Où en est la transition écologique de Nicolas Hulot?

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Où en est la transition écologique de Nicolas Hulot?

En juin dernier, l’arrivée de Nicolas Hulot au gouvernement a surpris positivement ceux qui avaient regretté la faiblesse de l’engagement du candidat Macron sur les questions d’écologie. Certes, le programme présidentiel reprenait les objectifs de la loi de 2015 sur la transition énergétique et prévoyait d’aligner la fiscalité du diesel sur celle de l’essence. Mais il existe deux manières de construire un programme dans le domaine de l’écologie : soit faire une liste de décisions à prendre, en considérant l’écologie comme un secteur d’action comme un autre (ainsi, Alain Juppé promettait d’organiser « la transition vers de nouvelles énergies » et d’aider les transports propres), soit considérer que l’écologie impose, par cohérence, une transition énergétique accélérée, une reconversion de l’agriculture et de l’industrie, la mise en place de circuits de distribution courts, un renoncement aux projets d’infrastructures lourdes et une mutation de la fiscalité pour encourager les économies d’énergie et décourager la pollution. Emmanuel Macron appartient à l’évidence au premier groupe : il a été un lecteur si peu averti de la loi de transition énergétique que son programme fixe des objectifs (« doubler la capacité en solaire photovoltaïque » d’ici à 2022) inférieurs à ceux définis dans la programmation pluriannuelle de l’énergie d’octobre 2016, qui évoque un triplement. L’on était donc curieux de voir comment un ministre écologiste inventerait une 3e voie acceptable par un gouvernement sans doute conscient des enjeux climatiques, mais indifférent à un projet de société qui lui apparaît probablement comme un fatras bien compliqué et pas très « business friendly ».

Aujourd’hui, l’inquiétude est réelle. Le plan climat présenté le 6 juillet n’est pas le catalogue de bonnes intentions que l’on a dit. Pour autant, c’est un document inégal et qui laisse sur sa faim (I). Lourde erreur, la publication de la stratégie de transition énergétique est annoncée pour fin 2018 (II). L’écologie est par ailleurs déjà marginalisée dans les décisions interministérielles, défaite malheureusement décisive (III).

Le plan climat : beaucoup d’annonces, peu d’avancées réelles

Dans le plan climat, est prévue une loi mobilité, présentée de manière très générale : le Président de la République l’évoque comme une loi de programmation des infrastructures lourdes, insistant sagement sur le fait qu’il va falloir renoncer à des projets disproportionnés non financés pour privilégier l’entretien des infrastructures actuelles et mettre en place des services de proximité. Le plan climat évoque quant à lui une loi qui traitera de la « tarification des usages de la route » (il faut être attentif pour comprendre qu’il s’agit là d’un projet de péage poids lourds) et un développement des mobilités douces (là aussi, l’objectif reste vague).

 

Une feuille de route pour l’économie circulaire est annoncée pour 2018, sans beaucoup de précision, sauf que le gouvernement vise, « à terme », une économie 100 % circulaire ;

 

Le plan comporte plusieurs pages sur l’appui à la mise en place de la COP 21. Il n’évoque qu’une action diplomatique. Or, l’enjeu n’est plus de convaincre mais de donner aux pays pauvres les moyens d’agir.

 

De manière plus concrète, sont annoncées des mesures qui devraient figurer dans le prochain plan pluriannuel d’investissement de 50 Mds, sachant toutefois que ce plan porte également sur la santé, les transports, la formation, le numérique, l’agriculture… Rien de bien nouveau toutefois : un système d’aides à la rénovation thermique déjà annoncé en 2015; une prime à la transition pour inciter au remplacement des véhicules anciens qui renforcera le bonus-malus actuel ; un fonds pour la mobilité durable pour soutenir des projets « propres » ; l’augmentation, sans autre précision, du fonds chaleur (réclamée par les industries d’énergies renouvelables), pour aider le développement de la géothermie ou du solaire ; la fermeture pour 2022 des quelques centrales à charbon qui existent encore, déjà annoncée par Emmanuel Macron dans la campagne et, au demeurant, déjà programmée pour 2023 dans la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie) d’octobre 2016 (on gagne un an) ; le rapprochement du prix de l’essence et du diesel sur le quinquennat (la mesure a été annoncée dès 2015 sur les 5 ans à venir, avec un commencement de mise en œuvre sur 2016 et 2017).

S’ajoute l’interdiction de nouveaux permis d’hydrocarbures, ce qui, de fait, se traduit en septembre 2017 par un projet de loi qui interdit la prolongation des permis au-delà de 2040 : le caractère symbolique de la mesure est patent, compte tenu de la faiblesse de la production française et du caractère lointain de la date. Enfin est annoncée une accélération de l’augmentation du prix du carbone, mais sans chiffre, le plan indiquant sèchement que l’augmentation déjà prévue de la contribution énergie climat (qui doit passer de 30,5 € la tonne de carbone en 2017 à 100 € en 2030) est « insuffisante ». Certes, mais quel est le niveau « nécessaire » ?

Au final, il n’y a pas là de quoi s’évanouir de joie, même si les mesures, souvent déjà engagées, sont raisonnables et utiles. Trop d’annonces restent incertaines. Le plan annonce ainsi que la France soutiendra une révision rapide et ambitieuse du mécanisme européen de quotas d’émission censé freiner les émissions des entreprises : l’inefficacité du dispositif est connue, les causes en sont bien identifiées et la réforme s’est engagée, à une allure de sénateur, depuis 2015. La France peut-elle accélérer le processus et faciliter un accord entre des positions divergentes des Etats ? Cela n’engage à rien de le promettre.

Le plan contient également des annonces « en l’air » : il en est ainsi de la neutralité carbone prévue pour 2050 (la loi de transition énergétique était moins ambitieuse) et de la fin des voitures émettant des GES pour 2040, grâce à l’institution au niveau européen, d’une norme Euro 7. Comment réaliser ces ambitions ? On ne sait pas trop. C’est la méthode COP 21, où l’on annonce d’abord les objectifs et où on cherche ensuite le chemin à prendre pour les atteindre. Le plan annonce qu’il va falloir reconstruire une stratégie pour y parvenir et qu’il prendra son temps. Il est vrai que la stratégie précédente de 2015 était boiteuse.  Reste que en reporter à fin 2018 la publication est dangereux.

Différer la stratégie : une erreur

Rappelons la stratégie actuelle. La loi de transition énergétique du 17 août 2015 définit des objectifs quantifiés dans le domaine de l’énergie : la part du nucléaire dans la production totale d’électricité devra passer à 50 % maximum à horizon 2025, sachant que parallèlement, la part des énergies renouvelables devra atteindre en 2030 32 % de la consommation énergétique finale et 40 % de la production d’électricité. La loi prévoit, sur cette base, l’établissement d’une programmation de l’énergie pour dessiner le chemin permettant d’atteindre ces objectifs. Or, toute programmation respectueuse des engagements de la loi qui ne réduirait pas fortement le parc de centrales nucléaires à l’horizon 2025 (la Cour des comptes évoque la fermeture de 17 à 19 réacteurs) serait, dans le contexte annuel de stagnation de la consommation d’électricité, irréaliste. Le gouvernement socialiste n’a pourtant rien voulu annoncer sur ce sujet sensible, sauf la fermeture de Fessenheim (encore a-t-il acté qu’elle serait conditionnelle). Après avoir retardé à plusieurs reprises la publication promise, la ministre en charge de l’environnement à l’époque a publié la feuille de route des énergies renouvelables jusqu’en 2023 et repoussé la feuille de route du nucléaire. Le problème est que les choix relèvent de vases communicants : ce que le nucléaire prendra, les énergies renouvelables ne l’auront pas. La programmation de 2016 n’a donc pas de sens.

Interrogé en début d’été 2017, Nicolas Hulot a semblé considérer que, puisque la loi l’imposait, la fermeture de 17 réacteurs nucléaires d’ici à 2025 était envisageable. Puis, dans une interview au Parisien du 12 septembre, il est devenu prudent, promettant seulement de remettre tout à plat et d’élaborer pour 2018 une programmation, fondée sur des critères rationnels et qui sera alors « irréversible ».

Sur le fond, il est probable que la loi de programmation énergétique n’est pas, telle quelle, applicable et que la fermeture si rapide de 17 réacteurs n’est ni possible, pour des raisons financières et sociales, ni écologiquement raisonnable, si l’on n’est pas certain de la capacité des énergies renouvelables à prendre le relais, ni politiquement acceptable, l’opinion publique, gavée depuis des décennies de propagande nucléaire, restant attachée à cette énergie. Mais l’élaboration d’une stratégie bas carbone et la substitution d’énergies renouvelables à une énergie nucléaire dangereuse et polluante sont des marqueurs d’une politique écologique. Il ne s’agit pas d’un dossier technique, à construire minutieusement sur des critères objectifs et irréfutables : il s’agit d’abord d’un choix, qui ne sera jamais consensuel. Nul besoin de 18 mois pour le prendre, au risque fou de perdre l’élan politique nécessaire. En revanche, il faut ensuite le porter devant l’opinion publique et en négocier les conditions d’application.

 Une interministérialité défaillante

Le plan climat s’ouvre sur l’éloge de la mobilisation du gouvernement dans son entier en faveur du plan climat. Tous les signes témoignent pourtant de réticences gouvernementales nettes.

Passons sur le dossier de Notre dame des Landes, soumis à une nouvelle expertise, comme si des experts avaient la clef de choix profondément politiques. Il est vrai qu’il s’agit d’une promesse de campagne, destinée à apaiser. Mais toutes les expertises sont déjà sur la table : pour sortir des contradictions, un nouveau rapport d’expertise remis en 2016 concluait, sans doute raisonnablement, qu’il fallait soit aménager l’ancien aéroport, soit limiter les ambitions du projet de reconstruction. Faut-il faire semblant d’hésiter plus longtemps ?

Le dossier du CETA (« accord économique et commercial global ») entre l’union européenne et le Canada est, quant à lui, très parlant : les écologistes (Nicolas Hulot le premier) ont émis un avis défavorable sur ce traité dont ils soulignaient les risques pour l’environnement et la santé publique. Le candidat Emmanuel Macron avait promis une expertise et évoqué la possibilité de modifications si cette expertise se révélait réservée. Le rapport d’expertise, rendu en septembre, souligne les « risques du traité sur la transition écologique en agriculture » et les « exigences moindres » du Canada sur les pesticides, les OGM ou les perturbateurs endocriniens. Mais on découvre alors que le traité est signé, ratifié et que l’on est contraint de l’appliquer. Restent de fumeuses perspectives d’un second traité franco-canadien pour corriger le précédent (signé par l’Union), auxquelles personne ne croit. L’épisode est un mauvais signe.

Attendons aussi la future loi sur le logement, qui annonce vouloir assouplir les normes pour accélérer les constructions et limiter les coûts : comment traitera-t-elle des normes environnementales ? Contiendra-t-elle des dispositions sur l’urbanisme et contre l’extension continue d’un espace périurbain qui rogne sur les espaces naturels ?

Enfin, le plan climat aborde peu les questions agricoles : il se repose sur les Etats généraux de l’alimentation pour traiter de la réduction des engrais azotés et élaborer un plan d’action contre l’artificialisation continue des sols. Parions que, lors de ces Etats généraux, la question des relations entre les agriculteurs et l’industrie agro-alimentaire prévaudra sur la remise en cause du modèle agricole dominant. Au demeurant, les prises de position du ministre de l’agriculture, favorable aux insecticides néonicotinoïdes et qui considère l’élevage intensif des poules comme une fatalité sans lien avec la contamination des œufs aux pesticides, augurent mal de l’avenir. Or, pour tout projet écologique, un changement radical dans les pratiques agricoles est incontournable : la protection de la biodiversité, de la qualité des eaux, de la qualité de l’alimentation en dépend.

 

♢♢♢♢♢

En 2016, la Fondapol a dégagé des règles à respecter pour qu’une politique publique réussisse[1]. La politique doit avoir été préparée techniquement avant d’être publiée, pour apparaître concrète et réduire les incertitudes :  les annonces floues sont à éviter. Cette préparation doit permettre de construire un argumentaire sur les gains de la réforme et de préparer éventuellement des compensations pour les « perdants ». Elle doit permettre aussi une application rapide une fois la décision prise. Les réformes ne sont jamais « techniques » : elles doivent s’inscrire dans un projet politique repéré et explicite, donner du souffle, traduire une vision à long terme de la société, bref, avoir du sens. Le gouvernement doit être soudé pour la promouvoir. Le calendrier est décisif : au départ, les réformes emblématiques dont on attend des résultats. Il faut éviter en tout cas les réformes à petits pas ou trop séquencées. La conclusion est claire : pour l’instant, Nicolas Hulot n’a pas encore échoué, mais il est vraiment très exposé.

 

[1] « Gouverner pour réformer, éléments de méthode », Fondation pour l’innovation politique, 2016, voir le blog Pergama du 18 mai 2017 « Réformer, oui, mais comment ? ».