Vérification des comptes de campagne : les doutes

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Vérification des comptes de campagne : les doutes

Un des rapporteurs de la Commission des comptes de campagne et des financements politiques, en charge de la vérification des comptes de J-L Mélanchon, a démissionné en novembre parce qu’il refusait de signer une lettre de propositions destinée au candidat relative à ses comptes de campagne qui ne correspondait pas à ses propres conclusions. Au final, les comptes présentés par J-L Mélanchon ont été « réformés » (amputés) de 430 000 € alors que le rapporteur, un ancien Inspecteur général de l’administration, considérait que 1,5 million sur 10,7 ne devaient pas être pris en compte.

Quelques rappels à faire pour comprendre la portée de cette affaire.

La Commission en charge de contrôler les comptes des campagnes électorales est une autorité administrative indépendante instituée par l’article 52-14 du Code électoral et comportant trois membres actifs ou honoraires du Conseil d’Etat, de la Cour des comptes et de la Cour de cassation. La France a systématiquement recours à ce type d’institution composée de hauts fonctionnaires (en l’occurrence, ils sont tous en retraite) pour faire appliquer les exigences de transparence et de respect de la loi dans les domaines sensibles : c’est par exemple le cas de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique créée en 2013 pour vérifier les déclarations de patrimoine et d’intérêt des hauts responsables publics, notamment les membres du gouvernement et les parlementaires : elle est, elle aussi, composée de hauts fonctionnaires et magistrats et elle dispose de pouvoirs importants pour faire respecter la morale publique. La Commission des comptes de campagne a pour mission, quant à elle, de vérifier les comptes des candidats, de les « réformer » en plus ou en moins le cas échéant, de vérifier le respect du plafond de dépenses propre à l’élection en cause et de s’assurer que l’interdiction de financement par des personnes morales est respectée. En cas d’infraction grave, elle peut rejeter le compte. L’existence de la Commission et la réglementation qu’elle applique sont la contrepartie d’un financement public des campagnes électorales : les candidats qui ont obtenu 5 % des voix sont remboursés des dépenses électorales engagées à hauteur de 47,5 % d’un plafond fixé pour les élections présidentielles à 16,9 Millions pour les candidats au premier tour et à 22,5 millions pour ceux du second tour, à condition, bien évidemment, que le compte de campagne et les dépenses prises en compte soient validés.

Jusqu’à présent, s’agissant de la Commission des comptes de campagne, l’on déplorait plutôt sa difficulté à vérifier la réalité des comptes présentés par les candidats. Le rapport Nadal de 2015 pointait ainsi qu’un contrôle uniquement effectué à partir des pièces données par le candidat, sans enquête ni vérifications sur place, restreint inévitablement la qualité et la fiabilité du contrôle.  C’est ainsi que l’on explique la décision malheureuse de 2012 sur les comptes de Nicolas Sarkozy, invalidant certes les comptes de campagne mais pour un dépassement de 360 000€, alors qu’une enquête judiciaire a révélé ensuite que le dépassement approchait 20 millions. Il est vrai que les textes permettent à cette commission de requérir l’aide de la police judiciaire si elle en éprouve le besoin mais l’on comprend qu’elle répugne à le faire, tant cette mobilisation révélerait de soupçons.

C’est la première fois que le doute est mis sur la probité d’une institution de ce type, du moins depuis la validation par le Conseil constitutionnel, en 1995, d’une élection présidentielle alors que les comptes du candidat Chirac, devenu entretemps président, étaient « manifestement irréguliers ».  Certes, comme le rappelle la Commission, elle a parfaitement le droit de ne pas retenir l’analyse d’un rapporteur, son rôle étant de vérifier que les observations de celui-ci sont étayées, conformes à la jurisprudence et ne remettent pas en cause l’homogénéité du contrôle effectué à l’égard de tous les candidats. Cependant, le refus de donner suite aux remarques du rapporteur (surtout s’il a l’air compétent et sûr de lui) fait désordre et laisse planer au moins un doute sur la rigueur de la Commission : soit celle-ci a jugé en opportunité qu’une réfaction de 430 000 € suffisait, soit elle avait conscience que les autres rapporteurs avaient accepté des pratiques douteuses et qu’il était difficile de ne pas étendre cette tolérance à tous les candidats. La certitude que de telles AAI témoignent de précision et de rectitude est en tout cas altérée.

Autre leçon de l’affaire, la connaissance, encore partielle, des irrégularités commises et effectivement relevées par la Commission, qui révèlent des montages d’une amoralité assumée :  le journal Le Monde rapporte ainsi, dans son édition du 13 février 2018, que le candidat Mélanchon aurait fait appel à une association, l’Ere du Peuple, fondée pour le soutenir, et dont les prestations logistiques et intellectuelles auraient été surfacturées. Il aurait fait appel à des locaux loués à une SCI gérée par sa propre mandataire financière, à un coût là aussi surfacturé. Toutes les personnes qui l’ont aidé, de son porte-parole jusqu’au responsable du service d’ordre, se seraient fait payer en honoraires en tant qu’autoentrepreneur, statut pris uniquement pendant la campagne pour facturer des prestations intellectuelles et matérielles. Le militantisme et le bénévolat sont bien loin…

Au final, le dernier mot appartiendra sans doute à la société civile : comme prévu au Code électoral, dès lors que les candidats ont été avertis de la décision de la Commission sur leurs comptes et après expiration du délai d’un mois qui leur permet d’intenter un recours, les comptes de campagne et les pièces justificatives sont accessibles à toute personne qui en fait la demande. Il y aura bien un journaliste ou une association qui s’en saisira.