Collectivités territoriales: autonomie factice et dépendance réelle

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Collectivités territoriales: autonomie factice et dépendance réelle

Que pèsent les collectivités territoriales ? Dans les dépenses publiques, un poids non négligeable (19,6 %), du moins si l’on prend en compte l’ensemble des administrations publiques locales (APUL), collectivités locales proprement dites et établissements publics locaux. Politiquement, c’est une autre affaire : quelle que soit la présentation qui en a été faite, les multiples lois adoptées ces dernières années n’ont permis ni de simplifier leur organisation ni de clarifier les compétences de manière significative. Les dissensions des associations qui représentent les collectivités avec les gouvernements successifs sont constantes, surtout depuis 2010 : le refus de l’Association des régions de France de continuer à siéger à la Conférence nationale des territoires ou celui des départements d’envisager la renationalisation du RSA n’en sont que les manifestations les plus récentes. Les collectivités jusqu’à présent n’en sont pas vraiment sorties victorieuses : leur dépendance par rapport à l’Etat devient aujourd’hui presque inquiétante. La mission nommée cette semaine pour préparer le « Pacte » entre l’Etat et les collectivités, qui doit notamment porter sur la maîtrise des dépenses locales, la refonte de la fiscalité locale et le financement des allocations de solidarité, peut-elle, dans ce contexte, parvenir à rétablir un équilibre qui ne soit pas de façade ?

 Cour des comptes : des finances locales fragiles

Le rapport 2017 de la Cour des comptes sur les finances locales établit un bilan de la situation financière des collectivités après 3 ans de réduction des dotations de l’Etat : la DGF, dotation globale de fonctionnement (qui ne représente qu’une part des transferts de l’Etat), est en effet passée de 41,5 Mds en 2013 à 33,3 Mds en 2016, soit une baisse de 20 %. Les documents budgétaires de l’Etat (le « jaune » relatif aux transferts financiers de l’Etat aux collectivités territoriales) justifient cette baisse sans états d’âme : ils rappellent que les dépenses des APUL ont progressé de 1983 à 2013 à un rythme annuel nettement plus soutenu que la richesse nationale (+ 5,1 % contre 4 %) et sont passées de 8,6 % à 11,4 % du PIB. Cette croissance des dépenses est loin d’être due aux seuls transferts de compétences occasionnés par les lois de décentralisation : à plus de 40 %, elle résulte de choix de gestion et, pour l’essentiel, à une augmentation des effectifs de la fonction publique territoriale. De 2002 à 2014, le nombre d’agents, hors transferts de compétences, a augmenté de 24 %.

Il est impossible de faire la part, dans l’augmentation des dépenses et des effectifs des collectivités, du laxisme ou du clientélisme d’une part, de la nécessaire remise à niveau des dépenses transférées par l’Etat ou de la réponse aux besoins croissants de la population d’autre part : s’agissant par exemple des départements, l’augmentation constante des dépenses de RSA a pesé sur le budget mais rendu inévitable, parallèlement, des recrutements supplémentaires pour s’occuper de l’insertion des bénéficiaires. Sur le plus long terme, l’entretien des collèges et des lycées était notoirement négligé par l’Etat avant d’être confié aux collectivités, qui ont fait les efforts nécessaires. Mais chacun sait aussi que les communes n’ont pas diminué leurs emplois à due proportion des transferts de compétences aux EPCI, que les collectivités pratiquent une gestion peu rigoureuse des primes et promotions et construisent des ronds-points inutiles. L’opinion commune les considère comme dispendieuses ou, pour le moins, a un doute sur la justification de l’augmentation de leurs dépenses. De plus, il est logique qu’elles prennent leur part à l’effort national de redressement des comptes publics, même si leur endettement, lié à l’investissement, n’est absolument pas de même nature que celui de l’Etat ou la dette sociale, qui résultent d’un déficit de fonctionnement, bien plus grave.  La notion de dette publique qui additionne les deux n’a, dans ces conditions, pas grand sens. Toutefois, le raisonnement admis aujourd’hui est que la baisse des dotations de l’Etat contraindra les collectivités à être plus économes.

Le rapport de la Cour des comptes apporte, sur le bilan de cette politique, un éclairage nuancé. Il est vrai que, globalement parlant, les collectivités, malgré la baisse de la DGF, ne se trouvent pas en mauvaise posture en 2016. Cette année-là, les dépenses ont reculé et les recettes fiscales ont progressé, ce qui fait que, malgré la baisse des dotations de l’Etat, les collectivités ont dégagé une capacité de financement supérieure à celle de 2015. Les efforts de ralentissement, de stabilisation voire de réduction des dépenses de fonctionnement (en particulier, pour la première fois, les effectifs de la fonction publique ont légèrement baissé en 2016) sont notables. Cependant, la situation est fragile, surtout pour les communes : leur capacité d’autofinancement a baissé. Les régions ont, pour la première fois depuis 2012, réduit leur effort d’investissement et les départements, même si leur situation s’est redressée, ont continué à diminuer le leur, comme c’est le cas depuis 2009. De 2013 à 2016, l’investissement des collectivités a chuté de 20 %.

L’avenir : comment imposer un effort supplémentaire ?

 En créant une Conférence nationale des territoires appelée à se réunir deux fois par an, , le nouveau gouvernement a, au printemps dernier, annoncé la couleur : l’objet est certes d’associer davantage les collectivités aux mesures qui leur seront appliquées et de travailler à une meilleure égalité des territoires. Il est surtout de leur faire supporter, sur les 80 Mds d’économies de dépenses publiques prévues sur le quinquennat, une réduction de 13 Mds.

La lecture du rapport de la Cour des comptes laisse dubitatif sur la capacité des collectivités à répondre à cet effort d’économies, malgré la relative amélioration de leur situation financière en 2016, du moins pas sans certaines précautions :

  • A maintes reprises, et en particulier dans son précédent rapport de 2016 sur les finances locales, la Cour a souligné combien les données financières portant sur l’ensemble des collectivités pouvaient recouvrir des situations disparates, en fonction d’une richesse locale très inégalement répartie : elle le souligne à nouveau en 2017, indiquant que, si l’effort est appelé à se poursuivre, l’Etat doit moduler la baisse en fonction des différences de situation : pour réussir à réduire les dépenses publiques locales, il doit réformer sa méthode, diminuer les dotations dites « forfaitaires », accroître les dotations de « péréquation » ; l’exercice en sera compliqué, techniquement et politiquement ;
  • La situation des départements est particulière : malgré l’amélioration constatée en 2016, la Cour leur consacre un chapitre spécifique, avec un diagnostic inquiétant. Les dépenses sociales (55 % aujourd’hui en moyenne du budget de fonctionnement, pourcentage qui va de 40 à près de 70 % selon les cas), qui sont liées à la situation sociale et démographique locale, devraient croître plus vite que leurs produits : si les dépenses du RSA ralentissent, celle liées à la dépendance vont prendre le relais. La Cour a procédé à des simulations selon lesquelles, en l’absence d’efforts restrictifs sur l’attribution des prestations, la trajectoire financière des départements va se dégrader, particulièrement de ceux qui souffrent d’une faible richesse et de charges importantes. Un tiers des départements devrait alors se trouver en difficulté financière, incapables d’assurer leurs autres missions. A terme, dit la Cour, le financement des charges sociales n’est pas assuré, ce qui devrait conduire l’Etat à reprendre le financement du RSA. La Cour se dit persuadée que la mise en place d’une péréquation horizontale pourrait aider à résoudre le problème mais des projections financières réalisées par des cabinets privés disent le contraire : mettre à la charge de départements pauvres et vieillis des prestations de lutte contre la pauvreté et la vieillesse définies par la loi, sur lesquelles ils ont peu de prise, serait simplement une erreur à réparer.

Faiblesses des collectivités et tentation de recentralisation

Du rapport de la Cour des comptes, l’on tire une autre conviction : les faiblesses des collectivités n’ont pas été corrigés, presque au contraire, par les réformes récentes. Le « mille-feuilles » territorial, jamais simplifié, coûte cher, les compétences restent confuses, l’autonomie fiscale est très limitée et les collectivités sous tutelle.

Le bilan des lois de 2014 et 2015 figurant dans le rapport montre que l’objectif de renforcement des collectivités et de réduction de leur nombre (création de grandes régions, définition d’une taille minimale des intercommunalités) n’a été qu’imparfaitement atteint : au final, le département n’a pas été supprimé ; les « grandes régions » n’ont pas la puissance financière évoquée au départ, elles sont loin en tout cas de pouvoir être comparées aux régions d’autres Etats européens (la Bavière a, à elle seule, un budget deux fois supérieur à celui de l’ensemble des régions françaises) ; rien ne prouve que la création de grandes régions va conduire à des économies (au contraire, des surcoûts sont constatés, dont certains peuvent être pérennes) ; les métropoles sont apparues, qui coexistent avec régions et départements et sont aujourd’hui trop nombreuses pour être toutes « les locomotives du développement régional » annoncé ; malgré le renforcement des EPCI, le niveau communal ne s’efface pas ; la rédaction finale de la loi Notre a réduit les ambitions initiales de transferts de compétences entre collectivités qui devaient renforcer Régions et métropoles, même si, c’est vrai, les Régions ont hérité d’une compétence économique plus claire, mais avec des moyens très limités. Nombre de compétences restent partagées et de ce fait, confuses[1].

Ajoutons au tableau le diagnostic de la fiscalité locale qui figure dans le rapport 2016 de la Cour des comptes : l’autonomie fiscale des collectivités est très limitée, seul le bloc communal et, dans une moindre mesure, les départements, ayant la capacité de fixer le taux d’un nombre réduit d’impôts, dans des limites encadrées par les textes. Financièrement, les collectivités territoriales sont massivement dépendantes de l’Etat : en 2015, en comptant le remboursement des dégrèvements, les impôts transférés et les concours de l’Etat, ce dernier a contribué à hauteur de plus de 100 Mds aux finances des collectivités, soit 43 % de leurs recettes, somme supérieure à leurs ressources fiscales (79 Mds). L’on ne s’étonne pas que les collectivités soient toujours en position de réclamer pour obtenir telle modification du calcul de la DGF ou l’attribution d’une fraction d’impôt national plus dynamique : c’est précisément ce qu’ont obtenu les Régions pour 2018 avec l’attribution d’une fraction de TVA qui devrait accroître leurs recettes, c’est vrai, sans les libérer d’une dépendance financière renégociable à tout moment.

Il est dans ces conditions logique que l’Etat s’attribue systématiquement le rôle de décideur : le projet de loi de programmation des finances publiques veut encadrer strictement l’endettement des collectivités, alors même que celles-ci n’empruntent que pour investir ; l’annonce de la création d’une Agence nationale pour la cohésion des territoires témoigne de l’ambiguïté des rôles, même s’il s’agira, probablement, d’un guichet de distribution d’aides aux territoires en difficulté qui en accroitra la dépendance et pas d’une Agence de développement économique, rôle que les Régions devraient assumer si elles en avaient la légitimité et les moyens. De même, le grand plan d’investissement annoncé en septembre 2017 est construit (c’est légitime) sur une logique sectorielle et non territoriale : il « réserve » cependant 10 Mds aux collectivités, destinés à renforcer l’attractivité économique des territoires et à moderniser l’action publique. L’Etat décidera des projets qu’il soutient et, une fois de plus, les collectivités seront moins acteurs que demandeurs. Le seul espoir est que la mission Richard-Bur mandatée pour préparer le Pacte entre l’Etat et les collectivités comprenne que les enjeux ne sont pas seulement de contraindre les dépenses mais d’encourager la libération des énergies, l’autonomie, la responsabilité. L’Etat a un peu de mal, il est vrai, à comprendre la portée de ces notions.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Sur un bilan global et plus précis, voir l’étude de l’Institut Montaigne, « Décentralisation, sortons de la confusion », 2016