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Formation professionnelle, assurance chômage : force restera à la loi

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 En novembre 2017, le gouvernement a lancé la négociation sur la réforme de la formation professionnelle, qui s’est achevé le 22 février 2018 par la signature d’un ANI (accord national interprofessionnel) entre les partenaires sociaux. Sur le même modèle, en décembre dernier,  le gouvernement a demandé aux partenaires sociaux de négocier sur la réforme de l’assurance chômage et, tout comme la première, cette négociation s’est conclue par un autre ANI le même 22 février. Il est probable que la CGT, fidèle à une ligne de perpétuel refus, ne signera ni l’accord sur la réforme de l’assurance chômage ni celui sur la formation professionnelle : pour autant, le risque de clash existe, à court et moyen terme, mais entre l’Etat et les partenaires sociaux. A court terme au moins, l’Etat a à peu près accepté l’accord sur l’assurance chômage et devrait, à quelques modifications près, le retranscrire dans la loi. La divergence sur l’avenir de la formation professionnelle est bien plus aigüe et ne devrait pas se solder aussi facilement.

A qui la faute ? Eh bien, d’abord, au droit : sur le thème des relations du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, l’articulation entre la loi et les négociations nationales, fixée par une loi du 31 janvier 2007, est tout sauf simple (1). Ensuite, sans aucun doute, à la profonde divergence d’intérêts entre partenaires sociaux et Etat sur les deux thèmes évoqués, rôle de l’assurance chômage (2) et accès à la formation professionnelle (3). Chacune des deux parties est d’accord pour faire progresser le droit des personnes et c’est sans doute l’essentiel : les réformes prévues vont étendre ces droits et avoir un effet positif sur le seul vrai débat qui vaille, l’amélioration des parcours professionnels. Mais paradoxalement, les partenaires sociaux se comportent, en l’occurrence, comme les gardiens d’un système qui pourtant ne marche pas très bien, tandis que l’Etat entend en changer la logique de fonctionnement. Le débat de fond reste donc à apurer : l’Etat devrait sans doute en sortir renforcé.

  1. Définir une réforme nationale : ni tout à fait le dialogue social, ni tout à fait la loi

La Constitution de 1958 (article 34) réserve à la loi « la détermination des principes fondamentaux du droit du travail ». Sur ce fondement, les partenaires sociaux n’ont pas de champ de compétences propre, comme c’est la pratique dans de nombreux pays, où l’Etat n’intervient qu’en cas de carence de la négociation, et ils ne sont pas libres de négocier des réformes nationales. Cette situation (qui vaut également en ce qui concerne la formation professionnelle, pourtant gérée paritairement) risque d’écarter les partenaires sociaux des décisions les plus importantes, dans un champ où ils sont pourtant légitimes à intervenir, et de fragiliser le consensus social, dès lors que l’Etat porterait seul des réformes importantes. La seule exception jusqu’ici était l’assurance chômage, parce que la loi (article L5422-20 du Code du travail) donne compétence aux organisations représentatives d’employeurs et de salariés de fixer par accord les mesures d’indemnisation du chômage, accord qui s’applique à toutes les entreprises à condition d’être agréé par l’Etat. Dans les autres domaines, les partenaires sociaux sont seconds.

La loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007 a voulu pourtant les réintroduire dans le jeu des réformes nationales du droit social mais sans leur reconnaître un vrai droit à la négociation. Cette loi dispose que, sauf urgence, tout projet de réforme envisagé par le gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives, en vue de l’ouverture éventuelle d’une négociation.

De fait, c’est dans le cadre de cette loi que se sont ouvertes les négociations récentes sur la formation professionnelle et sur l’avenir de l’assurance chômage.

La loi reste profondément ambiguë : elle dispose que le gouvernement est obligé, sur certains thèmes, d’ouvrir une concertation et, si les partenaires sociaux en manifestent l’intention, de leur laisser le temps de négocier. Si la négociation échoue, l’Etat agit comme il l’entend. Si elle aboutit, les lignes se brouillent : la loi précise en effet que chaque projet de réforme débute par la transmission aux partenaires sociaux d’un document établi par le gouvernement et comportant « des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options ». Quel est le statut de ce document, appelé parfois « feuille de route », parfois « programme de travail ? ». Que se passe-t-il si les partenaires sociaux s’en écartent, ce qui a été le cas dans les négociations qui nous intéressent ici ? La loi ne le dit pas. Elle prévoit par ailleurs que « au vu des résultats de cette négociation et de la concertation », le gouvernement élabore son projet de texte. Le Conseil d’Etat a beau évoquer, dans un colloque de 2010 sur la place des partenaires sociaux dans l’élaboration du droit, « une négociation légiférante », aucune disposition juridique n’oblige l’Etat (ni l’exécutif, ni le Parlement) à intégrer dans la loi sans modification le contenu des ANI négociés. le seul risque que court l’Etat est de mettre en péril ses relations avec les partenaires sociaux et leur association future à des procédures du même type. Le gouvernement aujourd’hui fait jouer ce droit d’inventaire, au moins sur certaines dispositions des ANI qui viennent d’être négociés. Cette attitude est conforme à sa conception des relations avec des partenaires sociaux, que l’on consulte, qui ont leur importance, mais auxquels est dénié le pouvoir de décision.

  1. Réforme de l’assurance chômage : points d’accord, points d’achoppement

Sur l’assurance chômage, la teneur de l’ANI convient pour l’essentiel à l’Etat, qui a annoncé qu’il ne le corrigerait qu’à la marge.

Quatre thèmes étaient en débat : le droit à indemnisation des démissionnaires, l’extension de l’assurance chômage aux travailleurs indépendants, l’institution de règles nouvelles pour améliorer l’emploi stable (en clair, pour réduire le recours aux CDD), le contrôle et l’accompagnement des demandeurs d’emploi et la gouvernance de l’assurance chômage.

Sur le premier (les démissionnaires), l’Etat renonce à son projet initial, qui consistait à attribuer des droits dégradés (durée plus courte de l’indemnisation et plafonnement de l’allocation à un niveau inférieur à celui des salariés licenciés). Les démissionnaires auront donc les mêmes droits que les autres (mais avec des conditions d’affiliation préalables plus longues). Le gouvernement améliore même l’ANI en prévoyant une périodicité quinquennale de l’ouverture du droit, alors que les partenaires sociaux évoquaient une fois tous les 7 ans, et en acceptant son extension, au-delà du projet de reconversion professionnelle dûment validé des salariés, aux créateurs d’entreprise.

Sur l’extension aux indépendants, où il avait laissé les débats ouverts, le gouvernement se rallie à la proposition de n’ouvrir le droit qu’aux seuls indépendants en liquidation judiciaire et prévoit une indemnisation forfaitaire limitée dans le temps (6 mois sans doute), autant dire un assez faible progrès, en nette contradiction avec le programme présidentiel qui a manifestement mal anticipé la difficulté d’un tel engagement. La substitution de la CSG à la cotisation salariale d’assurance chômage perd, dans ce contexte, sa signification.

Sur la limitation des CDD, le gouvernement accepte la proposition très molle des partenaires sociaux qui souhaitent un diagnostic par branche des partenaires sociaux ainsi que des propositions avant fin 2018. Il paraît renoncer à sa menace initiale « de prendre ses responsabilités » si les propositions s’avéraient insuffisantes, ce qui est, à l’évidence, le cas.

Quant au contrôle des chômeurs (que l’Etat va intensifier, non qu’il en attende des résultats mais pour afficher sa rigueur), l’ANI ne dit pas grand-chose et « attend les propositions de l’Etat » sur un meilleur accompagnement comme sur un nouveau barème de sanctions, ce qui manque un peu de courage. Enfin, alors que l’Etat appelait à une nouvelle gouvernance pour un régime désormais financé en partie par l’impôt, l’ANI réaffirme sèchement que la négociation paritaire doit continuer à définir, en toute autonomie, le système d’indemnisation, en espérant, à terme, pouvoir se priver de la garantie financière de l’Etat sur la dette du régime.

Sur l’assurance chômage, le point d’achoppement ne sera sans doute pas la gouvernance (même si le gouvernement va y revenir, tant il paraît désireux d’étatiser, même symboliquement, le dispositif) mais bien plutôt l’institution d’un système de bonus-malus sur les cotisations patronales d’assurance chômage pour dissuader le recours aux contrats courts. Pour autant, ce sont surtout les organisations patronales qui sont hostiles à ce dispositif, les organisations syndicales de salariés l’ayant, quant à elles, proposé à plusieurs reprises, arguant que l’assurance chômage, plutôt que de faciliter le recours aux contrats courts en supportant le coût récurrent (et très lourd) des fins de CDD, devait plutôt faire payer aux employeurs le coût induit. La solution de compromis trouvée n’a guère de sens : l’on voit mal comment les branches (surtout celles concernées par des recours très importants aux CDD) pourraient parvenir à faire, à ce sujet, des propositions qui responsabilisent les employeurs. Dans un an, une fois cet échec constaté, l’Etat aura les mains libres. Force est de reconnaître que, s’il instituait un dispositif de bonus-malus, l’Etat donnerait du sens à un système de protection contre le chômage qui ne parvient pas à enrayer la dégradation de la qualité de l’emploi, voire même la facilite. La loi sera plus opérationnelle et plus équitable que l’accord.

  1. Réforme de la formation professionnelle : un différend plus profond.

 L’ANI du 22 février 2018 prévoit en ce domaine de nets progrès : ainsi, chaque salarié pourra bénéficier d’un conseil en évolution professionnelle gratuit (un financement ad hoc est prévu) et personnalisé ; les droits inscrits annuellement sur son compte personnel de formation augmentent de 50 %, avec un plafond nettement relevé (400 heures, 550 pour les salariés non qualifiés) ; le compte personnel de formation est mobilisable pour un projet de « transition professionnelle » et le salarié dont le projet est validé dans ce cadre bénéficie d’un congé rémunéré par son employeur ; les partenaires sociaux s’emparent du sujet « alternance », sous ses deux formes, apprentissage et contrat de professionnalisation, organisent son financement ainsi que le cadre juridique et le financement des CFA ; ils fluidifient l’actualisation des certifications pour répondre aux besoins des entreprises et veulent en simplifier le paysage ; ils acceptent le renforcement de la formation des demandeurs d’emploi demandé par le gouvernement. L’accord, très technique, semble néanmoins dynamique et offensif.

Cependant, sur deux points au moins, l’accord ne répond pas aux demandes du document d’orientation établi par le gouvernement. Celui-ci demandait que soit reconnue au titulaire du compte personnel de formation une vraie liberté d’utilisation de son compte, pour « sortir d’une logique de prescription » de la formation. De fait, depuis des années, l’on répète que le DIF (droit individuel à la formation) puis le compte personnel de formation ont rendu les salariés « acteurs de leur propre formation ». La réalité est un peu différente. Certes, le salarié est demandeur : mais, si la formation a lieu sur le temps de travail, elle est soumise, c’est assez normal, à l’aval de l’employeur, qui peut abonder les heures nécessaires, tout comme l’OPCA (organisme paritaire agréé géré par les partenaires sociaux) appelée à la financer. Si la formation est prévue en dehors, c’est l’organisme paritaire mutualisateur qui l’étudie, l’avalise, décide là aussi, le cas échéant, d’un abondement. Le salarié est, de fait, dans une logique d’autorisation. Or, le gouvernement voulait lui donner la liberté de choisir. C’est en ce sens qu’il demandait que les crédits dont dispose le compte personnel de formation soient libellés en euros, ce qui permet « d’acheter » des formations, alors que les partenaires sociaux maintiennent une logique d’heures, qui sont ensuite transformées en euros (il faut bien payer les formations) dans une conversion obscure dont peu de monde a la clef.

Sur un autre point, capital, l’ANI ne répond pas : le gouvernement voulait une « accréditation des formations » pour en améliorer la qualité. Les partenaires sociaux, tout au long du texte,  ont multiplié les généralités sur la nécessité d’améliorer la qualité, sans aller au-delà.

Le gouvernement a donc annoncé qu’il allait passer outre, se passer des OPCA pour prélever les financements et les distribuer, simplifier radicalement l’accès à la formation (le CPF sera en euros et librement utilisable par son détenteur), imposer un contrôle des prix des organismes de formation professionnelle et un contrôle qualité plus strict, les formations accessibles au CPF étant appelées à être certifiées.  Sur tous ces points, il est difficile de lui donner tort. Certes, il remet en cause la gestion des partenaires sociaux sur le financement de la formation professionnelle et l’on ne voit pas bien comment s’exercera la mutualisation des fonds entre les entreprises selon leur taille. Mais il tranche sur le libre accès (le conseil en évolution professionnelle devrait aider les salariés) et régule enfin le marché, qui a toujours fonctionné comme un ensemble obscur et compliqué dont on a du mal à comprendre les règles.

Au final, il est tentant de considérer que le gouvernement est critiquable en ne respectant pas la négociation collective qu’il a lui-même provoquée. Pour autant, ce serait mieux que les partenaires sociaux fassent un bilan plus critique du fonctionnement de dispositifs sociaux qu’ils gèrent et protègent. Autant ils sont légitimes à défendre l’extension des droits, autant ils seront dépréciés s’ils ne contribuent pas mieux à l’efficacité des dispositifs dont ils ont la charge

Pergama