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Politique de la ville : enthousiasme factice et catalogues de mesures inopérantes, le retour

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 Emmanuel Macron a prononcé à Tourcoing, le 14 novembre dernier, les mots attendus par la communauté des élus responsables de « quartiers en difficulté » et des associations qui y travaillent : appel à une mobilisation nationale, co-construction entre l’Etat et les collectivités de mesures qui doivent figurer dans un « Plan » à publier en février 2018, engagement d’application du « droit commun » aux quartiers dans tous les domaines, y compris celui de la santé, des crèches ou de la sécurité, augmentation des crédits destinés à la rénovation urbaine, promesse de ne plus toucher un euro des crédits destinés aux associations. L’annonce de quelques mesures nouvelles (l’expérimentation des emplois francs dans une dizaine de territoires) et la création d’un Conseil présidentiel de la ville qui devrait se réunir périodiquement à l’Elysée pour vérifier l’avancement du chantier et, en particulier, suivre l’avancement de mesures expérimentales dans une dizaine de quartiers particulièrement difficiles, parachèvent le projet : le dossier est piloté d’en haut, ce qui rassure les élus qui ont besoin de l’aide de l’Etat pour faire face, tout comme les séduit l’annonce de « mesures concrètes » pour que le dispositif « marche enfin » .

Il faut pourtant appeler un chat un chat : s’il est indispensable de maintenir l’effort financier en faveur des « quartiers » parce qu’il atténue des situations pénibles et améliore la vie de tous les jours, la politique de la ville est une politique alibi. Elle dissimule l’incapacité des grandes politiques publiques actuelles (école, emploi, sécurité publique) à s’adapter à des situations hors normes. Le ralliement d’E. Macron à un discours qu’il sait illusoire témoigne, en réalité, d’un renoncement.

La politique de la ville, mille fois auscultée, mille fois jugée incapable de changer les réalités sociales

L’invention de la politique de la ville, appréhension spatiale de la pauvreté, date de la fin des années 70, avec le constat de la concentration, dans certaines banlieues, de « grands ensembles » sociaux dégradés et de populations en difficulté sociale. Cependant, alors qu’au départ le diagnostic soulignait à la fois la dégradation du cadre de vie et les carences de la vie de quartier, l’analyse qui a dominé à partir des années 90 est plus matérielle : selon les politiques de l’époque, les quartiers pauvres manquent de moyens et il faut « simplement » leur en donner, notamment y renforcer les services publics, pour rétablir un équilibre ponctuellement compromis. Encore aujourd’hui, l’objectif est, selon la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine : « assurer l’égalité entre les territoires, réduire les écarts de développement entre les quartiers défavorisés et leurs unités urbaines et améliorer les conditions de vie de leurs habitants » (article 1). Le débat va, dès lors, se focaliser sur les moyens. Il en faut plus, c’est tout simple.

Au-delà des crédits spécifiques de la politique de la ville inscrits au budget de l’Etat, finalement modestes (de l’ordre, en 2017 et 2018, de 390 millions hors les dépenses de renouvellement urbain), la volonté a été de tabler sur un renforcement local de la politique de droit commun des différents ministères. Un « Document de politique transversale » annexé à la loi de Finances recense ainsi les programmes et moyens mis en œuvre par l’ensemble des ministères, soit 4,26 Mds en 2018, pour donner aux quartiers sensibles le plus dont ils ont besoin. La Cour des comptes, dans ses nombreuses analyses de la politique de la ville et, notamment, dans son rapport annuel 2016, juge que cette territorialisation des crédits ministériels est très approximative. Elle évoque une difficulté persistante à « clarifier les moyens mobilisés » et la faible qualité de conventions interministérielles qui ne parviennent pas à définir des priorités. Plus grave : un doute demeure sur le fait que l’Etat dépense davantage dans les quartiers prioritaires. Un rapport de la Cour des comptes de 2012 sur l’égalité des chances et la répartition des moyens dans l’enseignement scolaire montrait clairement que, si l’on tient compte du personnel, les dépenses sont moindres dans les quartiers d’Education prioritaire à cause de la jeunesse (et de l’inexpérience) des personnels qui y travaillent. La Cour des comptes renforce cette thèse quand elle évoque, en 2016, la baisse de la scolarisation des moins de 3 ans (l’objectif était de la systématiser) ou le faible nombre des agences de Pôle emploi dans ces territoires. Mais peut-être ce débat sur les moyens supplémentaires n’est-il pas, lui-même, approprié.

Personne ne nie d’ailleurs l’absence de résultats : ceux-ci, mesurés par l’Observatoire national de la politique de la ville, n’ont jamais été bons. Après 40 ans de politique de la ville, les écarts se sont même creusés, ce qui n’est nullement étonnant, les périodes de crise fragilisant les populations déjà vulnérables. Un rapport parlementaire rédigé dans le cadre de l’examen du PLF 2018[1], le rapport Laqhila, rappelle les difficultés chroniques des quartiers prioritaires[2] : 42 % des habitants ont un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté (contre 16 % dans les unités urbaines d’appartenance et 14 % nationalement), une personne sur 5 en emploi l’est de manière précaire (CDD ou intérim), 22 % des élèves sont en retard en 6e (contre 12 % dans les unités urbaines d’appartenance). Tous les bilans parlent pudiquement de sentiment mitigés, contrastés, inégaux. Si on juge une politique non pas à ses bonnes intentions, qui sont manifestes, mais aux résultats, l’échec est patent. L’on peut en dire presque autant de la rénovation urbaine, plébiscitée par les maires et par la population : elle a, de fait, embelli les quartiers. Mais dire qu’elle a permis d’instituer une meilleure mixité urbaine relève de l’illusion : dans son rapport 2016, l’Observatoire s’épuise à repérer de microscopiques résultats dans les quartiers rénovés, qui s’appauvriraient mais moins que les autres ZUS. Pour l’instant, le sociologue J. Donzelot a raison : « Tout se passe comme si l’on avait modifié le décor sans que cela change le destin des acteurs »[3].

Les corrections proposées sont vaines

 En 2013 et 2014, au moment de la préparation d’une nouvelle loi, l’échec n’a pas été nié mais imputé, par facilité, à une politique de saupoudrage des crédits, d’où le choix, au demeurant compréhensible, de limiter l’effort à 1514 quartiers prioritaires au lieu de 4000 auparavant.

L’accusation de saupoudrage est reprise en 2017 par le rapport Laqhila : il faudrait resserrer encore la géographie prioritaire, jusqu’à 50 quartiers ultra-prioritaires où seraient concentrés les crédits des politiques de logement et d’emploi. Le rapport insiste aussi, comme la Cour des comptes avant lui, sur un point : les ministères doivent cesser d’esquiver leurs responsabilités. Il demande que les crédits témoignant de leur effort spécifique dans les quartiers prioritaires soient clairement identifiés et sanctuarisés. Le choix est clair en tout cas : à concentration de misère, concentration de moyens appelés « de droit commun », en réalité fléchés spécifiquement pour compenser les handicaps des quartiers pauvres. Pourtant, à relire la note de l’Insee de 2016, les données sur la population révèlent des déficits de formation et de qualification qu’il sera très long de combler.  Les mêmes doutes existent sur l’emploi ou le logement : l’argent mis sur un territoire peut-il venir à bout de la pauvreté ou celle-ci est-elle le résultat d’une longue histoire personnelle qui sera longue à soigner ?

Quant aux alternatives à la politique de la ville proposées par certains sociologues, elles paraissent audacieuses et nobles, mais bien utopiques. Les tenants de la politique « d’empowerment », tels Jacques Donzelot ou Renaud Epstein, plaident pour que les pouvoirs publics encouragent les personnes à être autonomes, en leur donnant du pouvoir collectivement sur l’organisation du territoire et les choix de politiques qui y sont menées ou en les aidant à partir, s’ils le souhaitent. L’objectif est de lutter contre la passivité et la fermeture sur soi. Mais en France, le terme de « communauté » fait peur et seule une participation aux décisions est prévue dans la loi de 2014 grâce à des Conseils d’habitants (conseils de quartiers, conseils citoyens), ce qui ne changera rien : la gouvernance des politiques publiques en France est « top down » et tout ce que l’on peut espérer, c’est que les habitants soient associés loyalement aux décisions concernant leur quartier, ce qui ne suffira pas à leur rendre du pouvoir sur leur vie.

Refondre les politiques, pas les adapter à la marge

 Dans le domaine de la lutte contre les inégalités, au lieu de réduire la focale sur les quartiers les plus pauvres, il faut l’élargir mais en adjoignant, à une politique de distribution de moyens, une politique tout court, qui oublie la seule territorialisation pour s’adresser à des publics en difficulté.

 Peut-il en effet y avoir une « territorialisation des politiques » au sens où l’entend la politique de la ville, avec un droit commun dopé ? C’est sans doute possible pour la santé ou les sports parce que l’implantation d’équipements suffit. Cela l’est peut-être dans le domaine de la sécurité, à condition que les effectifs policiers supplémentaires travaillent sur le fondement d’une doctrine différente de celle d’aujourd’hui, participent à l’apaisement des espaces publics et répriment correctement une délinquance spécifique. Mais les politiques essentielles qui permettent d’espérer sortir de la pauvreté ne sont pas des politiques de droit commun un peu reboostées parce qu’elles s’adressent à un territoire particulier.

Dans le domaine de l’emploi, même s’il serait possible de construire un profil professionnel de « conseiller emploi » répondant aux besoins d’une population peu qualifiée, jeune, peu encline à faire confiance aux solutions traditionnelles des pouvoirs publics, la question se pose autrement. Ce ne sont pas les jeunes des quartiers prioritaires qui sont la seule cible mais les jeunes qui, partout, sortent du système éducatif sans diplômes. A tous, il faut offrir non pas des emplois francs localisés (cela n’a pas de sens) mais des perspectives durables et, si possible, une qualification. Cela suppose une autre méthode d’accompagnement et de formation et pas seulement l’ouverture d’agences de Pôle emploi.

Quant à l’Education nationale, c’est une politique de l’Education prioritaire qui manque et non pas les moyens. En 2013, présentant la politique d’éducation prioritaire devant des parlementaires, le directeur général de l’enseignement scolaire reconnaissait que les dotations supplémentaires accordée aux ZEP avaient servi à diminuer le nombre d’élèves par classe (politique de faible impact) et à financer les dispositifs censés pallier le manque d’attractivité des postes pour les enseignants (qui ne pallient rien du tout, chacun le reconnaît). Selon lui, il fallait travailler bien davantage sur la pédagogie et les ressources humaines, pour éviter que les personnels en place, souvent jeunes et affectés par contrainte, changent parfois à 50 ou 60 % tous les ans. Il faut parler postes à profil, volontariat, travail d’équipe, autonomie des établissements et non pas subventions ponctuelles. C’est la dimension qualitative qui est alors le point faible de l’éducation prioritaire et le récit des réussites dues à la présence de quelques « héros » ne peut cacher l’échec d’ensemble.  Le rapport du Conseil national d’évaluation du système scolaire de 2016 sur les inégalités sociales, sévère au point d’affirmer que l’école amplifie les inégalités sociales et migratoires, ne dit pas autre chose.

Au final, la politique de la ville, avant Macron et maintenant avec lui, est largement inefficace et sans doute le restera. Elle s’attache plus aux conséquences qu’aux causes, plus à l’affichage qu’à la réflexion, plus aux moyens qu’aux résultats. Les réformes se sont focalisées sur certains points noirs, notamment la dilution des moyens ou l’incapacité des ministères à donner davantage de ressources à des zones en difficulté, sans voir que l’échec s’explique par l’application de politiques de droit commun à des territoires qui ont besoin d’autres chose. Dans une société qui a l’exclusion facile, il faut non pas seulement ajuster les politiques publiques ordinaires, mais les réinventer.

  Pergama

 

 

 

 

 

 

[1] Assemblée nationale, Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le PLF pour 2018, annexe n° 9, Cohésion des territoires, Mohamed Laqhila

[2] Les chiffres sont issus de Insee première, 3 mai 2016 « Les habitants des quartiers de la politique de la ville, la pauvreté côtoie d’autres fragilités »

[3] Projet 2012, « Banlieues et quartiers populaires, remettre les gens en mouvement », par J. Donzelot, Terra nova, 2012