La difficile réforme des aides personnelles au logement

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La difficile réforme des aides personnelles au logement

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Avant l’été, le gouvernement a annoncé une réforme d’ensemble des aides au logement, que le Premier ministre a jugé alors « trop coûteuses et insuffisamment efficaces ». L’on ne sait si le projet de loi « Habitat, mobilité, logement » annoncé pour septembre, qui sera, semble-t-il, centré sur l’accélération des procédures de construction dans les zones tendues, sur l’éviction de certains ménages aisés du logement social et, pour l’hébergement des précaires, sur le retour bienvenu de la doctrine « le logement d’abord »[1],  fera ou pas mention sur ce sujet : il serait question que les aides à l’investissement locatif soient réduites, ce que ne regretteront que les promoteurs immobiliers et les catégories aisées destinataires d’une aide publique qui présente peu d’intérêt pour la politique du logement.

Dans l’ensemble des 42 Mds de dépenses publiques en faveur du logement (qui ne sont pas toutes des « dépenses » au sens courant du terme, puisqu’une part correspond à des aides fiscales), les aides personnelles au logement (18,3 Mds en 2017) risquent fort de se trouver dans la ligne de mire : versées par la branche famille, elles représentent la principale charge de l’Etat dans le domaine du logement depuis la mise en œuvre du Pacte de responsabilité. Pour compenser des exonérations de cotisations familles accordées aux employeurs, l’Etat a en effet repris alors le financement de l’allocation de logement familiale ainsi que la part de la CNAF dans le financement du FNAL (fonds national d’aide au logement) : il supporte à ce titre 15,4 Mds en 2017, le solde du financement étant assuré par une contribution des employeurs.

Depuis quelques années, les aides personnelles au logement ont fait l’objet d’analyses en rafales[2], toutes fortement critiques, et de propositions de réforme plus ou moins ambitieuses. Ces études ont installé dans le public averti et chez les journalistes la certitude que les aides au logement représentent une dépense sans cesse croissante, difficilement contrôlable, voire insupportable, sans qu’elles parviennent pour autant à limiter le taux d’effort[3] des plus démunis. Ces aides auraient, de plus, un effet inflationniste sur les loyers dont l’augmentation s’expliquerait par l’opportunisme des propriétaires bailleurs qui en confisqueraient le bénéfice. D’où les appels à réduire ces aides jugées inefficaces voire perverses ou à en modifier fondamentalement le mode de calcul. Il n’est donc pas étonnant que, pour rééquilibrer le budget 2017, le gouvernement ait choisi de les raboter de 5€, sans bien mesurer l’impact de cette mesure apparemment dérisoire. Le dossier d’une vraie réforme n’est pas si facile à régler. Faisons le point.

Aides personnelles, état des lieux

 Il existe trois types d’aides au logement versées par la branche famille en application d’un barème tenant compte des ressources, des charges de logement (seul est pris en compte un loyer plafonné), du lieu de résidence (il existe trois zones, Paris et la Région parisienne, les grandes villes et le reste du territoire) et de la situation familiale.

L’allocation logement à caractère familial (ALF) s’adresse aux ménages ayant au moins une personne à charge ou aux jeunes ménages. L’aide personnalisée au logement (APL) est versée aux occupants de logements conventionnés (logements sociaux), quelle que soit leur situation familiale. Enfin, l’allocation logement à caractère social (ALS) est destinée aux personnes qui ne peuvent bénéficier ni de l’ALF ni de l’APL. Les aides sont « bouclées » :  si les conditions sont remplies, toutes les catégories de la population peuvent y avoir droit, jeunes, étudiants, ménages sans enfants, personnes seules en logement ordinaire.

Avec 6,5 millions de bénéficiaires en 2014 (10 % de la population), les aides au logement constituent la catégorie de prestation la plus fréquemment versée, En comptant les enfants et les autres personnes à charge au sens du logement, l’on estime qu’environ 13,7 millions de personnes (21 % de la population) vivent dans un foyer percevant une prestation de logement. 7 % des bénéficiaires sont des personnes très modestes en accession à la propriété.

Le montant de l’aide est fortement modulé selon la taille et le revenu du ménage : l’aide est un forfait dépendant de la taille du ménage jusqu’à un certain niveau de revenu puis décroît : pour les très faibles revenus, l’aide est maximale. L’aide moyenne atteint 226€. Le seuil d’exclusion où l’aide disparaît correspond à 1 SMIC net pour une personne seule, 2 SMIC pour un ménage avec 2 enfants. Il n’est donc pas étonnant que 25 % des allocataires touchent des minimas sociaux et que seul un gros tiers travaille, les autres étant retraités, chômeurs ou étudiants.

Les prestations logement, concentrées sur la partie la plus modeste de la population, sont fortement redistributives, en ce sens qu’elles évitent la pauvreté. Le jeu de la redistribution fiscale et sociale fait en 2013 baisser le taux de pauvreté de 21,9 % à 14 % de la population : les prestations logement y contribuent pour 1,7 point en moyenne, bien davantage pour les familles nombreuses (3,9 point) et monoparentales (plus de 6 points)[4].

Cependant, comme le barème des aides est identique pour les occupants des logements sociaux ou du parc privé alors qu’il existe de fortes différences du niveau de loyer (40 % en moyenne, 50 % à Paris), le taux d’effort net, toutes charges comprises, est plus élevé chez les locataires du secteur privé que pour ceux du secteur social (28,4 % contre 24,1 %) et l’ampleur de l’écart croît chez les plus modestes : pour le quartile inférieur de revenus, le taux d’effort dépasse 40,7% des revenus dans le parc privé alors qu’il est de 27 % dans le parc public[5]. Autre manière d’illustrer le pathétique de la situation, en 2012, le reste à vivre des 20 % de ménages les plus modestes après paiement des charges de logement était en moyenne de 400€ dans le parc public et de 261€ dans le parc privé.

Les aides au logement apparaissent ainsi à la fois très justes et très injustes : absolument indispensables aux personnes très modestes qui constituent l’essentiel des bénéficiaires, elles sont également incapables d’aider les plus pauvres à faire face à leurs dépenses. La cause en est, comme le rappelle le rapport de la Cour des comptes sur l’accès au logement social de février 2017, que ceux-ci ne sont pas pleinement prioritaires dans le logement social : seulement la moitié des personnes situées sous le seuil de pauvreté y vit, tandis que l’autre moitié, logée dans le parc privé, supporte un loyer bien plus cher et des aides de montant identique. C’est également le résultat d’une politique du logement social qui pendant très longtemps (jusqu’en 2013), a refusé de construire une proportion correcte de logements « très sociaux », adaptés aux personnes de faible ressources et réservé l’effort aux logements sociaux destinés aux classes moyennes. C’est enfin le résultat d’un barème qui plafonne le loyer pris en compte (il le faut) mais de manière identique pour tous, alors que les occupants du parc privé ont des charges supérieures.

Une croissance non maitrisable ?

 La croissance de long terme des dépenses d’aides personnelles au logement est indéniable. Les aides sont passées en euros courants de 2,5 Mds en 1985 à 18 aujourd’hui. Il est vrai que, jusqu’en 2000, ce constat est lié pour une grande part à l’augmentation des bénéficiaires, elle-même liée aux améliorations de la réglementation (montée en charge de l’APL puis bouclage des aides avec l’ALS). Par la suite, l’augmentation des dépenses (mal contenue par des réformes ponctuelles et d’ampleur limitée) a été vive certaines années, comme en 2008 (4,5 %) ou en 2013 (+3 %). Les explications existent :

  • Joue sur le long terme la paupérisation des locataires, qui contraste avec l’évolution positive des revenus des propriétaires : pour des raisons tenant notamment à l’augmentation des prix de l’immobilier et à la disparition des logements de faible qualité accessibles aux propriétaires modestes, l’accès à la propriété a été progressivement réservé depuis 40 ans aux catégories aisées de la population. De ce fait, le revenu par unité de consommation des locataires et des propriétaires, très proche en 1973, a progressivement divergé et celui des locataires, bien inférieur désormais, stagne depuis 1992[6]. Or, même si les loyers sont loin d’avoir augmenté comme le prix de l’immobilier, ils ont cependant crû davantage dans la période récente que le revenu moyen : + 36 % de 2000 à 2015 contre + 30 %. Dès lors que le revenu des locataires s’affaisse, mécaniquement le nombre des bénéficiaires de l’aide au logement augmente ;
  • Depuis 2008, la crise a eu des conséquences. Les aides au logement, très liées au revenu, augmentent avec le chômage (la réglementation prévoit un abattement des ressources dans ce cas) et la pauvreté. Les aides au logement ont ainsi un effet contra-cyclique mais, en période de crise, deviennent coûteuses pour les pouvoirs publics.

Les aides ont-elles sur les loyers un effet inflationniste ?

 Malgré la multiplicité des études qui l’affirment, le point est controversé, non pas dans son principe (le phénomène existe, notamment sur des segments précis comme le logement étudiants) mais dans son ampleur. Des articles d’experts[7]  mettent l’accent sur la difficulté de généraliser certaines conclusions à des contextes différents (la démonstration de l’Insee en 2014 ne vaut ainsi que pour des zones étroitement définies). L’amélioration de la qualité pourrait aussi jouer un rôle dans l’augmentation des loyers. La Cour des comptes, dans son rapport de 2015, juge que l’affaire n’est pas tranchée et demande que les pouvoirs publics conduisent une étude sur la réalité et l’ampleur de l’effet.

Deux constats renforcent les doutes. D’une part, les loyers pris en compte pour le calcul des aides : 77 % des bénéficiaires s’acquittent désormais d’un loyer supérieur au montant plafonné, dont 91,5 % dans le parc locatif privé. Une disposition adoptée en 2016 permet d’ailleurs de rendre l’aide dégressive si le loyer est excessif.  Où est alors la confiscation des aides ?  D’autre part, sur la période récente, l’évolution des loyers a faibli, atteignant 0,2 % depuis 2014 et les aides continuent pourtant d’augmenter…

Au final, peut-on réformer les aides personnelles au logement ?

Les propositions du Cepremap d’intégrer les aides au logement dans les minima sociaux sous forme d’une « majoration logement » permettraient de déconnecter ces aides des loyers et d’affaiblir l’éventuel effet inflationniste. La Cour des comptes, qui reprend à son compte cette proposition, reconnaît toutefois qu’elle ne ferait qu’aggraver l’injustice fondamentale entre les occupants des logements sociaux et ceux du parc privé et accentuerait encore une orientation déjà prononcée des aides de lutte contre la pauvreté. Ces perspectives n’apparaissent pas socialement raisonnables, pas plus, d’ailleurs, au vu de la population couverte, qu’une réduction drastique des aides.

Restent des pistes de réforme plus modestes mais plus équitables : modifier le barème des aides pour tenir compte davantage des taux d’effort, supprimer progressivement les aides aux faibles taux d’effort et mieux égaliser les situations entre secteur social et privé, tout en généralisant dans les grandes villes la mise en place de l’encadrement des loyers prévu à Paris et à Lille et en renforçant les dispositions existantes sur les loyers excessifs.

Reste aussi le cas, jamais traité, des aides versées aux étudiants : c’est le public pour lequel, comme le remarque un groupe de travail de 2015 de l’Assemblée nationale, les effets redistributifs sont les moindres et les effets inflationnistes certains. Même si l’attribution à des jeunes d’une aide propre en dehors de toute prise en compte de la famille relève d’une politique de la jeunesse séduisante, nous n’en avons pas les moyens. Il faut donc tenir compte des revenus des parents mais aussi de leur éloignement.

Contrairement à une idée reçue, les aides personnelles au logement ne représentent donc pas le gisement d’économies dont rêvent les budgétaires, sauf à mener une politique socialement très dure. La reprise économique et la baisse du chômage peuvent en limiter la charge mais il faudra trouver ailleurs le moyen d’équilibrer les comptes de l’Etat.

[1] Défini par Benoist Apparu à la fin des années 2000 sur le modèle du « Housing first » mis en œuvre aux Etats-Unis, la doctrine considère que le logement est une condition de la réinsertion et qu’il faut donc assurer en priorité aux personnes sans domicile un logement stable en leur évitant des hébergements d’urgence précaires et provisoires.

[2] Evaluation des aides personnelles au logement, IGAS et mission nationale de contrôle et d’audit des organismes de sécurité sociale, 2012, L’impact des aides au logement sur le secteur locatif privé, Insee Analyses, 2014, Les aides personnelles au logement, Cour des comptes, juillet 2015, Les aides personnelles au logement locatif, Mission d’évaluation de la politique du logement confiée à  l’inspection générale des finances à  l’inspection générale des affaires sociales et au  conseil général de l’environnement et du développement durable, 2015, Réformer les aides personnelles au logement, Institut des politiques publiques, 2015.

[3] Le taux d’effort est le pourcentage du revenu disponible consacré à une dépense. Il est dit net lorsqu’il tient compte des aides personnelles au logement.

[4] Source : minima sociaux et prestations sociales, DREES, Edition 2016

[5] Le logement en France, Insee, Edition 2017

[6] Le logement en France, Insee, 2017

[7] Les aides au logement sont-elles inflationnistes ? A. Bouteille, Aides personnelles, vers une intégration dans les minima sociaux, J. Bosvieux, in Politique du logement, octobre 2015.