Interdiction des signes religieux à l’Assemblée nationale: la version dangereuse de la laïcité

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Interdiction des signes religieux à l’Assemblée nationale: la version dangereuse de la laïcité

Dans un objectif de « neutralité », le bureau de l’Assemblée nationale a, dans une instruction aux députés, proscrit les logos, les slogans politiques (!) et les signes religieux ostensibles. Passons sur l’ironie sans doute involontaire, qui conduit à demander à des députés une neutralité politique. Il y a plus grave : le Président de l’Assemblée nationale, faisant preuve d’une grande ignorance de la loi, a déclaré que la foi était une valeur purement privée qui n’avait pas à s’exprimer dans l’espace public. Il avait été au demeurant précédé sur ce terrain par une ministre, Frédérique Vidal (enseignement supérieur) qui, tout en se déclarant opposée à l’interdiction du port du voile à l’université, a déclaré, dans un bel élan de cohérence, que les convictions religieuses devaient s’exprimer uniquement dans la sphère privée. Pour parfaire l’analyse, elle a parallèlement réaffirmé son attachement à la loi de 1905 « qui dit tout et répond à la question », ignorant manifestement que la loi permet tout à fait l’expression des convictions religieuses dans l’espace public à la seule condition qu’elles ne troublent pas l’ordre public.

Rappelons à ces intellectuels qui nous gouvernent le contenu de l’ordonnance du 26 août 2016 du Conseil d’Etat sur le port du burkini à la plage, qui avait été interdit par certains maires au nom du principe du respect de la laïcité dans l’espace public :  « en interdisant le port de tenue manifestant une appartenance religieuse sur les plages, les arrêtés ont porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle ». Rien à ajouter.

Rappelons-leur ensuite le contenu de la Constitution et de la loi de 1905 qui témoignent d’une conception ouverte de la laïcité, tout à fait compatible avec l’expression de convictions religieuses. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme indique que : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». La loi de 1905 sur la séparation de l’église et de l’Etat indique : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ».

La laïcité de 1789 et de 1905 repose donc sur trois principes :

  • D’abord la garantie pour chacun de la liberté d’exercer sa religion. Il ne s’agit pas de simple tolérance ni de rejet de la religion dans une sphère privée dont l’Etat n’aurait pas à connaître. Le fait religieux est reconnu et son expression est garantie ;
  • Ensuite, l’affirmation que le seul droit de regard de l’Etat sur les pratiques religieuses tient à l’ordre public : l’Etat ne peut limiter l’expression religieuse que si celui-ci n’est pas respecté ; et attenter à l’ordre public, ce n’est pas seulement déplaire à d’autres personnes…
  • Enfin, le principe de non reconnaissance par l’Etat d’un culte particulier, au nom de l’égalité des religions et de la séparation des deux pouvoirs, le temporel et le spirituel. Toutes les religions ont droit à exister. La laïcité n’est pas le rejet de la religion. Elle repose sur la neutralité et l’égalité de traitement. L’Etat ne porte de jugement ni sur les croyances ni sur les rites.

Cette conception ouverte de la laïcité n’empêche pas certaines obligations spécifiques. Les agents publics ont ainsi des obligations, au nom du principe de neutralité : ils ne doivent pas témoigner, par quelque signe que ce soit (en théorie ni ostentatoires ni même discrets), de leurs convictions religieuses ou politiques. L’école elle aussi a été protégée parce qu’elle accueille des enfants jugés influençables. Très bien, mais rien de plus.

Aujourd’hui, sous l’influence des intolérants à l’Islam ou de radicaux laïques comme Manuel Valls (qui a soutenu les arrêtés anti-burkinis), la laïcité est souvent assimilée à l’absence ou au bannissement de toute manifestation religieuse ou signe religieux, voire à la négation de la religion. Or, la laïcité, c’est la garantie que chacun peut librement pratiquer s’il le fait paisiblement : ce n’est pas tout à fait la même chose. Sauf les communistes, les députés n’ont pas protesté devant l’instruction du bureau de l’Assemblée nationale et ont trouvé cela normal. La représentation nationale a de petits progrès à faire…