La réforme du droit du travail contenue dans les 5 projets d’ordonnances publiés le 31 août est présentée par le gouvernement comme une réforme sociale d’une ampleur inégalée[1], tandis qu’elle est assimilée par la CGT à « la fin du contrat de travail » et par Martine Aubry à une réforme thatchérienne des années 80 (« généralisation des CDD », « droit donné à l’employeur de changer de motif de licenciement quand le salarié se défend trop bien », « possibilité de mettre à bas toutes les dispositions des accords de branches par un accord d’entreprise »[2]). Outrance systématique (surtout du côté des opposants), les stratégies de communication n’ont pas beaucoup changé depuis les débats sur la loi travail du 8 août 2016. Toutefois, cette fois-ci, le gouvernement reconnaît (il a raison) que la modification du droit du travail ne suffira pas à créer des emplois (il y faudra selon lui un ensemble de réformes (formation professionnelle, apprentissage, assurance chômage…). Surtout les organisations syndicales sont à la fois plus réservées (la CFDT) et moins batailleuses (FO), seule la CGT restant sur une ligne d’opposition frontale.
L’inspiration des ordonnances est à l’évidence « libérale » : elles font reculer la ligne d’application d’un droit « général » à toutes les entreprises et elles laissent aux partenaires sociaux des marges de choix, celles de passer (ou pas) un accord collectif pour assouplir le droit étatique. Reste toutefois à les juger en opportunité. La réforme prévue étant multifaces, il faut examiner les principales mesures une par une, en s’efforçant d’étayer un jugement qui reste, par définition, contestable.
Les mesures plaidables, voire intéressantes
Les ordonnances 2017 harmonisent ces accords mais surtout elles en élargissent le recours aux « nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ». Elles permettent, dans tous les cas, de modifier les rémunérations, le temps de travail et les conditions de mobilité professionnelle et géographique. Les dispositions de ces accords majoritaires se substituent aux dispositions contraires du contrat de travail, la différence avec la situation antérieure étant que le salarié qui refuse cette adaptation n’est plus licencié pour motif économique, ce qui limite ses droits pendant sa période de chômage. Il bénéficie toutefois de l’inscription de 100 heures de formation sur son compte personnel de formation.
Comme lors des débats de 2015 et 2016 sur la loi travail, deux lectures de ces dispositions sont possibles : l’on peut regretter que le droit devienne flexible selon la situation et la stratégie de l’entreprise et fasse prévaloir, sur la protection des salariés, l’assouplissement des conditions d’emploi pour une meilleure adaptation au marché. Les ordonnances autorisent celle-ci plus franchement et l’ouvrent à des cas moins exceptionnels. L’autre lecture souligne que les dispositions controversées ne font qu’ouvrir des possibilités (bien que le dispositif d’accords dérogatoires à la loi existe depuis 2013 voire 2004, leur développement est extrêmement limité), qu’elles ne s’appliqueront que sur accord collectif majoritaire (signé par les organisations syndicales ayant obtenu au moins la moitié des suffrages aux élections professionnelles), qu’il sera possible d’obtenir des contreparties et qu’il vaut mieux protéger l’emploi existant que de faire face trop tard à des reconversions. Il est de plus difficile d’être favorable au développement du dialogue social et de le confiner à la seule obtention d’avantages complémentaires pour les salariés : ici, le dialogue social s’invite dans les choix stratégiques de l’entreprise. Quant au changement dans la nature du licenciement en cas de refus des dispositions de l’accord, l’objectif est d’inciter les salariés à se plier au respect d’une règle adoptée majoritairement.
L’on a beaucoup dit que l’habilité du gouvernement en 2017 avait été de laisser une place aux branches plutôt que de se focaliser sur les seuls accords d’entreprise. En réalité, la loi El Khomri de 2016 l’a déjà fait, même si ces dispositions sont, à l’époque, passées inaperçues. Cette loi entendait réduire le nombre des branches (de 750 à 200 en 3 ans) pour redynamiser un dialogue social souvent atone à ce niveau (les ordonnances accélèrent le mouvement). Elle formalisait déjà leurs missions, leur donnant déjà la possibilité de fixer les garanties minimales dans certains domaines (salaires, classifications, garanties collectives complémentaires…). Cependant, les ordonnances ajoutent aux compétences des branches des points importants et nouveaux, jusqu’ici réglés par la loi : les branches peuvent encadrer le recours aux contrats courts (renouvellement, délai de carence) et aux nouveaux contrats de chantier. Pour autant, il est douteux que des accords de branche répondent aux souhaits du patronat d’assouplir encore davantage les règles dans les branches fortement consommatrices en CDD. Il ne se passera peut-être (sans doute) rien du tout…Ajoutons toutefois que la mesure entre en résonnance avec la récente convention d’assurance chômage : celle-ci prévoit que la mesure d’augmentation des cotisations chômage des employeurs ne pourra être levée que si les branches les plus touchées par la précarité mettent en place, par négociation, des solutions en faveur de la « régulation » des contrats à durée déterminée d’usage.
Dispositions qui altèrent les droits des salariés
Les interrogations
Conclusion d’ensemble
Les ordonnances permettent d’adapter, par accords collectifs majoritaires, un droit du travail jusqu’alors uniforme. Elles cherchent aussi à le simplifier et, c’est vrai, donnent des gages aux entreprises, parfois de manière symbolique plus que pratique (référendum des petites entreprises), parfois au détriment des salariés (appréciation des difficultés économiques des entreprises, pénibilité). Leur objectif n’est pas de développer rapidement l’emploi (le gouvernement n’est pas naïf, même si la confiance compte dans les décisions économiques) ni même sans doute d’enrichir le dialogue social (les entreprises hésiteront à court terme à se saisir des outils proposés). Grand regret, les ordonnances sont muettes sur l’association des représentants des salariés au pilotage des organisations, ce qui aurait été un moyen de renforcer leur poids. Leur objet principal est de faire passer aux entreprises un message positif, surtout aux PME : on le voit aussi à de nombreux détails, la tolérance à l’égard des erreurs de forme dans les lettres de licenciements ou l’obligation d’adapter l’extension des accords de branche aux petites entreprises. L’objectif n’est négligeable ni sur le plan économique ni sur le plan social : si la France aimait ses entreprises, les représentants patronaux seraient peut-être moins primaires, plus ouverts, plus corrects aussi envers les représentants syndicaux. Dans leur ambivalence, les ordonnances suscitent ainsi des regrets mais aussi de l’espoir.
[1] Dossier de presse du Ministère du travail (« Renforcement du dialogue social, présentation des ordonnances en application de la loi d’habilitation »)
[2] Interview sur France-Inter, 6 septembre 2017
[3] Il s’agit, pour des professions où le rythme de travail est irrégulier, de définir une durée du travail « équivalente » à la durée légale.
[4] Le contrat de chantier est en fait l’équivalent du contrat de mission (il est conclu dans un objectif circonscrit), sauf qu’il s’agit d’un CDI à motif de rupture prédéterminé (la fin de la mission), ce qui revient au même tout en offrant à l’entreprise plus de souplesse sur la durée.