Stratégie nationale de santé: quelle utilité?

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Stratégie nationale de santé: quelle utilité?

Dans une relative indifférence, la ministre des Solidarités et de la Santé a présenté le 18 septembre 2017 les priorités de la nouvelle stratégie nationale de santé. Rappelons que la loi du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé prévoit que « La politique de santé est conduite dans le cadre d’une stratégie nationale de santé définie par le Gouvernement […qui] détermine, de manière pluriannuelle, des domaines d’action prioritaires et des objectifs d’amélioration de la santé et de la protection sociale contre la maladie ». Il s’agit donc, en théorie du moins, d’un cadrage essentiel.

Quelles priorités de santé pour les 5 ans à venir ?

L’idée de regrouper des priorités de la politique de santé dans un document spécifique est née de la première vraie grande loi de santé publique, la loi du 9 août 2004. La politique oscillait jusqu’alors entre la volonté de gérer l’accès aux soins (à moindre coût si possible) et le développement distinct d’actions de prévention traditionnelle, campagnes de communication ou mobilisation de médecines spécialisées. La loi a marqué un changement décisif : au-delà du bon niveau des grands indicateurs (espérance de vie, mortalité infantile) et des réussites d’un système de soins performant dans la lutte contre les grandes pathologies infectieuses, cardiovasculaires et dégénératives, elle souligne les fortes inégalités de santé sociales et territoriales. Elle prend de la santé une vision collective et globale (« populationnelle »), insistant sur les responsabilités de l’Etat pour réduire, tout à la fois par les soins, la prévention et la qualité de prise en charge, l’impact des déterminants de santé, âge, revenu, diplôme et appartenance socio-professionnelle, environnement, alimentation. La loi visait l’atteinte de résultats et fixait, dans un rapport annexé, des objectifs de santé quantifiés à 5 ans, réduction de tel type de mortalité ou de telle pathologie, diminution de l’exposition à tel facteur de risque ou amélioration de la qualité des soins. Cependant, la loi a été, à juste titre, critiquée, notamment lors du bilan dressé en 2010 par le Haut conseil de santé publique (HCSP) : objectifs trop nombreux (100), souvent difficilement évaluables, foisonnement de plans et de programmes au niveau national ou régional, dans lequel, au quotidien, les prestataires de soins ne se sont pas retrouvés.

Avec sagesse, la Cour des comptes, dans un rapport de 2011 sur la prévention, tout en rendant hommage à une loi ambitieuse, propose de « sélectionner quelques priorités de santé publique et les mettre en œuvre dans le cadre d’un nombre restreint de plans structurés disposant de moyens financiers propres ». Cet objectif sera repris dans le quinquennat 2012-2017, sans que la ministre de la santé d’alors, empêtrée dans des conflits avec les professions médicales et des hésitations de fond, parvienne à définir officiellement les priorités retenues.

Les priorités de septembre 2017 ont été choisies, selon la nouvelle ministre, sur le fondement d’un rapport remis par le Haut conseil de la santé publique. Celui-ci a identifié quatre grands problèmes de santé : les risques sanitaires liés à l’exposition à des polluants ou toxines, les risques infectieux, l’augmentation de la prévalence des maladies chroniques et l’adaptation du système de santé aux enjeux démographiques, épidémiologiques et sociétaux. Comprenne qui pourra, ces quatre priorités sont devenues, dans la présentation de la ministre, en premier le développement de la prévention et la promotion de la santé, ensuite la lutte contre les inégalités sociales et territoriales d’accès à la santé, en troisième lieu l’amélioration de la pertinence et de la qualité des soins et enfin l’innovation en santé, soit, au lieu de priorités cernées, des objectifs transversaux très généraux. Quoi qu’on pense du choix du Haut Conseil, qui met sur le même plan le développement des maladies chroniques (déjà plus de 10 millions de personnes atteintes) et l’affaiblissement des traitements antibiotiques, il tentait de cibler des problèmes de santé. La ministre préfère la prévention, la réduction des inégalités et la qualité, proclamations sympathiques, politiquement porteuses (la référence est claire au programme présidentiel d’Emmanuel Macron, les journalistes comprennent et reprennent) mais très larges. Elle vante « une bonne formation à une alimentation et à des modes de vie sains »[1]. Il est prévu, sur cette seule base, de procéder à une concertation avec les professionnels de santé puis à une consultation de la population. Tout le monde sera d’accord avec ces objectifs bien consensuels. Reste pourtant que les thèmes choisis sont extrêmement difficiles à traiter, comme on peut le voir en prenant l’exemple des inégalités de santé.

Les inégalités de santé, une question essentielle mais « intraitable » ?

Les inégalités de santé : le cœur de la santé publique

Il est loisible d’établir un état de santé de la population en utilisant des données générales[2] : espérance de vie en hausse mais limitée, pour les hommes, par l’importance de la mortalité prématurée avant 65 ans (accidents et consommation d’alcool et de tabac conduisant à des pathologies graves, cancers ou maladies cardiovasculaires), même si celle-ci baisse ; incidence et prévalence en hausse des maladies chroniques liées aux mêmes causes, mais aussi à la montée du surpoids et de l’obésité (52 % des hommes et 40 % des femmes), à une alimentation de mauvaise qualité et à une faible activité physique  ; fréquence importante des troubles mentaux. Toutefois, on s’aperçoit, dès que l’on utilise un « gradient social » sur tous les items, que ce sont toujours les personnes diplômées et les catégories socioprofessionnelles supérieures qui s’en tirent le mieux et toujours les catégories à revenu moyen ou bas qui cumulent pathologies graves (leur risque de cancers et de maladies cardiovasculaires est plus élevé) et exposition aux facteurs de risques (tabac, obésité, faible recours aux soins de prévention, pénibilité au travail). La répartition sociale de l’obésité est frappante dès l’école maternelle, le tabac est un marqueur social et les conditions de travail ont une forte importance (40 % des salariés, soit 8 millions de personnes, sont exposés à au moins un facteur de pénibilité et 12 % à un facteur cancérogène). Les écarts d’espérance de vie à 35 ans (6 ans si l’on prend en compte l’écart entre cadres et ouvriers, 7,5 ans entre les diplômés du supérieur et les personnes sans diplômes) ne se réduisent pas depuis 30 ans, même si partout l’espérance de vie progresse. Le Haut conseil de santé précise dans son rapport 2017 que les inégalités ne concernent pas seulement les plus précaires mais que le gradient traverse tous les niveaux sociaux. Les conclusions sont claires :  séparer prévention et lutte contre les inégalités sociales, premier problème de santé publique, n’a pas de sens.

Quelle place dans les plans de santé publique ?

Très présentes dans les bilans sur l’état de santé de la population depuis 2004, les inégalités sociales devraient être au cœur des plans de santé publique. En réalité, elles le sont très inégalement et, sur ce point, le diagnostic établi par un rapport de l’IGAS en 2011[3] est toujours largement exact. Il n’existe pas ; dit-il, de stratégie nationale explicite, sauf sur les difficultés financières d’accès aux soins (encore est-elle imparfaite compte tenu des honoraires libres des spécialistes et des coûts de dentisterie et de lunetterie). A peu d’exceptions près (le rapport de l’IGAS signale les programmes de prévention bucco-dentaire de l’assurance maladie ou des actions locales, notamment communales), les plans de santé publique s’adressent à toute la population, avec le résultat paradoxal (on l’a vu sur des programmes portant sur l’obésité des enfants ou les campagnes de promotion de la santé de l’INPES) d’accroître parfois les inégalités de santé puisque les catégories les moins concernées sont les plus réceptives, tandis que les autres restent indifférentes. Enfin, les actions sont souvent très « sanitaires » et s’interrogent peu sur les véritables déterminants d’une mauvaise alimentation et, encore moins, sur les causes de l’usure prématurée. Une étude de l’université d’Oxford de 2015[4] examine les programmes de lutte contre les inégalités sociales de santé en Europe. Elle constate que ceux-ci sont mal évalués, impliquant au demeurant très peu les distributeurs de soins primaires, et que nombre d’entre eux sont sans impact prouvé : les programmes éducatifs sont inadaptés, ceux centrés sur l’accès financier aux soins peu efficaces, tout comme les programmes sur la bonne prise en charge des maladies. L’étude suggère de choisir des approches différentes, interdisciplinaires, très ciblées sur les populations à atteindre et beaucoup plus énergiques.

De fait, telle est bien la facette décevante de la prévention : elle se légitime trop par elle-même, avec un objectif apparemment tout simple de « redressement des pratiques » (l’étude d’Oxford parle de la tendance à confondre prévention et discours éducatif). De plus, la question du coût est mal abordée (les actions de prévention sont souvent coûteuses et rarement économes), la qualité est parfois négligée (la Cour des comptes cite les dépistages systématiques sur le cancer du sein). Enfin, les discours de prévention n’empêchent pas les inégalités de se maintenir et d’augmenter, ce qui devrait interroger les décideurs.

S’interroger sur les difficultés, les outils et les actions

Les difficultés sont d’abord liées à la faiblesse de la prévention en milieu de travail. Sur ce point, on souhaite bien du courage à la ministre quand elle annonce vouloir élaborer un plan national de santé publique impliquant tous les ministères et traitant tous les aspects : elle prendra alors la mesure de la difficile prévention des maladies professionnelles, d’une pénibilité au travail mal combattue, de l’exposition persistante aux risques chimiques, de l’importance cruciale des risques psycho-sociaux…dans un domaine qui bouge peu et se contente de médiocres résultats.

La difficulté vient aussi du poids de l’histoire personnelle : les individus héritent des comportements à risques de leurs parents (l’IRDES montre que les enfants de fumeurs fument davantage et que le risque d’obésité à l’âge adulte est lié au statut social de la mère[5])  et qu’ils sont d’autant moins disponibles aux recommandations de prévention qu’ils ont d’autres soucis à résoudre, emploi, argent, logement, éducation des enfants. Fumer devient alors une consolation nécessaire et manger un plaisir dont on ne se privera pas. La rationalité de long terme est souvent hors de portée…

Enfin, le système de santé porte sa part de responsabilités : une étude de 2015 sur la mortalité infantile en Seine saint Denis (nettement plus élevée que la moyenne nationale) montre que, certes, tous les facteurs de risques étaient réunis dans les décès étudiés (grande précarité et obésité des mères) mais que c’est surtout le suivi de la prise en charge qui a été défaillant, avec une absence de coordination entre les différents soignants et une prévention essentiellement médicale, sans vérification que les mères, qui souvent parlaient mal le français, comprenaient les consignes et pouvaient raisonnablement les appliquer. L’étude estime que la moitié des décès d’enfants était évitable…C’est aux soins de s’adapter, pas au patient.

De fait, tout ce qui, dans un système de santé, va vers une médecine de proximité intégrée (centres de santé, maisons de santé), vers des pratiques collectives, partagées, moins centrée sur les actes, va dans le sens de la prévention. Mais comment imposer de tels changements à un système de santé dont l’organisation et les objectifs sont autres ?

S’interroger sur les outils et les actions

La ministre annonce que le prix du tabac va être augmenté et que les vaccinations obligatoires seront multipliées. Pourquoi pas : la Cour des comptes note, dans son rapport annuel de 2016, que, même si un plan cohérent de lutte contre le tabac a été mis en place en 2014, les indicateurs d’addiction bougent peu et que la consommation est repartie à la hausse en 2015. La contrainte peut donc jouer un rôle positif même si elle reste une politique courte. Pour autant, pour des résultats de long terme, la littérature qui s’interroge sur l’efficacité d’une politique de prévention insiste davantage sur d’autres points :

  • L’intégration dans les soins de la préoccupation de prévention, sachant que l’efficacité semble meilleure quand il s’agit d’un médecin de proximité, connu, qui prend le temps de discuter et comprend les problèmes sociaux ;
  • Le ciblage : le rapport de l’IGAS sur les inégalités de santé cite le recentrage des interventions prénatales sur les populations à risques (les autres femmes n’en ont guère besoin) et l’intervention précoce et intense auprès des enfants exposés ;
  • Le recours aux pairs dans les organisations communautaires ;
  • L’intégration de la préoccupation de lutte contre les inégalités dans toutes les politiques ;
  • Et l’évaluation, pour identifier les méthodes efficaces.

La santé se situe en amont du système de soins, dans les conditions de vie et de travail des individus, ce qui la rend particulièrement difficile à améliorer. Le pire serait de méconnaître les difficultés de l’action et d’ânonner un discours sur les bienfaits du discours préventif. Aujourd’hui, les annonces de la ministre, succinctes et convenues, ne la protègent guère de ce risque.

[1] Stratégie nationale de santé, dossier de presse, 18 septembre 2017

[2] L’état de santé de la population en France, rapport 2017, DREES et Santé publique France (la présentation générale est suivie d’un focus sur les inégalités)

[3] Les inégalités sociales de santé, déterminants sociaux et modèles d’action, IGAS, mai 2011

[4] Interventions addressing health inequalities in European regions: the AIR project, Oxford Academic, Health Promotion International, Volume 32, Issue 3, 1 June 2017, Pages 430–441.

[5] Questions d’économie de la santé, IRDES, mai 2010