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Etat versus collectivités territoriales : l’Etat l’emporte

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 Après le vote du projet de loi de finances 2018 et du projet de programmation des finances publiques 2018-2022, le gouvernement a rempli son mandat : il voulait imposer aux collectivités un contrat pour qu’elles diminuent elles-mêmes leurs dépenses, il y est parvenu. Il voulait supprimer la taxe d’habitation pour 80 % des ménages, il a réussi. Il voulait imposer aux organismes HLM, dont une bonne part est liée aux collectivités territoriales, une baisse des loyers compensant la baisse des aides personnelles au logement à la charge de l’Etat. C’est fait. Chaque fois, le gouvernement a d’abord mis en avant de fortes exigences avant de reculer un peu, pour obtenir un accord. Il annonce aujourd’hui une réforme de la fiscalité territoriale, voire une autre répartition des compétences : il paraît quasiment décidé à enlever aux régions la responsabilité de l’apprentissage et à restructurer les organismes de logement social. Un nouveau rapport de forces se dessine, au profit de l’Etat.  Les collectivités viennent de perdre des batailles symboliques, sur des points où, c’est clair, elles auraient dû depuis longtemps prendre l’initiative de réformes. Pour autant, ces défaites entrainent un renforcement de la traditionnelle centralisation française, ce qui, malgré tout, n’est pas une bonne nouvelle.

Contractualisation forcée

Le projet de loi de programmation des finances publiques pour 2018 à 2022 adopté en décembre 2017 impose aux 340 plus grosses collectivités et intercommunalités dont les dépenses de fonctionnement sont supérieures à 60 millions un pourcentage d’augmentation des dépenses obligatoire, 1,2 % sur les trois prochaines années, faiblement modulable à la hausse ou à la baisse en fonction notamment de l’évolution de la population ou du revenu moyen. Si les collectivités ne respectent pas cette contrainte, l’Etat reprendra 75 % du dépassement en minorant ses dotations et, si la collectivité ne veut pas signer, 100 %. Les départements ont obtenu que l’augmentation des prestations sociales dont ils ont la charge (revenu de solidarité active, allocation personnalisée d’autonomie…) ne soit pas pris en compte au-delà d’une évolution de 2 %. En revanche, le contrat contient « une trajectoire d’amélioration de la capacité de désendettement » pour les collectivités qui dépassent un plafond de référence, mais, contrairement aux intentions d’origine, l’Etat n’édicte pas de norme obligatoire sur ce point.

En contrepartie de ces contraintes, dans la ligne des propositions du rapport Richard-Bur de novembre 2017 qui a préparé ce schéma, le projet de loi prévoit que les collectivités qui auront respecté la norme d’évolution des dépenses pourront bénéficier d’une meilleure subvention pour leurs opérations d’investissement. Surtout, les dotations de l’Etat ne baisseront pas et la réforme de la taxe d’habitation sera intégralement compensée.

D’autres compensations, parfois symboliques, sont prévues : le dossier de l’allègement des normes, serpent de mer des relations Etat-collectivités territoriales, sera rouvert ; de futurs textes devraient permettre au préfet de déroger à certaines règles pour faciliter un projet de développement local. Il est question de donner aux collectivités un pouvoir d’expérimentation et d’autoriser les communes, sous réserve de réunir une « minorité de blocage », à garder la compétence eau et assainissement qui devait être transférée aux intercommunalités en 2020. Enfin, le gouvernement annonce un allègement des règles de la fonction publique territoriale, portant notamment sur la modulation des règles indemnitaires en fonction de la taille de la collectivité et sur une plus grande liberté de recruter des contractuels.

 Une contrainte légitime ?

La mesure prise est sans précédent : elle correspond à une mise sous tutelle des collectivités territoriales. La forme contractuelle est fallacieuse : le refus de signer n’est pas sanctionné en tant que tel mais, si la collectivité déroge à la norme qu’elle a refusé d’avaliser, les dotations qui lui sont versées baissent d’autant. Les grandes collectivités devraient pouvoir garder leur pouvoir de pilotage. Les petites reviendront chez le sous-préfet pour faire avaliser leurs décisions. Reste une altération fondamentale de l’esprit de la décentralisation et un retour à l’obéissance, voire à la docilité. La Conférence nationale des territoires, co-présidée par le chef du gouvernement et le Président du Sénat, composée majoritairement de représentants de collectivités, a tout accepté et s’est occupé, le 15 décembre 2017, de l’aménagement numérique du territoire et de la revitalisation des cœurs de villes moyennes.

Sur un plan gestionnaire, l’attitude de l’Etat s’explique. Depuis des années, il cherche à imposer aux collectivités la contrainte budgétaire qu’il subît et à partager avec elles son objectif de maîtrise des dépenses publiques. De 1996 à 2010, il a choisi de revaloriser ses concours financiers comme l’inflation. De 2010 à 2013, il les a stabilisés. En 2013, il les a baissés : les « prélèvements sur recettes » (sommes versées par l’Etat destinées au fonctionnement des collectivités) ont diminué sur 4 ans, de 2014 à 2017, de 11 Mds, passant de 55,4 Mds à 44,4 Mds. Malgré cette baisse, le montant des ressources des collectivités n’a pas diminué, même pour celles qui proviennent de l’Etat, si l’on tient compte de la fiscalité transférée, dynamique sur la période, comme des dégrèvements fiscaux que l’Etat prend depuis toujours à sa charge, deux postes en nette hausse. La fiscalité locale a par ailleurs nettement augmenté sur la période. Au final, les recettes des collectivités étaient de 228,4 Mds en 2014, de 229,9 en 2017 : les collectivités ne souffrent pas et leur situation financière, en 2016, n’est pas mauvaise [1]. La baisse des dotations est faiblement efficace.

Par ailleurs, l’on sait que les dépenses des collectivités ont fortement augmenté depuis la décentralisation, de 4 % en moyenne par an de 1983 à 2016 : 40 % de cette augmentation ne serait pas lié à la décentralisation mais, pour l’essentiel, aux dépenses de personnel. La fonction publique territoriale n’a d’ailleurs cessé d’augmenter qu’en 2015 : cette augmentation cacherait des gaspillages et des doublons avec les EPCI, les contribuables locaux payant l’éparpillement des collectivités. Parallèlement, la dette locale a presque doublé depuis 2002. Il est vrai que la hausse des dépenses de fonctionnement se ralentit aujourd’hui. L’augmentation était de 1,2 % en 2015 et elle est nulle en 2016 : les collectivités devraient donc pouvoir supporter un « taux directeur » de leurs dépenses. L’Etat juge cependant plus sûr de les brider contractuellement.

L’analyse cependant devrait tenir compte de certaines données : depuis 3 ans, les collectivités baissent leurs dépenses d’investissement : -7,7 % en 2014, -8,4 % en 2015, -3 % en 2016. Le Ministère des finances se rassure : il s’agirait là de variations liées au cycle électoral. Il n’a sans doute pas complètement raison, de même qu’il reste imprudent en imposant des baisses de recettes à tous les bailleurs sociaux, riches et bien dotés ou petits et fragiles, tout en cherchant à relancer la construction. Par ailleurs, comme le montrent tous les rapports de la Cour des comptes sur les finances locales, les moyennes sont une chose, la réalité des collectivités en est une autre : la richesse locale est très inégalement répartie. Enfin et surtout, même si l’Etat agit au nom de l’intérêt général, c’est la fin d’un idéal décentralisateur et d’une autre répartition des pouvoirs : déjà politiquement faibles, financièrement dépendantes, les collectivités ont accepté de ne plus avoir d’autonomie juridique.

 Fiscalité : vers la fin probable de l’autonomie fiscale 

 La seconde grande réforme du projet de loi de programmation des finances publiques porte sur la suppression progressive de la taxe d’habitation, en 3 ans, jusqu’à un revenu de 30 000€ pour une personne seule, ce qui devrait porter à 80 % le nombre des personnes exonérées. L’Etat compensera le manque à gagner.  Cette suppression s’explique, selon le gouvernement, par la volonté de redonner du pouvoir d’achat aux actifs et par l’injustice de cet impôt : assis sur des valeurs locatives obsolètes (elles n’ont pas été revues depuis 40 ans), la taxe ne prend pas correctement en compte les capacités contributives. Le taux étant souvent plus élevé dans les communes les moins riches, elle pèse davantage sur les classes moyennes ou modestes.

Le Conseil constitutionnel (2017-758 DC du 28/12/2017) a validé ce dégrèvement. La décision est très étonnante. Nombre de juristes considéraient pourtant qu’il y avait là rupture d’égalité devant les charges publiques, auxquelles chacun doit contribuer en fonction de ses capacités contributives : il est loisible d’exonérer des contribuables modestes mais à condition qu’ils soient en nombre limité. Décider d’exonérer 80 % des ménages imposables et d’en imposer 20 % correspond à une distorsion de ces principes. Tout en affirmant que l’égalité devant les charges publiques est respectée par  la prise en compte des charges familiales (reste que l’effet de seuil perdure, comme le pourcentage extravagant de personnes exonérées), le Conseil constitutionnel semble admettre que sa décision est discutable: il souligne que 2018 ne correspond qu’à une étape dans l’application d’un projet et qu’il se réserve le droit d’examiner ce que deviendront les 20 % de payeurs dans le cadre de la réforme annoncée de la fiscalité locale. C’est suggérer que la situation finale de 2020, lorsque l’exonération sera complète, sans doute contraire aux principes constitutionnels, ne pourra être admise.

Le Conseil a également rejeté, mais cette fois-ci de manière incontestable, le grief tiré de la méconnaissance de l’autonomie financière des collectivités. L’autonomie financière, la seule à être garantie par la Constitution, dépend de la proportion que représentent, dans les ressources des collectivités, les ressources propres, parmi lesquelles figurent les ressources fiscales, tout comme, bizarrerie de l’interprétation du Conseil constitutionnel, les impôts affectés. Or le dégrèvement n’empêche nullement la taxe d’habitation et sa compensation de rester des ressources propres. L’Etat aurait pu ne pas respecter l’autonomie fiscale des collectivités (il n’a comme obligation que de respecter un seuil d’autonomie financière) mais, en l’occurrence, il n’a même pas eu ce souci : tout reste comme avant et le dégrèvement est assimilé à l’impôt.

Reste qu’il s’agit bien là d’un bouleversement irrémédiable des ressources locales : le gouvernement l’a si bien compris qu’il a demandé à la mission Richard-Bur d’étudier un scénario de suppression de la taxe d’habitation et une « refonte en profondeur » de la fiscalité locale. Il lui demande aussi de réfléchir au renforcement de la péréquation et à un autre financement des allocations individuelles de solidarité (RSA notamment) que les départements peinent à financer.

Nul ne sait ce que sera la réforme à venir, le rapport Richard-Bur devant être rendu au printemps. Pour autant, la mission a des idées et les a déjà exprimées : le gouvernement ne pourra pas ne pas tenir compte de l’incapacité dans laquelle tous les gouvernements précédents se sont trouvés de résoudre la question de l’actualisation des valeurs cadastrales. La fiscalité locale en est décrédibilisée depuis longtemps. Compte tenu de la complexité ahurissante des autres ressources, (32 dotations différentes, une myriade de taxes transférées intégralement ou par quote-part, importantes ou minuscules) une remise à plat complète s’impose. Depuis des années, le système, illisible, rapiécé, est à bout de souffle. Dès lors que le lien avec la richesse du patrimoine local est rompu, il ne reste guère comme solution que l’attribution aux collectivités d’une quote-part d’impôts nationaux : les Régions émargent à la TVA en 2018 et il serait logique que la CSG et l’impôt sur le revenu deviennent pour une part des ressources locales.

Si l’Etat remplace une fiscalité obsolète et injuste par une part d’impôts nationaux, il aura sans doute fait beaucoup pour la clarté. Il n’est pas certain qu’il renforce alors l’autonomie des collectivités ni le lien entre l’impôt local et la politique menée. Les collectivités vont devenir ce qu’elles sont déjà en partie : un opérateur de l’Etat auxquelles celui-ci attribue des ressources nationales.

La méthode choisie pour réformer (l’appel à un Comité d’experts) est en tout cas une humiliation pour les collectivités. En 2012 (mais qui s’en souvient), la réforme de la fiscalité locale figurait au programme du candidat Hollande. En 2014, pour montrer qu’il était capable d’agir, le Premier ministre de l’époque a saisi le Comité des finances locales, composé d’élus, pour lui demander des propositions. Un rapport remis en 2014 est tombé dans l’oubli et l’on n’est jamais sorti ensuite d’interminables débats sur la mise à jour des valeurs locatives, la réforme d’une dotation globale de fonctionnement reconnue injuste et opaque ou les règles de péréquation.  Les collectivités de plus n’ont jamais vraiment su ce qu’elles voulaient sur les prestations sociales, hésitant à les garder ou pas, à les financer sur ressources affectées par l’Etat ou pas. Aujourd’hui, le Comité des finances locales se remet au travail et le gouvernement va sans doute feindre de s’y intéresser. Mais il écoutera ses propres conseillers. Que peut un « Comité Théodule » face à des élus ? se rassure le vieux président du Comité, André Laignel, évoquant le Comité Richard-Bur. Eh bien, presque tout.

Face à la mollesse, à l’indécision, à l’incapacité des collectivités de s’organiser et de se remettre en cause, l’autoritarisme a du bon, surtout quand il garde une apparence bon enfant. Avec la réforme de l’apprentissage, la création d’une agence de l’Etat pour rendre de la cohésion aux territoires, la restructuration des bailleurs sociaux, la méthode va perdurer. Le gouvernement réforme, il a une ligne et une cohérence et son crédo, c’est l’expertise et la gestion, pas vraiment la collaboration. Après des années de présidence sans consistance, c’est sans doute le bon moment pour cette approche. La question est de savoir si la méthode, qui reste verticale, permettra de revivifier les énergies, de rénover le dialogue démocratique, de rajeunir aussi et de transformer ces corps intermédiaires (élus locaux, syndicats, organismes publics) dont l’Etat aura malgré tout besoin. C’est un vrai doute.

Pergama

 

 

 

 

 

 

 

[1] Voir l’annexe au projet de loi de finances, « Transferts financiers de l’Etat aux collectivités territoriales », et le rapport 2017 de la Cour des comptes sur les finances locales