Crise hospitalière : un échec de 30 ans

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Crise hospitalière : un échec de 30 ans

L’hôpital public est en crise et la situation ne date pas d’hier. Cette crise est un aboutissement, celui de 30 ans de réformes hospitalières, qui ont commencé dans les années 80 avec l’institution du budget global. Ces réformes, inspirées par d’excellentes analyses, ont pourtant manqué leur cible : cela fait des années que l’hôpital public se porte mal sans pour autant devenir plus performant. Comprendre comment il est possible, en partant d’un diagnostic juste et d’ambitions légitimes, d’aboutir à la mise à mal d’un service public, est un exercice utile.  Il permet de dégager les principes applicables dans d’autres réformes.

Un diagnostic juste : l’hôpital doit évoluer

 Les analyses sont toutes convergentes. Les plus récentes se trouvent dans deux rapports, l’un de la Cour des comptes de novembre 2017[1] et l’autre de l’OCDE de février 2018[2], sans compter le document qui présente les orientations stratégiques des pouvoirs publics, le Programme de qualité et d’efficience « santé » annexé à la loi de financement de la sécurité sociale 2018 et qui contient des indicateurs révélateurs de la situation des établissements de santé. Les grandes conclusions sont les suivantes :

 1° La France dépense davantage que les autres pays pour les soins hospitaliers, le nombre de lits est plus élevé qu’ailleurs et la durée moyenne de séjour est également parmi les plus longues : ces indicateurs publiés par l’OCDE traduisent un système de soins trop « hospitalo-centré », où les séjours (et/ou leur durée) sont, dans une proportion non négligeable, « inadéquats ». Ainsi, en 2015, 27% des établissements publics ont des durées moyennes de séjour (DMS) considérées comme anormalement élevées contre 11 % des cliniques privées. De telles données peuvent s’expliquer en partie par la structure de l’offre de soins sur le territoire environnant (les DMS s’allongent par manque de structures d’aval capables d’accueillir, par exemple, des personnes âgées en sortie d’hospitalisation) mais elles révèlent également pour partie des dysfonctionnements organisationnels. Pour remplir leur véritable mission, les services hospitaliers devraient recentrer leur activité sur les soins aigus, alors que certains sont occupés par des personnes âgées qui devraient être prises en charge autrement ;

2° Les établissements peinent à prendre ce que les technocrates de la santé appellent « le virage ambulatoire », qui consiste à substituer, notamment en chirurgie, des places d’hospitalisation partielle ou de jour à des lits d’hospitalisation complète. Cette évolution améliore le confort des malades et diminue les coûts de fonctionnement. Certes, dans les dernières années, les établissements publics ont rattrapé une partie de leur retard : mais les nouveaux objectifs (effectuer en 2020 66 % des actes en chirurgie ambulatoire) ne seront sans doute pas atteints : les établissements publics sont loin de s’adapter aussi rapidement que les privés à but lucratif, que leur taille plus réduite rend, il est vrai, plus « agiles ». Ces mêmes principes devraient également s’appliquer aux services de médecine (l’hospitalisation complète ne devrait être que le dernier recours) mais ce mouvement n’est pas engagé : le manque de structures alternatives (services d’hospitalisation à domicile ou, tout simplement, de soins infirmiers à domicile) l’explique en partie mais aussi, plus simplement, la routine et le maintien d’habitudes anciennes ;

3° L’offre hospitalière est excessive, redondante et parfois d’insuffisante qualité. Sa restructuration, entreprise depuis 20 ans, devrait tendre en premier lieu à garantir la sécurité des patients : sur le modèle de ce qui a été fait pour les maternités, il faut fermer les établissement ou services de chirurgie trop petits dans lesquels, au demeurant, les vacances de postes sont chroniques. Les restructurations doivent également permettre des économies en veillant à la non redondance de l’offre sur un même territoire de santé.

Or, compte tenu de résistances locales ou corporatistes, peut-être aussi par faiblesse, les pouvoirs publics n’ont pas réussi à restructurer le tissu hospitalier : en septembre 2017, la Cour des comptes constatait que le développement de la chirurgie ambulatoire n’avait pas fait disparaître la dispersion des sites de faible activité qui pratiquent de la chirurgie traditionnelle. Le taux d’occupation moyen des lits en services aigus (dits MCO, médecine, chirurgie, obstétrique) est faible (76 %) et très inégal selon les régions, ce qui signale des gaspillages. Dans une étude de 2017 portant sur les projections d’activité hospitalière en MCO à horizon 2030, le service d’études du ministère de la santé tente de quantifier les lits excédentaires par rapport à l’évolution des besoins. : les lits d’hospitalisation complète devraient baisser en 2030 de 11 %. Cette baisse s’accompagnerait, il est vrai, d’une augmentation des besoins dans d’autres secteurs (soins de ville, soins de suite et réadaptation, hospitalisation à domicile).

4° Enfin, le déficit des établissements publics (essentiellement celui des CHR-CHU, qui est inquiétant parce qu’il dure et semble s’amplifier) révèle des coûts excessifs par rapport aux tarifs des actes remboursés par l’assurance maladie :  comme ces tarifs sont définis en fonction de coûts moyens par pathologies, cette dérive financière montre une productivité insuffisante (utilisation insuffisante des équipements, voire excès de personnels, gestion déficiente). La Cour des comptes suspecte également les prescriptions hospitalières d’être excessives et parfois infondées.   A noter que les établissements privés à but lucratif ne rencontrent pas ces difficultés financières, ou beaucoup moins.

Ce qui ressort au final, c’est un paysage où les établissements publics peinent à s’adapter, en termes de taille et d’activités, à une demande qui évolue, et dont la productivité trop faible génère des difficultés financières. Ce diagnostic n’est pas faux. Il mérite toutefois d’être éclairé : les pouvoirs publics ont cru que la contrainte et l’autorité verticale suffisaient à imposer la réforme ; ils ont de plus méconnu la culture propre des établissements et les contraintes professionnelles que rencontraient les personnels ; enfin, ils ont voulu réformer l’hôpital sans réformer l’ensemble du système de soins. L’on aboutit de ce fait à une impasse où l’hôpital se désespère sans jamais parvenir à se remettre à niveau.

Leçon 1 : La contrainte ne suffit pas et elle peut être nocive.

 Préoccupé par la recherche de l’équilibre financier de l’assurance maladie, l’Etat a eu de toujours recours à la contrainte et celle-ci s’est essentiellement exercée sur les établissements de santé. L’Etat définit aujourd’hui annuellement un objectif national d’assurance maladie (ONDAM), enveloppe fermée de dépenses de l’année. L’outil est étonnamment fruste : sa définition et son taux d’évolution annuel n’obéissent pas à des objectifs de santé ni à une mesure de l’évolution du coût des soins.  Il est vrai que cette « médicalisation » de l’ONDAM  serait très malaisée. L’ONDAM est l’ONDAM, c’est tout, c’est une enveloppe dont le taux d’évolution (proche de 2 % ces dernières années) est inférieur de 1 à 1,5 point à ce qui serait nécessaire pour faire fonctionner le système à l’identique. L’idée sous-jacente est que la contrainte ainsi imposée obligera les prestataires à améliorer leur performance. Mais en réalité, pour tenir dans une enveloppe trop serrée, la loi de financement de la sécurité sociale prévoit mille petites économies dont une grande part ciblent l’hôpital puisqu’il serait plus difficile de les imposer à la médecine libérale : de ce fait, les tarifs de remboursement des soins hospitaliers (la T2A, tarification à l’activité) s’éloignent de plus en plus des coûts moyens et des efforts de gestion supplémentaires sont sans cesse demandés à l’hôpital. Cet effort constant de compression des dépenses les affaiblit : la Cour des comptes, pourtant insoupçonnable de la moindre bienveillance à l’égard d’établissements dépensiers, considère même que cette contrainte les empêche de se restructurer. Cette exigence pèse en tout cas sur le climat social, d’autant qu’elle s’intensifie dès que l’établissement subit un déficit, qu’il faut alors rattraper. La méthode ne pourra durer indéfiniment : un maillon va craquer, il craque déjà.

 Leçon 2 : les établissements sont des structures de soins, pas des établissements administratifs

Les chefs de service hospitalier ont incarné longtemps l’image d’un « pouvoir médical » autonome, qui opposait sa légitimité aux contraintes financières et administratives. De plus, l’on a longtemps pensé, sans doute pas à mauvais titre, que le pouvoir reconnu aux médecins freinait la modernisation des établissements.

De réforme en réforme, la loi Hôpital, santé, patients, territoire 2009 a fini par radicalement modifier l’organisation de l’hôpital pour centraliser au maximum le pouvoir. Le directeur d’établissement est désormais le seul responsable, il a autorité sur l’ensemble du personnel, arrête le projet médical (même si celui-ci sera préparé par le président de la CME), définit l’organisation en pôles médicaux et nomme les chefs de pôle (sauf dans les CHU). Lui-même est, de par la loi, soumis à l’autorité du directeur de l’Agence régionale de santé, service déconcentré de l’Etat. Les représentants des médecins gardent certes du poids dans les décisions stratégiques mais, au final, les logiques gestionnaires l’emportent désormais toujours, sans que les personnels soient vraiment « responsabilisés » : ils sont contraints et s’en sentent écrasés. A juste ou mauvais titre (en fait, un peu des deux) la tarification hospitalière (T2A) focalise l’exaspération. Mais le fait est que les personnels soignants ont le sentiment de ne plus pouvoir faire leur métier. Quand l’équilibre entre préoccupations financières et vocation d’une structure est rompu, l’ensemble ne tient plus. Nous en sommes à ce point.

L’on en sent le signe dans certaines études ou enquêtes, tel un chapitre d’une étude du ministère de la santé sur les conditions de travail à l’hôpital ou un document de la Haute autorité de santé sur la qualité de vie au travail[3] :  malgré des améliorations nettes en 10 ans, les conditions de travail à l’hôpital restent marquées par des contraintes de rythme, un travail effectué dans l’urgence, souvent morcelé,  des tensions accrues avec le public, des exigences émotionnelles fortes et le sentiment d’une quantité de travail excessive. Les personnels infirmiers tout particulièrement déclarent davantage « être exploités » et travailler sous pression. Pour avoir de l’efficacité, les réformes doivent respecter la morale professionnelle. En l’occurrence, ce n’est pas le cas.

Leçon 3 : Un  système global ne se réforme pas par petits bouts

 Un ouvrage récent, « La démocratie sanitaire »[4] jugeait il y a quelques années que, s’il fallait repenser le système de santé, ce devait être de manière globale : le système a cessé, disait-il, d’être en expansion. Il est évident qu’il doit se réorganiser pour mieux répondre aux besoins (le vieillissement de la population les modifie). La « régulation » des pouvoirs publics devient première, qui doit piloter ce mouvement. Mais le système ne peut pas se réformer « par bouts » et l’hôpital, les soins de ville, les soins médico-sociaux doivent être réformés ensemble, même si, de ce fait, le chantier est plus difficile. Or, les pouvoirs publics ont réformé l’hôpital depuis 30 ans, mais d’une part, jamais jusqu’au bout (ils ont laissé perdurer des structures de soins dangereuses ou faiblement utiles, qui consomment indûment des ressources aux détriments d’autres établissements essentiels), d’autre part sans imposer le même aggiornamento aux soins de ville. Ils affirment la nécessaire unité du système de soins et reprochent aux établissements de ne pas se recentrer sur leur vocation propre, mais ils ne veillent suffisamment à ce que les malades (notamment les personnes âgées, de fait trop souvent hospitalisées) trouvent ailleurs les structures d’accueil dont elles ont besoin. La notion de « parcours de soins » tant prônée par les décideurs a rarement de la consistance, si l’on met derrière le terme la prise en charge harmonieuse des malades au gré de leurs besoins de santé. Le fonctionnement dégradé des urgences hospitalières dans les gros établissements de santé le montre à l’évidence : le désengagement des médecins de ville et l’absence de structures alternatives pèsent sur l’activité hospitalière. Est-ce vraiment tout à fait leur faute ?

On voit bien alors ce qu’il faudrait faire : modifier la tarification hospitalière, d’autant qu’elle finit par avoir des effets pervers, inflationnistes d’abord, sur la qualité des soins ensuite (l’engagement de la réformer a été pris en 2012, des études ont été menées, rien n’avance) ;  rechercher des économies structurelles et non ponctuelles ensuite, dont le prototype serait l’amélioration de l’efficience des soins, à condition qu’il ne s’agisse pas là de déclarations creuses mais d’un projet, avec incitations et contrôles ; développer les alternatives aux soins hospitaliers, serait-ce sous la forme de maisons de santé ou de maisons des urgences ; respecter enfin la vocation des soignants et veiller à leur qualité de vie. Cela coûtera sans doute de l’argent au départ, avant de permettre des économies. Mais l’obsession de l’équilibre des comptes finira par coûter cher.

Pergama

 

[1] L’avenir de l’assurance maladie, rapport public thématique, Cour des comptes, novembre 2017

[2] France, améliorer l’efficacité du système de santé, OCDE, janvier 2018

[3] Portrait des professionnels de santé, DREES, 2016 et Revue de littérature, qualité de vie au travail et qualité des soins, Haute autorité de santé, 2016

[4] Démocratie sanitaire, les nouveaux défis de la politique de santé, Didier Tabuteau, Odile Jacob, 2013.