Sécurité sociale, un projet économique à compléter

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Sécurité sociale, un projet économique à compléter

Il sera difficile de dénier sa cohérence, voire même son ambition, au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 (PLFSS). Comme pour le projet de loi de finances de l’Etat pour 2018, les cibles sont assez claires : des dispositions favorables aux actifs (au nom d’un objectif : le travail doit « payer ») ainsi qu’aux entreprises, même si le réalisme oblige à les étaler, et un soutien, mesuré mais réel, aux catégories pauvres ou précaires. Cependant, le retour à l’équilibre financier, affiché, est, quand on regarde de près, fragile. De plus, le PLFSS 2018, s’il est clair sur ses objectifs économiques, ne dessine pas une stratégie sur le système de protection sociale proprement dit : manquent la garantie de la solidité financière de moyen terme, des choix clairs sur l’organisation de la protection sociale, des précisions sur les réformes structurelles envisagées.

Le PLFSS 2018 :  des mesures plaidables

 Les mesures du projet de loi consistent :

  • A avantager les actifs, surtout les actifs modestes, par rapport aux retraités : c’est le sens du basculement des cotisations salariales, qui vont baisser en 2018 en maladie et en assurance chômage (- 3,15 points) tandis que la CSG, qui finance les divers régimes de sécurité sociale, va augmenter de 1,7 points. Cette bascule n’a pas pour objet principal d’augmenter les prélèvements mais de modifier les contributeurs. L’assiette de la CSG englobe en effet, outre les revenus d’activité, les revenus du capital et certains revenus de remplacement, telles les retraites, avec des taux différenciés selon leur montant. Seuls seront touchés par l’augmentation de la CSG les retraités dont le revenu dépasse 14 374 €. Quant aux revenus du capital, ils supporteront également la hausse de la CSG (ils sont dans l’assiette) mais les mesures figurant dans la loi de finances 2018 (institution d’un prélèvement forfaitaire unique de 30 % qui se substitue, pour les revenus du capital, au barème de l’impôt sur le revenu) leur sont favorables. Les retraités quant à eux protestent, du moins certains : mais ils ont toujours bénéficié d’un taux de CSG inférieur au taux qui frappait les revenus d’activité (6,6 % au lieu de 7,5 %), même les plus aisés, sans justification raisonnable, et, par ailleurs, les retraites de base ne supportent pas de cotisation maladie. A revenu égal, la situation actuelle n’est pas équitable, d’autant que les catégories qui supportent le taux de pauvreté le plus élevé sont les jeunes, pas les retraités, beaucoup moins touchés.

Au-delà de la volonté de redonner du pouvoir d’achat aux actifs, la mesure traduit aussi une philosophie intéressante : la France se singularise par une structure particulière de ses prélèvements puisque c’est un pays où, malgré la création d’impôts affectés à la sécurité sociale, pour l’essentiel la CSG, la part des cotisations sociales versées aux administrations publiques reste élevée. La mesure contribue à atténuer un peu cette part, renforce l’approche selon laquelle tous les revenus doivent supporter un prélèvement social comparable et regroupe des prélèvements éparpillés par une contribution plus large.

  • A renforcer et à rationaliser les allégements de charge en faveur des entreprises : outre les mesures destinées aux entrepreneurs (une première année d’activité sans charges sociales), le PLFSS 2018 inscrit dans la loi la transformation, prévue en 2019, du CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) en allégements de charges. La mesure est de bon sens : le système actuel cumule des exonérations bas salaires immédiatement déductibles allant en biseau jusqu’à 1,6 SMIC avec un crédit d’impôt, versé avec une année de retard et dont l’assiette n’est pas identique : le remboursement correspond à 7 % de la masse salariale dans la limite de 2,5 SMIC. Les deux mesures se recouvrent pour partie…Par ailleurs la loi ira jusqu’au bout d’une logique déjà engagée mais jamais totalement appliquée, celle du « zéro charges » au niveau du SMIC : le Pacte de responsabilité de 2016 a limité les charges de sécurité sociale à ce niveau, gardant essentiellement une part résiduelle de cotisation d’accident du travail. Cependant s’y ajoutent des cotisations patronales chômage et retraites complémentaires (hors champ de la sécurité sociale stricto sensu), dont les salaires au niveau du SMIC seront exonérés à partir de 2019.

L’on comprend que la mesure soit différée : en 2019, l’Etat devra supporter double charge, rembourser le crédit d’impôt dû au titre de 2018 et prendre en charge (en totalité ?) le coût des exonérations de cotisations nouvelles, dont la base est de plus élargie : le CICE ne concernait que les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés, alors que les exonérations de cotisations bénéficieront à toutes. Pour adoucir cette double charge, l’Etat a baissé dès cette année le taux du CICE à 6 % et compte aussi sans doute sur une légère augmentation des sommes soumises à l’impôt sur les sociétés puisque les exonérations de cotisations, contrairement au crédit d’impôt précédent, augmentent les résultats. Pour autant, les charges de l’Etat vont s’alourdir temporairement. La contrepartie positive est la simplification d’un système jugé compliqué, sa pérennisation alors qu’il était jugé fragile et son extension, avec l’espoir de faciliter les créations d’emplois, la seule crainte (mais elle ne s’est pas jusqu’ici vérifiée) étant que certains salariés soient maintenus au niveau du SMIC pour que l’entreprise puisse bénéficier de tels avantages.

  • Enfin, la loi comporte diverses mesures qui accentuent la redistribution envers les catégories les moins aisées: augmentation de l’allocation aux adultes handicapées, augmentation de l’ASPA (allocation de solidarité envers les personnes âgées) et, surtout, amélioration des certaines prestations familiales, en particulier pour les familles monoparentales : l’allocation de soutien familial qui leur est destinée sera revalorisée et l’aide financière à la garde qu’elles touchent augmentée. Les mesures répondent à un vrai besoin : plus d’un tiers des familles monoparentales vit en dessous du seuil de pauvreté alors que notre système de protection sociale se veut traditionnellement très protecteur des enfants : seule jusqu’alors la Cour des comptes protestait vigoureusement contre un système d’aides aux familles qui comporte un quotient familial dont bénéficient les familles les plus aisées (même si l’aide a été plafonnée plus rigoureusement ces dernières années) tout en laissant 20 % des enfants dans la pauvreté.

Le PLFSS 2018 est donc un texte intéressant, porteur d’objectifs politiques clairs. Pour autant, il est incomplet ou court, sur des sujets essentiels.

L’absence de réponse à des questions fondamentales

  • L’amélioration de la situation financière du régime général, seul régime de sécurité sociale, ou presque, pour lequel ce terme ait encore un sens (les autres sont quasiment tous directement ou indirectement subventionnés) est certaine : en 2017, le déficit va se réduire par rapport aux prévisions grâce au dynamisme de la masse salariale (+ 3,3 %) et n’atteindra « que » 5,5 Mds. Encore est-ce en ajoutant, aux 4 branches du régime (maladie, accidents du travail, familles, vieillesse), le déficit du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) qui est un fonds public alimenté par l’impôt et destiné à prendre en charge les dépenses non contributives de la branche vieillesse, fonds que l’Etat a depuis longtemps cessé d’alimenter correctement.

En 2018, le déficit régime général+ FSV devrait se réduit à 2,2 Mds et le régime général stricto sensu, pour la première fois depuis 20 ans, devrait retrouver l’équilibre (+ 1,2 Mds d’excédent)

Cependant, force est de constater qu’il ne s’agit pas là d’un gain pérenne : il est largement assis sur le décalage entre augmentation de la CSG de 1,7 points et baisse des cotisations sociales salariales maladie et chômage (-3,15 points). Si les deux mouvements avaient été concomitants, ils auraient été neutres pour l’équilibre d’ensemble malgré la différence de taux puisque l’assiette de la CSG est plus large et intègre les revenus du remplacement et les revenus du capital. Dès lors que la hausse de la CSG a lieu dès janvier 2018 tandis que la baisse des cotisations est en partie différée en octobre 2018, le différé représente un gain de 3,7 Mds, qui profite très largement au régime général et qui ne sera pas reconductible les années suivantes. La question de l’équilibre financier reste donc entière.

  • Par ailleurs, le projet ne contient aucune économie durable : certes, il met en avant, comme chaque année, 4,2 MDS de réductions de dépenses en maladie, qui sont un peu toujours les mêmes : amélioration des performances internes des établissements (en fait meilleure maîtrise des couts logistiques et des achats), baisse de certains prix et tarifs, promotion des médicaments génériques, impact de la maîtrise médicalisée qui correspond à une baisse volontaire de prescriptions coûteuses et/ou inappropriées des médecins. En fait, ces 4 Mds ne correspondent qu’imparfaitement à des économies. La plupart tendent plutôt à réduire un tendanciel élevé d’augmentation des dépenses : si rien n’était fait, le taux spontané d’accroissement des dépenses d’assurance maladie serait annuellement égal ou supérieur à 4 %. Le maintenir simplement au taux d’évolution de l’année précédente (en 2017, le taux de l’ONDAM, objectif national d’assurance maladie, était de + 2,1 %) implique de couper dans les dépenses à hauteur de 4 Mds environ. Le PLFSS 2018 le fait, tout en se donnant le luxe de desserrer un peu (très peu) la contrainte de l’ONDAM, porté à 2,3 % en 2018. Si l’on voulait obtenir des économies durables et répétitives, il faudrait sans nul doute aller bien plus loin que la liste de celles qui y sont indiquées. Il n’est guère étonnant que le PLFSS ne s’y risque pas : un plan qui toucherait à l’organisation des soins ou aux pratiques professionnelles en usage devrait être annoncé, débattu et n’a pas vraiment sa place dans une loi de financement. Reste que ce travail devra être engagé et sera d’une importance décisive pour l’avenir : à un moment ou à un autre, les rationalisations marginales annoncées dans chaque PLFF finiront par atteindre leur limite et l’on ne saura plus comment maîtriser l’augmentation spontanée des dépenses. Au demeurant, la loi fait quelques annonces, qui semblent timides : le lancement d’expérimentations sur la rémunération des actes et des séjours, un remboursement des soins délivrés en équipe et des mesures favorables à une coopération entre professionnels de santé (médecin et infirmier), toutes mesures attendues et importantes, mais dont on peut craindre qu’elles ne restent marginales. Il en est au demeurant de même pour les autres risques : lze PLFSS est quasiment muet sur la politique des retraites ou en faveur des familles, qui  se dessineront sans doute en 2018.
  • Enfin, l’on ne peut que s’interroger sur la stratégie d’organisation de la sécurité sociale qui sous-tend certaines décisions : le RSI est en voie d’intégration dans le régime général, la cotisation salariale d’assurance chômage est remplacée en 2018 par la CSG et, au niveau du SMIC, en 2019, les entreprises ne supporteront pas les cotisations de retraite complémentaire et d’assurance chômage. Le bouleversement est de taille : les régimes de base de la sécurité sociale vivent sur un mythe : une organisation par régimes professionnels et une gestion des régimes par les représentants des assurés présents au Conseil des caisses nationales et locales. Décider que la protection des travailleurs indépendants sera confiée au régime général, serait-ce en créant parallèlement un « Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants » où seront présents les représentants des travailleurs indépendants pour veiller au bon fonctionnement du dispositif, c’est mettre fin à ce mythe, certes sans grandes conséquences pratiques mais de manière symboliquement forte. La décision est légitimée dans le PLFSS de manière intéressante : le paysage de la sécurité sociale se recompose pour mieux tenir compte de parcours qui peuvent combiner activité salariée et activité indépendante. Reste que l’unification annoncée autour du régime général peut être un vrai bouleversement institutionnel s’il s’amplifie. Par ailleurs, au-delà des régimes de base, les régimes complémentaires de salariés et le régime d’assurance chômage étaient jusqu’alors des régimes conventionnels, reposant sur des accords négociés entre partenaires sociaux et dans lesquels ceux-ci étaient pleinement responsables. Le PLFSS en fait des régimes dans le financement desquels l’Etat intervient au nom de sa légitimité économique, pour remplacer les cotisations salariales par un impôt et exonérer de cotisations certains salaires. On est loin du « vieux monde » où les compétences de chacun étaient respectées. Quelles en seront les conséquences sur le dialogue social ? Sur le poids des responsabilités dont se charge ainsi l’Etat, qui peut tout contrôler mais risque d’en payer le prix ?

Le PLFSS, texte cohérent et porteur d’une vision sur le rôle de la sécurité sociale, est également un texte empli d’annonces non abouties, à suivre de près en tout cas.