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Action publique 2022, l’espoir déçu?

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Le Comité interministériel de l’Action publique, réuni le 1er février 2018 sous l’autorité du Premier ministre dans le cadre du projet « Action publique 2022 », a pris plusieurs décisions, essentiellement sur la fonction publique. La place réservée à la modernisation des services publics s’est limitée à la prochaine exigence, dans les services au contact avec le public, d’indicateurs de résultats et de qualité du service rendu aux usagers, qui existent déjà mais sous une forme, il est vrai, peu exploitable.

Les décisions du Premier ministre sont surprenantes, pour trois raisons  : l’ambition annoncée lors du lancement d’« Action publique 2022 », en septembre dernier, portait sur la redéfinition des missions des services publics. Les mesures concernant la fonction publique devaient en découler ; de plus, pour lancer le processus, le Premier ministre a demandé, sur les services publics, des propositions à un Comité spécialement composé et aux différents ministères : or, ceux-ci n’ont encore rendu ni analyses ni propositions ; enfin, le Premier ministre annonce le lancement d’une concertation sur des décisions affichées comme prises.

Une démarche intéressante au départ, moins crédible aujourd’hui

 Au départ, la démarche innovait.

Les objectifs annoncés dans la circulaire du 26 septembre 2017 adressée aux ministres étaient d’améliorer la qualité des services publics, de donner aux fonctionnaires un environnement de travail « modernisé » et de réduire de 3 points la dépense publique (aujourd’hui à 56,5 % du PIB) d’ici 2022.

Certes, la démarche rappelait la Révision générale des politiques publiques lancée en 2007-2008, elle-même inspirée par les « revues de politiques publiques » menées dans les décennies précédentes au Canada et dans les pays scandinaves pour faire baisser les dépenses publiques. Mais alors que, en 2007-2008, la « Révision » a été rapidement abandonnée au profit d’objectifs plus simples et plus rapides à atteindre (redécouper les services, réduire le nombre des fonctionnaires), l’on pouvait avoir en 2017 l’espoir que soit menée une étude sérieuse sur les services publics. Examiner leurs missions, leur organisation et leurs moyens, pour savoir où l’on peut espérer des économies, voire des réductions d’effectifs, et où des améliorations de la qualité sont nécessaires, voilà qui était une ambition utile. Le Comité d’action publique a été ainsi chargé d’une « revue » des missions publiques pour, si nécessaire, en modifier le périmètre ou répartir autrement les compétences entre l’Etat, les collectivités et les organismes de sécurité sociale.

De fait, entre services publics, il existe des enchevêtrements de compétences sources de gaspillages, de sureffectifs mais aussi d’inefficacité : ainsi, par exemple, les responsabilités sont partagées sur l’organisation du système de soins, la formation professionnelle et la politique de l’emploi. L’on pouvait donc espérer « sortir par le haut » du débat récurrent sur l’excès de fonctionnaires : l’on sait déjà, par des études de l’OCDE[1], que, pour ce qui est du pourcentage de l’emploi public dans l’emploi total, la France est bien dotée (elle est 7e sur 32 pays étudiés) sans être en tête, loin de là. Mais une telle affirmation ne suffit pas : il faut comparer les effectifs aux missions, évaluer la qualité attendue, vérifier aussi la bonne répartition par fonctions. Le chantier sur les missions était ambitieux et attendu avec intérêt.

Patatras ! Dans les annonces de début février, l’objectif d’amélioration de la qualité de service se réduit à gagner la confiance des usagers et à développer des procédures de simplification administrative et celui de l’amélioration de l’environnement des agents aboutit à deux ou trois mesures limitées, notamment un recours accru aux personnels contractuels, l’amplification de la prise en compte du mérite dans la  rémunération pour atteindre de meilleurs résultats, enfin un plan de départ volontaire pour organiser des reconversions vers le privé. Ces réformes censées « assouplir un statut trop rigide » ne vont rien changer du tout. Elles font craindre que l’objectif d’Action publique 2022 ne soit pas de réformer les services publics mais plus simplement de diminuer le nombre des agents, considéré a priori comme excessif, en espérant baisser ainsi les dépenses publiques.

Les services publics : réformer mais vraiment

 Dès le départ, à vrai dire, il y a eu maldonne.

Quand le Président de la République et le Premier ministre parlent des services publics, ils ne parlent que des services publics de guichet, où l’usager fait une démarche administrative obligée et où le numérique apporte effectivement beaucoup : dans ce cadre, la notion de « satisfaction des usagers » est effectivement primordiale et, au demeurant, aisément mesurable. L’administration des impôts en fait partie, qui s’est remarquablement outillée depuis 15 ans : les démarches sont devenues rapides et indolores. D’autres services (notamment les délivrances de titres en préfecture) sont moins performants. Mais cette vision d’un Etat qui ne serait que « prestataire de services » date de la préhistoire. Elle remonte aux débuts des années 2000, lorsque le « New public management » anglo-saxon avait la cote au Ministère des finances, époque où les fonctionnaires épris de la LOLF répétaient sans cesse que l’Etat devait fonctionner comme une entreprise, dont l’objectif essentiel serait de répondre aux demandes des « clients » qui veulent un service rapide et non les lenteurs bureaucratiques usuelles. Très bien ! Mais c’est oublier que, sur 2,4 millions de fonctionnaires d’Etat en 2015, 1,3 relèvent de l’Education nationale, 267 000 du Ministère de la Défense, 141 000 de la police, 81 000 de la Justice…Pour eux, le numérique est une aide précieuse mais leur métier est autre et la « satisfaction des usagers » est un peu plus difficile à mesurer que par un sondage sur l’amabilité du guichetier ou la réactivité du service.

Quand le Premier ministre pense aux services publics, il voit une pléthore de soutiers qui ne traitent pas assez rapidement les dossiers et que la révision du statut permettrait de stimuler un peu plus ou, le cas échéant, de licencier. Quand les fonctionnaires regardent les services publics dans lesquels ils travaillent, ils ne pensent pas au statut : ils voient la dégradation des résultats obtenus dans le secteur de l’éducation, de la sécurité, de la justice ou de l’administration pénitentiaire. Cette dégradation les affecte et pèse sur la politique de gestion des ressources humaines : les fonctionnaires travaillent, comme tout le monde, par fierté professionnelle, avec une volonté d’utilité sociale. Il est difficile de les motiver s’ils éprouvent un sentiment d’échec ou de honte à rendre un service insuffisant ou contesté, comme c’est aujourd’hui le cas des policiers, des juges et des enseignants.

Ce n’est pas le statut qui a mené à ce constat, même s’il n’a rien arrangé sans doute et si, compte tenu de la faiblesse du management des services, les fonctionnaires, parfois peu encadrés, se laissent aller. C’est l’incurie des divers pouvoirs politiques qui est en cause, eux qui ne se sont pas comportés comme des employeurs responsables, engagés à mieux définir les métiers (qu’est-ce que maintenir l’ordre ? Comment former des élèves ? Comment punir  les délinquants et malgré tout préserver l’avenir ?), à bien recruter, à calibrer l’emploi en fonction des besoins, à formuler des exigences, à lutter contre l’absentéisme, à améliorer les conditions de travail. Le statut a bon dos.

Dans ce contexte, le rappel à une nécessaire amélioration de la qualité du service public apparaît à la fois comme utile et méprisant. La qualité de service est de la responsabilité individuelle des agents mais elle dépend également à la définition de politiques publiques adaptées (ce serait mieux de les définir avant de conclure à l’absence de qualité) et d’une bonne politique de ressources humaines : adéquation des nominations aux emplois (les procédures d’affectation des fonctionnaires sont ahurissantes), formation continue (elle est inexistante dans certains endroits), organisation d’une mobilité individualisée (la mobilité est difficile), offre de parcours professionnels stimulants, bonnes conditions de travail et dialogue effectif avec les supérieurs hiérarchiques. Il faut arrêter de faire des fonctionnaires les boucs émissaires de l’indifférence politique.

Fonction publique : à côté de la plaque

En outre, les mesures décidées sur la fonction publique sont inopérantes : ni nocives, ni utiles, inopérantes.

D’une part, elles ne permettront pas de baisser les dépenses publiques dans la proportion attendue. Si les dépenses publiques en France dépassent nettement le niveau des autres pays de la zone euro, c’est que leur répartition est spécifique : les dépenses de protection sociale et de santé représentent 57,4 % de l’ensemble des dépenses. Les autres dépenses sont loin derrière : 11,5 % de frais de fonctionnement, moins de 10 % pour l’enseignement. Selon la Cour des comptes[2], l’écart avec la moyenne de la zone euro s’explique par la protection sociale et la santé (+ 5,5 points), par les aides aux entreprises (+1,2 point), dans une moindre mesure par l’enseignement (+ 1 point), par la Défense (+ 0,5 point) et par le logement (+ 0,5 point). L’OFCE[3] a sans doute raison de dire que le poids important des dépenses publiques en France s’explique par un modèle social spécifique (les dépenses de retraite, de santé et d’éducation sont largement publiques et financées par des prélèvements obligatoires), par une démographie plus dynamique (Education, logement) et par un budget de la Défense plus important. Autrement dit, si l’on veut baisser les dépenses publiques, mieux vaudrait travailler sur l’organisation du système de soins, le budget de la Défense ou le système de retraites que de réduire le nombre des fonctionnaires, surtout de manière aveugle.

Au demeurant, la RGPP, avec la suppression de 150 000 emplois dans la fonction publique d’Etat dans la période 2008-2012, n’a réussi à économiser que 12 Mds, dont seulement 4,6 Mds pour les dépenses de personnel. Or l’annonce du Premier ministre (réduction de 3 points de dépenses publiques) porte sur des économies à hauteur de 67 Mds. Le niveau est déraisonnable sur une période de 4 ans, compte tenu du risque d’effets récessifs : mais, s’il fallait l’atteindre, il serait nécessaire de porter l’effort sur d’autres domaines que les suppressions d’emplois dans la fonction publique, qui n’en rapporteront qu’une petite pincée.

En outre, dans les mesures dites nouvelles présentées le 1er février, rien n’est utile. Le statut (article 3 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires de la fonction publique de l’Etat), s’il ne permet pas de nommer des contractuels partout, permet de les nommer dabs les emplois supérieurs de l’Etat ou dans ceux qui requièrent des qualifications spécifiques : nul besoin donc de réforme, d’autant que le statut est, de ce point de vue, très libéralement appliqué. De même, depuis le décret du 17 avril 2008, il existe une indemnité de départ volontaire (au maximum 2 ans de salaire), au demeurant très peu réclamée : si les départs prévus doivent être effectivement volontaires, il suffit d’inviter les personnes à la réclamer.

Enfin, s’agissant de la rémunération au mérite, il faut rappeler au Premier ministre qu’il existe de très nombreuses études, toutes concordantes, sur la motivation au travail en général et sur celle des fonctionnaires en particulier : une étude de l’OCDE (en date de 2005) indique que la rémunération doit être considérée comme juste mais que les perspectives de carrière et l’intérêt du travail sont des moteurs bien plus efficaces que son individualisation. D’autres (notamment celle d’un laboratoire du CNRS spécialisé dans les ressources humaines) mettent l’accent sur les facteurs psychologiques de la motivation : contrat implicite passé avec l’organisation (le salarié peut tabler sur un engagement de longue durée), sentiment d’équité, confiance interpersonnelle, appui dans les difficultés professionnelles, fréquence et qualité des échanges avec le supérieur hiérarchique direct. Pour les fonctionnaires, qui ont choisi le service public et ont besoin de donner du sens à leur action, la qualité des relations, la reconnaissance des efforts effectués et l’intérêt du travail sont sans nul doute des éléments décisifs, mais la fierté d’appartenance à un service voué au bien commun est un moteur essentiel : Sylvie Trosa, dont les ouvrages comparent entre elles différentes fonctions publiques dans le monde, pourtant au départ très favorable à la RGPP, recommandait ainsi, pour motiver les agents publics français, de mettre en avant les finalités du service public. On est loin de la prime au mérite qui, déjà instituée de 2008 à 2014, n’a eu aucun effet.

Les annonces du premier ministre vont en tout cas atteindre un objectif ; envenimer un dialogue social déjà tendu. Les rôles sont répartis : au gouvernement, le rôle de jeunes gestionnaires avides d’efficacité et qui ne comprennent pas les vieilleries statutaires, synonymes pour eux de routine, de formalisme et d’un coupable désir de sécurité. Aux syndicats, une défense statutaire souvent simpliste et rétrograde. Au milieu, des fonctionnaires exaspérés ou désespérés, c’est selon. Il faudrait rectifier, d’urgence.

Pergama

[1] OCDE, Government at a glance, 2017. La moyenne n’a pas grande signification, tant la dispersion est grande, avec plus de 20 points d’écart entre le pays le mieux pourvu (la Norvège) et le moins bien doté (la Corée).

[2] Voir le rapport La situation et les perspectives des finances publiques, Cour des comptes, juin 2017

[3]  Dépenses publiques, quels enjeux pour le prochain quinquennat ? OFCE, Policy brief, n° 17, avril 2017