Attendus, prérequis, sélection…

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Attendus, prérequis, sélection…

Le projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants est en cours d’examen à l’Assemblée nationale. Le texte est court : c’est un texte de principes. Il prévoit :

  • Une information dispensée, lors de la procédure de préinscription, par tous les établissements d’enseignement supérieur, portant sur les « caractéristiques » des formations offertes : l’exposé des motifs de la loi indique que seront alors portés à la connaissance des élèves de terminale l’organisation du cursus, les possibilités d’insertion professionnelle et les « attendus » des formations, qui seront précisés par chaque établissement dans un cadre national ;
  • Le principe de l’ouverture du premier cycle des études supérieures à tous les bacheliers est affirmé. Cependant les élèves ayant obtenu les meilleurs résultats au baccalauréat dans un lycée donné (la précision est importante, il s’agit des meilleurs « localement ») bénéficient d’un accès prioritaire dans l’ensemble des formations de l’enseignement supérieur public, dans les limites d’un pourcentage fixé par décret ; de plus, les établissements d’enseignement supérieur peuvent subordonner l’acceptation de la demande d’inscription à l’accord du candidat sur l’organisation d’un parcours de formation spécifique (une année de remise à niveau par exemple) ou sur un accompagnement pédagogique. Les établissements ont désormais obligation de prévoir ces dispositifs ; surtout, lorsque les demandes dépasseront les capacités d’accueil d’une formation, l’établissement sélectionnera les inscriptions sur le fondement de la cohérence entre les « acquis de la formation du candidat et ses compétences » et les exigences de la formation ; dans de telles formations, le recteur peut imposer un pourcentage de boursiers à accepter et un taux maximal de bacheliers « hors académie » qui peuvent être acceptés ;
  • Des formations traditionnellement sélectives (techniciens supérieurs, IUT, grands établissements, classes préparatoires, écoles) le demeurent : le recteur fixe, pour les deux premières catégories, un pourcentage minimum de bacheliers professionnels et technologiques, ainsi que les critères de vérification des aptitudes.
  • Un bachelier auquel aucune inscription n’a pu être proposée dans sa région académique se verra proposer, après un échange, une inscription dans une autre région considérée comme compatible avec ses acquis.

Les présidents d’université l’ont donc emporté, eux qui voulaient un accès « sous conditions », sur ceux qui plaidaient pour que les candidats, certes mieux informés et mieux orientés, gardent le dernier mot. C’est sans doute, au vu des taux d’échec en licence notamment (61 % des inscrits ne parviennent pas à obtenir la licence dans laquelle ils s’étaient engagés et abandonnent ou se réorientent), une sage décision. Reste que la sobriété du texte de loi ne permet pas d’apporter toutes les précisions souhaitables. La publication en décembre par le ministère du cadrage national des attendus sur la licence ne permet pas tout à fait d’être bien informés sur ceux-ci, tant ce cadrage reste général, recouvrant par exemple la capacité de « mobiliser des compétences d’expression écrite et orale » ou de « disposer d’aptitudes à la compréhension, à l’analyse ou à la synthèse d’un texte » https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Actus/16/8/AttendusLicence-_12-12-2017_867168.pdf.

Comment les conseils de classe de terminale vont-ils synthétiser les acquis de la formation des élèves et leurs « compétences » de manière suffisamment précise pour que les établissements d’enseignement supérieur puissent vérifier leur cohérence avec les attendus de la formation ?  Comment mettre en place, dans l’urgence, les nécessaires dispositifs d’orientation, même si des efforts ont été entrepris dès avant le vote de la loi (mise en place de 2 semaines d’orientation, nomination de deux professeurs principaux dans les classes concernées), surtout avec 40 000 étudiants en plus en 2018 ? Comment enfin s’assurer que les étudiants admis seront mieux suivis et que le « contrat de réussite pédagogique » qui doit être signé avec l’établissement d’accueil sera respecté ? Le rapporteur de l’Assemblée nationale se veut rassurant http://www.assemblee-nationale.fr/15/rapports/r0446.asp. Il met en avant les moyens complémentaires promis : 500 millions sur les années 2018-2022, mais qui seront en partie consacrés au développement de nouvelles places dans les filières dites en tension (32 000 places nouvelles ouvertes à l’horizon 2022, dont 7 000 en STS, avec de ce fait 2 500 emplois permanents créés). 450 millions du Grand plan d’investissement seront en outre consacrés à la transformation du premier cycle, afin de financer et d’accompagner les évolutions pédagogiques nécessaires, notamment au travers du recours au numérique.

Une fois passées les difficultés de la première mise en place, les points d’achoppement porteront certainement sur les moyens, très probablement insuffisants. Mais pas seulement. Les précédentes réformes, y compris celles tendant à une meilleure réussite des étudiants, ont montré que l’implication des établissements d’enseignement supérieur est très inégale. La gouvernance des universités et des écoles est parfois faible, le milieu est très individualiste, peu désireux parfois de s’engager dans des innovations pédagogiques.  De ce fait, la loi ne peut pas tout, surtout si les moyens sont limités. Les gouvernants actuels gèrent, plutôt bien, l’héritage de leurs prédécesseurs, ils y mettent du courage et de la cohérence. Restera l’application de terrain, en l’occurrence plus qu’incertaine.