui la procédure dans son entier.

Passer à 6 mois paraît impossible compte tenu des goulots d’étranglement actuels et des règles plus protectrices qui prévalent depuis 2015 (sur le fondement d’une directive de l’Union !) comme la systématisation d’un entretien pour l’examen des premières demandes, la possibilité d’être assisté par un avocat et surtout le caractère suspensif du recours, qui empêche toute procédure d’éloignement tant que la Cour n’a pas statué.  Le Plan migrants évoque la prise de mesures législatives pour réduire la durée des procédures contentieuses : baisser les délais pour déposer un recours permettra de gagner 15 jours…

Expulsions accélérées, éloignement

 Comme sous F. Hollande, revient la question de la faible efficacité des éloignements quand l’asile est refusé ou pour les dublinés, que l’Union veut contraindre à demander l’asile là où la mer les a jetés, en Italie ou ailleurs, même s’ils n’y ont aucune attache et si leur projet de vie est autre. Reste que le système n’y parvient pas :  le refus des pays de reconnaître leurs ressortissants, les difficultés de fait à retrouver les personnes concernées mais aussi les annulations par le juge de mesures illégalement prises expliquent la faible exécution des obligations de quitter le territoire. Pour y parvenir, le Plan prévoit d’allonger les délais de rétention et d’augmenter les assignations à résidence. Reste à voir si ces mesures de contrainte auront l’efficacité attendue.

L’objectif : déshumaniser l’accueil 

Formellement, le plan prévoit d’augmenter les places d’hébergement, sachant que la loi impose que les demandeurs d’asile soient hébergés dans des CADA (centres d’accueil des demandeurs d’asile). En 2018 et 2019, 7500 places seraient créées et 5000 libérées par des réfugiés qui aujourd’hui ne parviennent pas à accéder au logement ordinaire. Là aussi, le nouveau gouvernement met ses pas dans ceux du précédent : le rapport Dubié-Richard d’octobre 2016 sur l’évaluation de la politique d’accueil des demandeurs d’asile mentionnait déjà les ambitions d’un schéma national d’accueil dont les places devaient passer de 50 000 fin 1995 (en comptant CADA et places d’urgence) à 60 800 fin 2017. Rappelons l’ampleur des demandes annuelles (78 000) et la durée de la procédure (14 mois) : les réfugiés resteront dans la rue, même les demandeurs officiellement reconnus, sans parler de ceux qui attendent de pouvoir déposer leur demande. Etonnamment, le Président de la République déclare le 27 juillet qu’il ne veut plus voir un réfugié dans la rue à la fin de l’année : parallèlement, son ministre de l’Intérieur refuse de créer des camps d’urgence et de s’occuper des abcès de fixation que sont Calais, grande Scythe ou la porte de la Chapelle, où toute une population dort dans la rue.

Cette indifférence a plusieurs conséquences : les réfugiés, dont les conditions de vie sont indignes, deviennent violents et leur masse miséreuse inquiète la population, ce qui n’est pas forcément un avantage pour un pouvoir politique qui voudrait surtout les voir disparaître. Pour les dissuader de rester, il faut les harceler sans cesse davantage, par exemple en les empêchant de manger, de se laver et de boire, comme en témoigne la décision du tribunal administratif de Lille du 26 juin 2017 qui reconnaît que les migrants sont soumis à des traitements inhumains et dégradants (le tribunal enjoint l’Etat de les faire cesser), ou le rapport de Human Rights Watch du 26 juillet 2017, qui dénonce à Calais le caractère systématique des violences et des gazages au gaz poivre par la police de réfugiés endormis ou inoffensifs.

Le gouvernement fait le pari que l’opinion publique est hostile aux réfugiés. Il a raison : l’étude de l’association « Primo Lévi » publiée en 2016 sur les méthodes de l’OFPRA et de la CNCA explique que les fonctionnaires ou les juges qui examinent les dossiers voient d’abord les demandeurs comme des menteurs ou des réfugiés économiques, traquant l’incohérence formelle qui va permettre de refuser la demande, demandant un récit chronologiquement impeccable et des preuves vérifiables que les textes n’exigent pas.  Quant à l’avocat François Sureau, il note, dans un bel article[2], pour expliquer ce soupçon généralisé, que les personnes en charge de l’instruction des demandes n’ont aucune expérience de la guerre, du malheur et de l’exil forcé et n’en comprennent pas les victimes.

Pourtant, le pari est dangereux : à un moment donné, une part de l’opinion ne supportera plus, une autre notera que rien ne change.

Angela Merkel est sans aucun doute une dirigeante bornée, qui a souvent pesé dans le mauvais sens depuis la survenue de la crise économique, retardant les ajustements en exigeant le respect d’une politique budgétaire inadaptée et contribuant au malheur de la population grecque. Elle restera pourtant dans l’histoire pour avoir sauvé l’honneur des pays occidentaux en affirmant que son pays devait accomplir son devoir et respecter l’asile. La France, elle, ne l’assume pas mais ses choix sont à courte vue : le risque est qu’elle ait à affronter continûment un problème qu’elle ne veut pas voir.

[1] L’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile, Cour des comptes, référé du 30 juillet 2015

[2] Le système de l’asile a cessé de fonctionner, Le Monde, 16 mai 2015