2018, année bioéthique?

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2018, année bioéthique?

La dernière grande loi bioéthique, la loi du 7 juillet 2011, prévoit explicitement que les dispositions qu’elle contient doivent faire l’objet d’un nouvel examen par le Parlement au plus tard 7 ans après son entrée en vigueur, soit en 2018. La loi traite de l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne, du don d’organes, de sang ou de cellules, du diagnostic prénatal et préimplantatoire, de l’anonymat du don de gamètes, de l’assistance médicale à la procréation, de la recherche sur l’embryon et de l’imagerie médicale utile aux neurosciences. 2018 reviendra donc sur ces débats, dont certains sont, à vrai dire, plus brûlants que d’autres.

Les thèmes, la méthode

Ni la GPA (gestation pour autrui) ni le réexamen de la loi du 2 février 2016 sur la fin de vie ne sont inclus dans les thèmes du projet de révision. Ces sujets s’y inviteront pourtant. Pour le deuxième, un rapport de l’IGAS doit être rendu au printemps sur la mise en place de la récente, la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale va travailler sur la fin de vie et plusieurs propositions de loi parlementaires sur l’aide médicale à la mort ont été récemment déposées.

Quant à la méthode, la loi de 2011 a prévu que tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société relevant de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux. Ceux-ci sont organisés à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.  Ces Etats généraux s’appuient sur des « espaces de réflexion éthique » créés au niveau régional par la loi bioéthique du 6 aout 2004, en lien avec les CHU.

La loi de 2011 prévoit également que les Etats généraux réunissent des conférences de citoyens choisis de manière à représenter la société dans sa diversité. Après avoir reçu une formation préalable, ceux-ci débattent et rédigent un avis ainsi que des recommandations qui sont rendus publics. Les experts participant à la formation des citoyens et aux états généraux sont choisis en fonction de critères d’indépendance, de pluralisme et de pluridisciplinarité.

A la suite du débat public, le CCNE établit un rapport qu’il présente devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui procède à son évaluation. Le gouvernement prépare ensuite un projet de loi et le Parlement le vote, en jetant un œil, sans doute, aux conclusions des institutions ou à la synthèse des débats publics.

Le CCNE : une faible crédibilité

Il appartient donc au CCNE d’organiser les débats et de produire le rapport destiné à préparer la refonte de la loi. Or, le travail du CCNE n’est pas de qualité. Sa composition n’est pas en cause. Certes, on y retrouve des personnes issues des « familles philosophiques et spirituelles » (en clair, des représentants des religions) qui témoignent là de leurs convictions plutôt qu’ils ne débattent d’éthique. Mais ils ne sont pas majoritaires (5 sur 40), la plus grande partie des membres étant des chercheurs et des personnalités qualifiées, dont beaucoup de médecins. La question est surtout celle du positionnement du CCNE, qui choisit d’appuyer ses avis sur des considérations sociétales bien plus qu’éthiques. On y retrouve alors, sans grand filtre, l’opinion dominante du moment chez les professionnels « arrivés » du droit, de la médecine ou de la recherche. Cette opinion, le plus souvent frileuse voire conservatrice, est évolutive, mais lentement.

Ainsi le CCNE (comme la loi) ont suivi, sur le long terme, une pente identique : d’abord le refus rigide, puis, souvent de longues années après, la prise en compte de la question mais avec des propositions d’encadrement plus ou moins rigoureux, reposant parfois sur des distinguos bizarres. La troisième étape (l’assouplissement plus franc) ne devrait plus tarder. Il en a été ainsi pour la recherche sur l’embryon. Au départ en 1986, l’embryon « dès la fécondation, appartient à l’ordre de l’être et non de l’avoir » et cette considération empêche toute recherche, qui le réduirait à l’état d’objet. On arrive 25 ans après à un avis, en 2010, fumeux mais bien plus souple, qui semble préconiser d’autoriser des recherches sur l’embryon sans projet parental, mais pas, sauf dérogations, sur l’embryon « vivant », destiné à être réimplanté. De fait, la loi du 6 août 2013 autorise la recherche sur l’embryon, jusque-là interdite, sauf rares exceptions, à condition qu’elle soit contrôlée et encadrée et ne porte que sur les embryons « abandonnés ». Manquait l’autorisation d’autoriser des recherches sur l’embryon à implanter, pour vérifier sa normalité. La loi du 26 janvier 2016 y a donné droit, un peu par surprise, sans débat éthique préalable : les protestations sur la réification de l’embryon ont fusé mais certains couples ont été sans doute soulagés de cette garantie…Aujourd’hui, vu les perspectives des recherches sur l’embryon, il est probable que les chercheurs réclameront un cadre d’intervention plus souple.  C’est implicitement ce que fait le Comité d’éthique de l’Inserm qui, dans une note récente[1], appelle à l’intensification de la recherche tout en produisant une vraie réflexion éthique sur les questions de principe (sûreté, finalités poursuivies…). Mais ce sera long, sur l’embryon, même de 14 jours, les phantasmes restent forts…

Sur la procréation médicalement assistée, l’évolution a été du même ordre. En 2005, l’avis négatif du CCNE sur l’ouverture de la PMA aux couples homosexuels déclare : « la PMA a toujours été destinée à résoudre un problème de stérilité d’origine médicale et non à venir en aide à une préférence sexuelle ou à un choix de vie sexuelle ». Combien pèse lourd, derrière les mots de « préférence sexuelle », la sourde réprobation des minorités (l’orientation sexuelle est donc un choix ?) qui doivent accepter les conséquences de leurs « préférences ».  Et puis en 2017, l’avis devient positif pour les femmes homosexuelles : la société a évolué, l’illogisme entre l’autorisation de l’adoption par les femmes homosexuelles en couple et l’interdiction de la PMA devient trop patente. L’avis du CCNE manque toutefois d’enthousiasme : la majorité des membres du CCNE « ne formule aucune opposition » à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes et l’avis, « pas défavorable », arrive après 8 pages d’arguments critiques (absence du père, gamètes rares…).

Quant à la fin de vie, l’évolution décisive reste à faire : entre la loi de 2005 et celle de 2016, les seules concessions ont été de rendre obligatoire le respect des directives anticipées des personnes et de garantir une sédation vraiment profonde.

Pour justifier de ses positions « réservées », le CCNE est prolixe en brèves de comptoir dépourvues de contenu éthique : ainsi, la GPA « pourrait porter atteinte …à l’image symbolique des femmes » (avis de 2010). Parfois il cherche à déconsidérer une demande, parlant de « demande sociétale » comme si c’était un gros mot : « Accéder à la demande des femmes célibataires ou en couple homosexuel d’avoir accès à la PMA en changerait le sens : d’acte médical remédiant à une pathologie, elle deviendrait une réponse à une demande sociétale, un désir d’enfant pur, sans justification médicale » (avis de 2017). Quant à la distinction à laquelle s’accroche le CCNE (et la loi) entre le « laisser mourir » (on débranche) et le faire mourir (on injecte un produit), qu’en dire, sinon à se référer à une superbe annexe au rapport où un membre minoritaire du Comité déclare : « Il n’y a véritablement aucune différence de nature et, par conséquent, aucune différence éthique entre un tel acte, qui fait mourir mais qui se trouve néanmoins autorisé, et une injection létale qui devrait au contraire, dans tous les cas et dans toutes les situations, demeurer interdite ».

L’éthique : une réflexion qui reste à construire, mais avec la population

Un sondage IFOP réalisé en décembre 2017 pour le journal La croix et le Forum européen de bioéthique témoigne d’une claire prise de position de l’opinion publique : majoritairement favorables à la PMA pour toutes (60 %, avec une évolution depuis 30 ans, c’était 24 % en 1990), les Français sont, de manière surprenante, encore plus ouverts à la GPA (64 %)  à condition, pour la majorité, que la raison en soit médicale. Ils le sont aussi, de manière écrasante, au suicide assisté ou à l’euthanasie (89 %) et à la modification génétique des embryons (80%) si c’est pour corriger une anomalie ou une maladie grave. Favorables au maintien de la gratuité et de l’anonymat pour le don d’ovocytes ou de spermatozoïdes, ils sont beaucoup plus hésitants sur le partage de données médicales, dans lequel 30 % voient un risque.

Il existe donc un décalage entre les « mandarins » de l’éthique et l’opinion publique. L’on a vu des signes avant-coureurs : avant le vote de la loi du 2 février 2016 sur la fin de vie, la mission Sicard demandée par le Président de la République (2012), qui a multiplié les réunions publiques, et la Conférence de citoyens réunie en 2013 à la demande du Conseil national d’éthique ont été favorables à un geste actif donnant la mort, à des conditions précises et en particulier sur décision collégiale. Un sondage réalisé à l’époque par l’Ordre des médecins a montré que 60 % d’entre eux étaient favorables à l’euthanasie active, tout en soulignant que, sédation ou geste actif, jamais un médecin ne devait agir seul et que tous pouvaient faire jouer une clause de conscience.

Ces avis, issus de consultations de la population « ordinaire », sans appel à l’expertise éthique traditionnelle, ont été négligés. C’est au final l’avis du Conseil national d’éthique, défavorable à tout geste actif, qui a prévalu, parce qu’il est apparu plus consensuel, plus traditionnel, politiquement plus acceptable, de nature à ne pas « heurter les consciences » pour reprendre l’expression du Président de la République actuel qui, comme le précédent, ne veut pas d’ennui avec des représentations associatifs trop bruyants, même s’ils sont peu représentatifs.

Il est loisible de regretter que le « peuple » ne soit pas entendu. Les problèmes éthiques ne sont pas pour lui abstraits, ce sont ceux qu’il vit dans sa chair : la difficulté d’avoir un enfant, la stimulation ovarienne, l’échec des transplantations d’embryons, les maladies génétiques, l’enfant handicapé, la vieillesse, la douleur, la mort, la relation à un corps médical qui se présente comme empathique et qui l’est souvent si peu…il connaît. Pour autant, cela ne signifie pas que tous les avis qu’il émet sont à prendre tels quels. Faisons une différence entre un sondage et l’avis d’une conférence de citoyens qui a travaillé sur le sujet, entendu des experts, longuement délibéré. Les réponses aux questions éthiques se construisent et ne jaillissent pas seulement de la vie.

Sur quel socle construire ? Le philosophe Paul Ricoeur distinguait éthique et morale[2], en appelant éthique « la recherche de ce qui est estimé bon » : il s’agit donc d’abord d’une interrogation sur l’adéquation des choix à des principes. Dans le domaine biomédical, un ouvrage américain de 1979[3], devenue une référence, propose de se fonder sur quatre principes : l’autonomie (la démarche doit veiller au consentement éclairé, respecter la décision de la personne, renforcer sa capacité à décider), la bienfaisance (elle agit pour le bien de la personne), la non malfaisance (il s’agit de vérifier la sûreté, l’équilibre entre les risques et les avantages) et la justice (si les ressources sont rares). Ces principes doivent parfois s’infléchir au contact de la réalité[4]. Pour autant, c’est cette réflexion que l’on attend : à quelles conditions la gestation pour autrui, la PMA, la recherche sur l’embryon respecteront-elles l’autonomie, la bienfaisance, la non- malfaisance et la justice ? Ces conditions sont-elles remplies ? Peuvent-elles l’être ?

2018 : un débat institutionnel et sans poids

Comment va se dérouler la réflexion préparatoire à la nouvelle loi éthique ? Les textes de 2011 prévoient d’associer la population : des débats publics vont être organisés. Mais ils risquent fort d’être brouillons : les associations militantes fourbissent déjà leurs armes pour y participer. La « note d’information » ministérielle du 29 novembre 2017 prévoit de recueillir bien d’autres avis : organismes de recherche, Académies, Conférences régionales de la santé et de l’autonomie, Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques, Conseil d’Etat… Pages interminables de littérature fade. ? C’est un risque.

Aucune conférence citoyenne n’est prévue, ce qui est contraire aux textes. Elles permettraient pourtant un débat « en autonomie », dégagé de l’emprise des experts et des militants.  Il est vrai que la mise sur pied de telles instances demande du temps et des efforts et que l’institution reste, en France, très rarement pratiquée. Dans une récente tribune, le chercheur Jacques Testard souhaitait que les pouvoirs publics y aient recours et que leur avis soit prépondérant dans l’élaboration de la loi bioéthique. Tirées au sort, composées pour être représentatives de la population, formées par des experts indépendants et pluralistes, ces conférences citoyennes se prononceraient librement. La Commission du débat public (qui, oeuvrant dans le domaine environnemental, a l’expérience de la consultation publique) considère qu’une concertation est ratée si le public estime que son avis ne compte pas. En l’absence de conférence citoyenne, cela risque fort d’être le cas : le débat bioéthique de 2018 sera institutionnel, du coup sans grand intérêt et, sans doute, sans grande surprise.

Pergama, 14 janvier 2018

[1] De la recherche à la thérapie embryonnaire, Comité d’éthique de l’Inserm, Décembre 2017

[2] Ethique et morale, Paul Ricoeur, 1990

[3] Les principes de l’éthique biomédicale, Tom Beauchamp et James Childress

[4] Analyse critique du « principisme » en éthique biomédicale, Eric Delassus, HAL-archives ouvertes, 2017