Loi PACTE, faux consensus, vraies ambiguïtés

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Loi PACTE, faux consensus, vraies ambiguïtés

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Que le Medef soit favorable à un projet de loi et la vigilance s’éveille, tant les positions des représentants patronaux, frappés d’autisme quand ils parlent compétitivité, poids des normes, dépenses publiques et salaires des grands patrons, sont parfois caricaturales. De fait, l’organisation patronale se dit favorable à la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) dont on sait peu de choses encore (elle sera présentée courant avril 2018), sauf qu’elle poursuit deux ambitions principales : aider les entreprises, notamment à grandir, ET repenser leur place dans la société.

Côté pile, sont évoquées des mesures plutôt techniques allant de la refonte des seuils sociaux (le seuil de 20 salariés serait supprimé) à la dématérialisation de toutes les démarches y compris celles de création d’entreprise, en passant par l’amélioration des conditions de transmission ou les conditions d’accès au crédit. La loi sera probablement un inventaire à la Prévert, sans doute utile mais difficile à évaluer. Surtout, le projet s’accompagne de la création d’un « fonds pour l’innovation de rupture », alimenté par des produits de cession de certains de ses actifs par l’Etat, qui sera destiné à financer des innovations encore non rentables.  Le gouvernement attend également pour le printemps le rapport demandé à trois experts sur le dispositif actuel d’aides aux innovations et d’éventuelles propositions de refonte du système. L’on pressent que le diagnostic sera sévère (la lettre de mission évoque un foisonnement de mesures, une soixantaine aujourd’hui, et donc une dispersion peu efficace), d’autant que la France a toujours souffert d’un taux de R&D plutôt bas : en 2015, ses dépenses correspondent à 2,27 % du PIB (dont seulement les 2/3 dans les entreprises), loin derrière la Corée, les pays nordiques, le Japon et l’Allemagne.

Côté face, deux préoccupations émergent : d’une part la volonté de faciliter la reprise d’une entreprise par ses salariés ou de développer l’intéressement et de la participation grâce notamment à la baisse du forfait social qui frappe aujourd’hui ces sommes. D’autre part et surtout, la loi a été préparée par le rapport Notat-Senard, qui propose une autre définition des missions de l’entreprise qui l’arrimerait davantage aux enjeux sociétaux.

A priori, ces deux orientations font consensus mais sans doute plus la première que la seconde, qui suscitera, à vrai dire à juste titre, des discussions.

Le rôle de l’Etat : aider les entreprises à grandir

 S’il a existé dans le passé des débats théoriques sur le rôle que doit jouer l’Etat dans l’économie, certains prônant l’Etat colbertiste des années 50 et 60 et d’autres recommandant plutôt un Etat « régulateur », qui n’intervient que pour maintenir des conditions de concurrence ou réglementer l’accès au crédit, la discussion est close. Depuis la crise, surtout depuis les efforts pour remonter la pente engagés en 2013-2014, plus personne ne discute le diagnostic porté sur l’économie française (une taille des entreprises insuffisante, notamment pour exporter, un positionnement des produits industriels de bas ou de milieu de gamme peu compatible avec des coûts de production plutôt élevés, une part trop importante de personnes sans qualification parmi la population, un pourcentage d’actifs trop faible par rapport à d’autres pays) ni la nécessité que l’Etat intervienne pour aider le pays à sortir de telles difficultés, qui sont structurelles. Il peut le faire en améliorant le dispositif de formation : c’est sans doute le chantier sur lequel les attentes actuelles sont les plus fortes, surtout en période de reprise où les entreprises dynamiques ne trouvent pas sur le marché le personnel compétent dont elles ont besoin. Il peut le faire surtout en aidant l’innovation. La pente naturelle des entreprises est en effet de sous-estimer cette priorité et, dans un capitalisme financier où les actionnaires se préoccupent davantage de rentabilité que d’avenir, de préférer la distribution de dividendes à l’investissement en R&D. Quant aux petites structures, elles manquent de moyens pour engager les dépenses nécessaires qui sont lourdes. La crise a donc relégitimé la place de l’Etat dans l’économie. Il suffit de penser à la création, au ministère des Finances, de la mission « French Tech » en charge d’encourager la création de start-up numériques pour comprendre la nécessité de cette action. Certes, aujourd’hui, le débat est moins d’aider la création d’entreprises innovantes que de les aider à grandir. Là aussi, l’Etat a une responsabilité. Il faudra certes regarder de près ce que contiendra la loi Pacte mais consacrer de l’argent à encourager l’innovation tout en aidant les entreprises à atteindre une taille critique est une bonne décision.

Le débat porte donc davantage, dans la préparation de la loi Pacte, sur les règles qui doivent régir l’entreprise et définir ses finalités.

 Le rapport Notat-Senard : « L’entreprise, objet d’intérêt collectif », mais pas plus

 Le rapport a été commandé par quatre ministres, Transition écologique et solidaire, Justice, Travail, Economie et finances. La demande, assez curieusement formulée, est celle d’une « réflexion sur la relation entre l’entreprise et l’intérêt général ». La lettre de mission, à vrai dire, donne déjà la réponse : les finalités de l’entreprise ne sont pas seulement, dit-elle, de servir aux actionnaires un retour sur investissement. L’entreprise a pour objet (entre autres) de répondre aux défis environnementaux, d’assurer le respect des droits humains et de favoriser le bien-être des salariés.  Il est donc demandé aux commanditaires de préciser le statut et les modalités de gouvernance qui permettraient d’atteindre ces finalités.

Le rapport répond, à sa manière, à vrai dire timide. Le Code civil, dit-il, ne contient pas de définition de l’entreprise mais précise (articles 1832 et 1833) ce qu’est une société, c’est-à-dire une association contractuelle de personnes qui affectent des ressources à une « entreprise » commune pour en tirer bénéfice. Toute société, dit le Code, doit avoir un objet licite et être constituée « dans l’intérêt commun des associés ». On le voit, ces articles, dont la rédaction date de 1804, ne prévoient que l’association d’investisseurs et la poursuite de résultats financiers : l’entreprise n’existe pas dans les textes en tant que collectivité ayant des intérêts propres. De ce fait, le rapport Notat-Senard propose de corriger le droit pour enrichir la définition. Ainsi, il est proposé d’ajouter un alinéa à l’article 1833 du Code civil, indiquant que la société doit être gérée dans son intérêt propre, « en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». La formule est extrêmement vague et n’impose aucune mission supplémentaire. Par ailleurs, modification cette fois-ci du Code de commerce (article L225-35), les conseils d’administration et de surveillance, qui jusqu’alors « déterminaient les orientations de l’activité de la société », le feront désormais « en référence à sa raison d’être » qu’ils pourront préciser. Il sera sans aucun doute question, dans cette « raison d’être » de respect de la collectivité des salariés, de valorisation de leurs compétences, de recherche du bon équilibre entre le développement de l’entreprises et la protection de l’environnement…Au-delà, le rapport préconise la reconnaissance d’« entreprises à mission », sociétés de toutes formes juridiques qui choisiront volontairement de remplir quatre critères : l’inscription de leur « raison d’être » dans leurs statuts ; l’existence d’un comité d’impact, éventuellement composé de « parties prenantes » de l’entreprise (clients, fournisseurs, salariés) ; enfin la mesure des résultats atteints et la publication des performances extra-financières.

Le rapport ajoute que les grandes entreprises seront incitées à se doter de « Comités de parties prenantes », « aiguillon de progrès dans le domaine de leur responsabilité sociale ».

Enfin, il propose que le nombre des administrateurs salariés dans les conseils d’administration et de surveillance des entreprises de plus de 1000 salariés soit renforcé : il n’y aura toujours qu’un administrateur salarié dans les conseils de taille restreinte mais il y en aura 2 à partir de 8 administrateurs non-salariés (aujourd’hui, le seuil est de 12) et 3 à partir de 13. Le rapport note pourtant que, dans 18 des 28 pays de l’UE, le pourcentage d’administrateurs salariés est au moins d’un tiers et que dans certains pays, comme l’Allemagne, il y a des administrateurs salariés dans les entreprises à partir de 500 salariés. Il n’a pas pour autant jugé qu’il lui fallait être un peu plus audacieux.

Ces propositions sont, pour le moins, décevantes, ce qui s’explique sans doute par une analyse bien optimiste de la réalité. D’une part, dit le rapport, le droit est une partie de la solution. Redonner de la substance à l’entreprise et l’amener à réfléchir sur sa raison d’être permettra de construire un compromis raisonnable entre le but lucratif de l’entreprise et ses responsabilités sociales et environnementales. Or, lorsque le droit ne fait que de l’affichage, il ne modifie rien, d’autant que certaines entreprises (le rapport le reconnaît) sont poussées au « court-termisme » par les exigences d’un actionnariat volatil indifférent à leur mission sociale. Seconde conviction, la responsabilité sociale de l’entreprise serait un acquis : les entreprises auraient déjà compris que leur légitimité tenait, aux yeux de leurs clients, de leurs salariés et de leurs partenaires, au bon exercice de leur responsabilité sociale. Il est vrai que certaines grandes entreprises font de la RSE une dimension de leur notoriété.  D’autres savent qu’elles sont gagnantes sur le fond à respecter les cadres féminins ou à organiser un dialogue social de qualité. Est-ce pour autant que l’ensemble des entreprises est acquis à la protection de l’environnement ou à la lutte contre la discrimination ? La réponse est évidente. L’on comprend le soulagement ostensible du MEDEF, qui avait annoncé que l’inscription dans le Code civil de nouvelles obligations pour les entreprises ne serait pas la bonne manière de les faire progresser. Il se réjouit donc qu’avec l’application du rapport Notat-Senard, elles n’en aient aucune.

Avancer ?

 L’occasion de faire réellement progresser le droit est donc très probablement perdue. Reste que d’autres cercles de réflexion se sont emparés de la question et l’ont plutôt mieux traitée que le rapport Notat-Senard ne le fait. Ainsi, le think tank Terra Nova a publié le 5 mars 2018 une note[1] sur le sujet et la fondation Jean Jaurès  a fait de même[2]. De ces réflexions, il est loisible de tirer la synthèse suivante :

1°Certes, le Code civil est muet sur la définition de l’entreprise et n’évoque que les « sociétés ». Mais le droit pris dans son ensemble est riche : pour ne s’en tenir qu’au droit du travail, il reconnaît l’existence d’une collectivité humaine qui a des droits et une représentation. La loi du 15 mai 2001 relative aux « Nouvelles régulations économiques » donne des obligations de « reporting » aux entreprises cotées sur les conséquences environnementales et sociales de leur activité et l’ordonnance du 19 juillet 2017 relative à la publication d’informations non financières par certaines grandes entreprises et certains groupes d’entreprises étend cette obligation. La loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique assigne aux entreprises une obligation de mise en place d’un dispositif de prévention de la corruption en leur sein et donne un statut aux lanceurs d’alerte qui signaleraient certaines infractions. La loi du 27 mars 2017 oblige les sociétés mères et donneuses d’ordre à un devoir de vigilance à l’égard de leurs filiales et sous-traitants pour maitriser les risques liés aux droits des personnes, à la santé, à l’environnement. Ce n’est pas parce que le Code civil est resté archaïque que l’entreprise n’est qu’une « société » : elle est déjà reconnue comme un acteur soumis à des obligations inspirées par des besoins sociaux et des impératifs environnementaux. Il est temps d’aller plus loin et de les formaliser, en tant qu’obligations, dans le Code civil : il n’est pas excessif de demander à l’entreprise de prendre en compte l’intérêt des parties prenantes (et non pas seulement de le « considérer », comme le dit le rapport Notat-Senard)… Cette exigence est d’autant plus urgence que, contrairement à ce que sous-entend trop souvent ce rapport, l’entreprise est en crise : dégradation de la qualité de l’emploi, montée de la pénibilité, organisation du travail coercitive qui fait bon marché de la demande d’autonomie des personnels…et importance excessive données aux seuls résultats financiers ; son image est d’ailleurs ambivalente, voire dégradée, et les fraudes constantes repérées ces dernières années (des tricheries dans la composition des aliments aux fraudes sur l’ampleur des émissions des voitures) n’ont rien arrangé.

2° L’entreprise doit devenir plus partenariale : un « Comité des parties prenantes » doit être constitué (au moins dans les entreprises d’une certaine taille) et consulté (il doit faire partie des instances de l’entreprise) et la présence d’administrateurs salariés doit atteindre les standards européens, un tiers des administrateurs (mais jamais un seul) et un seuil abaissé à 500, avec une formation solide ;

3° Un label « entreprise responsable » doit être défini qui impose le respect de certaines normes ou pratiques, dans le domaine des ressources humaines, de la santé au travail, des relations avec les fournisseurs, de l’environnement.

Le rapport Notat -Sénard est vide et, de ce fait, la loi Pacte risque de l’être aussi. Il est sans doute encore temps de réagir pour éviter les congratulations creuses des fausses réformes.

Pergama

 

[1] « L’entreprise contributive, 21 propositions pour une gouvernance responsable »

[2] « Entreprises engagées, 10 propositions pour réconcilier l’entreprise et les citoyens »