Baisser le SMIC : it’s not the economy, stupid!

Droits fondamentaux et roupie de sansonnet
9 décembre 2017
Mauvaises conditions de travail : la pénibilité n’est pas seule en cause
24 décembre 2017

Baisser le SMIC : it’s not the economy, stupid!

17 décembre 2017

Le rapport d’experts sur le SMIC remis au gouvernement le 5 décembre dernier  propose de modifier le calcul du SMIC afin de le baisser, ce qui a soulevé quelque émotion.   Le gouvernement annonce qu’il va étudier les propositions du rapport : il paraît à vrai dire tenté de les mettre en œuvre en 2018. Que faut-il en penser ?

Paradoxe de l’histoire, le salaire minimum est né en 1950 de la libération des salaires, bloqués depuis 1939 : il a paru alors légitime de garantir un minimum de rémunération horaire, protégé de l’inflation, différent au demeurant à l’époque à Paris et en province.  Après sa transformation en SMIC en 1970 (avec, au-delà de son indexation, une participation à la croissance et donc aux gains de pouvoir d’achat de certaines catégories), le SMIC s’éloigne d’un minimum vital. Depuis le décret du 7 février 2013, il est revalorisé au 1er janvier de chaque année, en tenant compte à la fois de l’évolution de l’indice mensuel des prix à la consommation des ménages les plus modestes (le quartile inférieur), mais aussi du gain de pouvoir d’achat du salaire horaire moyen des ouvriers et des employés (le SMIC est revalorisé sur la base de la moitié de cette augmentation). Les pouvoirs publics ont la possibilité d’aller au-delà. Le SMIC est en outre revalorisé lorsque l’inflation dépasse un certain niveau (2 %).

La Commission nationale de la négociation collective composée de représentants des partenaires sociaux, donne un avis au gouvernement sur l’évolution annuelle du SMIC, avis qui se fonde, depuis la loi du 3 décembre 2008, sur un rapport d’experts. Ce collège d’experts analysait loyalement, chaque année, le contexte du marché du travail et les évolutions du salaire minimum dans d’autres pays et donnait un avis sur l’opportunité du « coup de pouce » du gouvernement. Pour la première fois, cette année, il va au-delà de son mandat et, tout en se prononçant contre l’augmentation facultative (le « coup de pouce »), étudie une réforme du SMIC et de ses modes d’indexation.

Réformer le SMIC : le contexte

La proposition de réforme du SMIC figurant dans le rapport est tout sauf une surprise : quand il a nommé, en août 2017, Gilbert Cette à la tête du groupe d’experts sur le SMIC, le gouvernement n’ignorait rien des prises de position de cet économiste, auteur, au demeurant, de propositions tout à fait stimulantes qui ont alimenté les débats ces 5 dernières années. Ses travaux ont inspiré ou au moins accompagné les évolutions récentes du droit du travail (loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, loi travail El-Khomri du 8 août 2016, enfin ordonnances de 2017 modifiant le Code du travail). Ainsi, dans les ouvrages « Changer de modèle »[1] ou « Réformer le droit du travail »[2], Gilbert Cette, avec ses co-auteurs, dit rechercher les moyens propres à lutter contre le décrochage de la compétitivité française tout en protégeant les travailleurs. Il insiste alors sur la nécessité de réduire la place de la loi dans le droit du travail (avec cependant un domaine réservé « d’ordre public ») pour faciliter l’adaptation des entreprises à leur contexte propre mais veut confier à des accords collectifs (majoritaires si nécessaire, c’est-à-dire signés par des organisations syndicales représentant 50 % au moins des voix aux élections professionnelles)  le soin de définir la ligne d’équilibre entre les souplesses accordées et le maintien de la protection des droits des salariés ;  la loi  devrait selon lui se contenter de garantir le respect de principes intangibles ; il prône l’élaboration d’une sécurité sociale professionnelle reconnue à tous les travailleurs (portabilité des droits sociaux et des droits acquis dans le domaine de la formation, accès au logement) pour faciliter les mobilités professionnelles sans altération de la protection sociale; il souhaite une taxation des contrats courts pour mettre fin à la dégradation de la qualité de l’emploi ; enfin, s’agissant du SMIC, il plaide pour l’abolition de la règle de révision automatique, qui selon lui accroît le chômage des catégories vulnérables car elle conduit à un SMIC trop élevé : il souhaite même un SMIC différent selon les Régions, voire selon l’âge, plus apte selon lui à encourager l’emploi.

L’on mesure la filiation de ces choix avec ceux du gouvernement actuel : au demeurant, la cohérence est encore plus forte si l’on élargit le focus au-delà du droit social. L’ouvrage « Changer de modèle » insiste en 2014 sur la nécessité de miser sur les incitations fiscales et l’allègement de l’impôt sur les entreprises comme sur le développement du capital humain (insistant notamment sur l’amélioration de l’éducation et sur le développement de la formation professionnelle). Ce sont exactement les chantiers engagés en cette fin 2017.

Certes, de telles orientations ne font pas l’unanimité, même si on refuse de les voir comme des mesures pro-riches, ce qui serait une approche bien simpliste.  Si la mutation vers un dialogue social plus engageant est très souhaitable, si l’amélioration de la compétitivité impose une politique fiscale favorable aux entreprises, certaines dispositions dépassent à l’évidence le point d’équilibre souhaitable : il en est ainsi, parmi bien des exemples, de l’organisation, dans les ordonnances modifiant le Code du travail, d’un référendum sous contrôle patronal dans les très petites entreprises, qui altère les droits des salariés. Pour autant, il est difficile de nier leur cohérence et la clarté des objectifs poursuivis, ce qui contraste avec le quinquennat précédent qui paraissait ne pas savoir où il allait et était empreint, dans le domaine économique et du droit du travail, de contradictions permanentes.

Mais faut-il, pour autant, toucher au SMIC ? Après lecture du rapport, la réponse est plutôt non.

Que dit le rapport des experts 2017 sur la réforme du SMIC ?

Le raisonnement du rapport est le suivant : le SMIC français est un des plus élevés au sein de l’OCDE ou de l’Union Européenne puisqu’il représente 50 % du salaire moyen et 62 % du salaire médian, alors qu’aux Etats-Unis, à l’autre bout du graphique, le salaire minimum atteint 25 % du salaire moyen et 36 % du salaire médian. Entre les deux, se situent les Pays-Bas, le Canada, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Australie et le Luxembourg, pays où le salaire minimum s’écarte davantage des salaires moyens et médians qu’en France. Cette situation, essentiellement liée à la seconde clause de revalorisation (celle qui intègre au SMIC la moitié de l’augmentation du pouvoir d’achat du salaire horaire des ouvriers et employés) nuirait à l’emploi et à la compétitivité, d’autant plus que les hausses du SMIC se diffuseraient dans les salaires proches et notamment les minima conventionnels par branches. Il faudrait donc, pour améliorer la compétitivité et l’emploi, baisser le SMIC, soit en le modulant selon les Régions en fonction des prix constatés, soit en le modulant selon l’âge, pour tenir compte de la moindre qualification des jeunes, soit en modifiant son mode d’indexation.

Contre la proposition d’une baisse différenciée ou d’une baisse tendancielle du salaire minimum, l’argument de la lutte contre la pauvreté laborieuse ne tiendrait pas : les personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté ne sont pas, dans leur grande majorité, hors certaines configurations familiales particulières, des personnes qui touchent le SMIC à temps plein : les personnes qui sont sous le seuil de pauvreté tout en travaillant le sont parce qu’elles ne sont pas à temps plein ou ne travaillent pas de manière continue. Dans ces conditions, pour lutter contre la pauvreté, la prime d’activité (qui vient compléter un revenu d’activité en tenant compte des ressources et de la composition du ménage) est un bien meilleur moyen que l’augmentation du SMIC.

Le rapport souligne enfin que la régionalisation du SMIC se heurte à l’absence d’homogénéité des prix au niveau régional. Quant au SMIC jeunes, le souvenir de la crise de 2006 lors d’une précédente tentative de mise en place (« Contrat première embauche ») montre sa faible acceptabilité. Reste donc la désindexation du SMIC, soit totale, soit en enlevant le second terme (l’intégration d’une part du gain de pouvoir d’achat du salaire horaire des ouvriers et employés).

Ne pas toucher au SMIC

La  démonstration du rapport est convaincante quant à la  la meilleure efficacité de la prime pour l’emploi (plutôt que du SMIC) sur l’amélioration des ressources des ménages pauvres.

Pour le reste, la démonstration du rapport d’experts est incompréhensible : de l’aveu même du rapport, si l’on tient compte, dans le calcul du coût salarial au niveau du SMIC, des exonérations de charges existantes (exonérations bas salaires et effet du CICE, crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi mis en place en 2014), le coût du travail au niveau du salaire minimum rapporté à celui du salaire médian se situe au niveau de la moyenne des pays de l’OCDE. Ce retour au droit commun est, il est vrai, obtenu au prix fort pour l’Etat (qui compense financièrement ces exonérations de charges à la sécurité sociale) mais le résultat est là : le SMIC français, une fois débarrassé des charges patronales, est dans la moyenne des autres.  L’on peut tirer plusieurs conclusions de ce constat : d’une part, il n’existe pas aujourd’hui de déficit de compétitivité ou de risque sur l’emploi non qualifié supérieur en France à ceux d’autres pays, et le raisonnement tendant à baisser le SMIC n’a plus d’assise, sauf si l’Etat veut cesser de payer le coût des exonérations, ce qui n’est pas envisageable dans le contexte actuel et serait contraire à sa politique. D’autre part, si le SMIC est élevé en France, c’est à cause des charges sociales, pas parce que les bénéficiaires ont un salaire net supérieur aux salaires minima étrangers, ce qui rend circonspect sur les conséquences sociales d’une éventuelle désindexation.

Enfin, si le rapport souligne les risques théoriques de diffusion d’une augmentation du SMIC aux autres salaires proches, il montre que dans les années récentes, le SMIC a évolué plus modérément que tous les autres salaires, tandis que le pourcentage de personnes au SMIC, après des pics à 14 et 16 % des salariés, est redescendu à partir de 2005 pour se stabiliser aujourd’hui aux alentours de 10 % : cette réduction est en réalité la traduction de faibles revalorisations (plus les revalorisations sont fortes, plus le pourcentage des personnes au SMIC augmente). Or, la période récente a coïncidé avec l’absence de « coup de pouce » depuis 2006, si l’on met à part celui, isolé, de 2012. La conclusion est simple : si l’on considère que le SMIC augmente trop vite, il suffit de ne pas donner de « coup de pouce ». Ce n’est pas la peine de le désindexer.

 

Faut-il décider de décrocher le SMIC par rapport aux autres niveaux de salaire en ne le revalorisant que comme les prix ?  Non. La compétitivité de nos produits n’y gagnerait rien, si tant est qu’elle passe par les prix. L’intérêt en termes d’emplois serait faible (n’avons-nous pas assez d’emplois non qualifiés ?) et le risque serait de rendre un peu plus difficile la vie de ceux qui touchent ce salaire : la rémunération est aussi une question sociale. Comme le notent certains membres du groupe d’experts (et comme la CFDT l’a souligné lors de son audition), plus que le niveau du SMIC, ce qui est préoccupant, c’est la proportion (un tiers) des bénéficiaires du SMIC qui n’a pas de réelles perspectives d’évolution salariale et professionnelle et risque de rester à ce niveau toute sa vie. C’est à changer cette situation, par la formation, par la mobilité professionnelle, par l’augmentation d’ensemble de la qualification des emplois qu’il faut s’attacher, bien plutôt qu’à changer le mode de revalorisation du SMIC, surtout si aucun effet pervers ne peut être mis en évidence.

Pergama

 

 

 

 

[1] P. Aghion, G. Cette, E. Cohen, Changer de modèle, Odile Jacob, 2014

[2] J. Barthélémy, G. Cette, Réformer le droit du travail, Odile Jacob, 2015