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Le projet de loi pour une immigration maitrisée et un droit d’asile effectif s’inscrit dans la longue lignée des textes dont le titre n’a rien à voir avec le contenu : il ne permettra pas de maitriser l’immigration (si du moins l’on met sous ce terme un objectif de régulation harmonieuse) et ne rendra pas le droit d’asile effectif. Certes, il contient quelques dispositions qui améliorent les droits des demandeurs d’asile, qu’il s’agisse des conditions de réunification familiale une fois l’asile obtenu ou de l’attribution directe d’un titre de séjour de 4 ans. Pour autant, sa signification est tout autre : elle est de rendre plus difficile, par mille mesures diverses, le parcours des étrangers en France, avec l’espoir qu’ils n’y viennent plus. La stratégie choisie est de contraindre les délais imposés aux demandeurs d’asile (les délais imposés aux autres acteurs qui interviennent dans la demande d’asile restent indicatifs) d’utiliser la rétention comme outil de dissuasion, de créer enfin mille contraintes, dont le relevé d’informations sur les étrangers hébergés dans les centres d’urgence. Ce n’est pas un texte qui réformerait une politique publique dans un souci d’efficacité : c’est un texte qui vise simplement à rendre la vie plus difficile à une catégorie de personnes que l’on veut rejeter hors des frontières, sans s’attaquer au droit d’asile à proprement parler puisque ce n’est pas possible (remercions les traités internationaux et la Constitution) mais en élevant tant d’obstacles qu’il devient peu atteignable. C’est aussi un texte destiné à l’opinion publique, qui, de manière majoritaire, voudrait rayer les migrations de la réalité. Ce qui est curieux, c’est de voir certains parlementaires, vaguement embêtés d’un texte dont ils comprennent le caractère répressif, le traiter comme n’importe quel projet, en s’interrogeant pour savoir si, finalement, il ne faudrait pas à fixer à 90 jours plutôt qu’à 135 le délai maximum de rétention ou déposer un amendement pour que les personnes étrangères assignées à résidence ne soient pas tenues de rester chez elles au moins dix heures par jour. Mais la démarche n’est pas de cet ordre-là et le ministre va céder sur les 90 jours, du moment que le projet reste dur. Son objectif est purement politique. Ce n’est bien évidemment pas la première fois : de nombreux textes ont, avant celui-là, contenu des mesures visant à afficher la répression, sans état d’âme sur le respect du droit d’asile, que l’on tord jusqu’à la limite du non-sens, et même sans souci de réalisme : il est probable que l’on expulsera un peu plus mais pas beaucoup plus qu’avant. Ce n’est pas une excuse : le projet correspond à un dérapage de l’action publique et, compte tenu de ce qui se passe dans le monde, c’est un dérapage impardonnable.

Contraindre tous les délais, plus pour contraindre que pour aller vite

 Le projet de loi réduit de 120 à 90 jours les délais pour demander l’asile après l’entrée sur le territoire, sauf à voir l’examen de la demande s’effectuer en procédure accélérée, c’est-à-dire de manière plus expéditive et avec moins de garanties. De même, le délai de saisine, en appel, de la Cour nationale du droit d’asile passe de 1 mois à 15 jours.

L’exposé des motifs de la loi justifie ces mesures par la volonté « d’amplifier la réduction des délais des procédures » déjà voulu par les lois précédentes, notamment la loi du 31 juillet 2015, qui fixait comme objectif un délai d’ensemble de 9 Mois. Désormais l’objectif est d’atteindre 6 mois d’instruction, alors même que l’objectif de 9 mois n’est pas atteint (les chiffres déclarés sont de 11 mois en moyenne). Or, toutes les associations caritatives indiquent que les délais d’examen des demandes par l’OFPRA et par la CNDA se sont effectivement réduits et devraient pouvoir se réduire encore. Elles notent pour autant que les délais les plus insupportables humainement (parce qu’ils se traduisent par une attente dans la rue) sont ceux qui séparent la décision de demander l’asile et l’obtention d’un R-V à la préfecture pour enregistrer la demande, délai qui peut facilement dépasser le mois. Eh bien ce n’est pas ce délai qui est réduit (il serait loisible de le faire en donnant plus de moyens aux points d’accueil des demandeurs et au « guichet unique » qui enregistre leurs demandes), c’est le délai des demandeurs que l’on restreint, pour accentuer sur eux la pression. Quant à réduire à 15 jours le délai pour présenter un recours en cas de décision négative de l’OFPRA, c’est amoindrir les chances des demandeurs de pouvoir convaincre en présentant un meilleur dossier. Cette réduction-là est vraiment scandaleuse, surtout quand on sait que le recours change les décisions dans un pourcentage non négligeable : en 2017, le taux d’acceptation passe de 27 à 36 % entre l’examen de l’OFPRA et la décision de la CNDA (Cour nationale du droit d’asile) qui se prononce sur recours.

Développer la rétention, contre tout bon sens

Le premier pas a été fait par la loi du 20 mars 2018 « permettant une bonne application du régime d’asile européen ». Ce texte (le titre est ici pleinement exact, sauf à penser qu’il n’y a pas de « bonne application » possible de ce droit) applique un droit européen que chacun sait inapproprié, générateur de dysfonctionnements et de souffrances, le règlement Dublin.  La loi permet de mettre en rétention des demandeurs d’asile « dublinés », c’est-dire ceux qui sont arrivés en Europe dans un autre pays européen, souvent l’Italie, et y ont laissé leurs empreintes, pas vraiment volontairement, ce qui, en théorie au moins, oblige l’Italie à examiner leur demande d’asile. Selon les préfectures, 50 % des demandeurs d’asile seraient des dublinés, qui peuvent donc être renvoyés dans leur pays de premier accueil.  Dès lors que le « dubliné » présente un risque de fuite (et la loi apprécie largement cette notion, et à vrai dire, si nous étions dublinés nous-mêmes, nous aurions sans doute envie de fuir), il peut être mis en rétention avant même qu’une décision de transfert lui soit notifiée, juste pour avoir le temps de demander l’accord du pays de premier accueil. Le dubliné, qui est, rappelons le, une personne persécutée, vulnérable, qui a parfois vécu l’enfer,  va donc être privé de liberté sans avoir commis de délit (le séjour irrégulier n’en est pas un, surtout pour un demandeur d’asile), par commodité, pour que l’absurde système de Dublin fonctionne. Avant la loi, quelle était la proportion de dublinés renvoyée ? On ne sait pas trop, les chiffres avancés sont très variables, 10 % sans doute, moins peut-être. Saurons-nous ensuite si le taux s’est amélioré et quel sera le devenir des « renvoyés » ? Sans doute non. Surtout, le système de Dublin permet-il d’honorer le devoir d’asile, en se revoyant en ping-pong d’un pays à l’autre des demandeurs qui ont droit à l’asile mais dont personne ne veut examiner la demande ? L’asile fonctionnera-t-il mieux avec des demandeurs transférés dans un pays où ils ne veulent pas vivre et qu’ils vont chercher à quitter à nouveau ? Non, et l’OFPRA en pâtit, qui finit par instruire les demandes d’asile de certains dublinés déjà rejetés ailleurs. Au lieu de mettre en cause ce système et de refuser de l’appliquer (d’autres pays l’ont déjà décidé), la France veut jouer pleinement le jeu. Au demeurant, le Conseil constitutionnel (décision 2018-762) a jugé que la privation de liberté était en l’occurrence adaptée au but poursuivi et proportionnée aux nécessités de l’ordre public. Qui disait que « les insuffisances et les failles » du règlement Dublin pose de nombreux problèmes et qu’il faudrait peut-être imaginer autre chose ? Qui disait : « Il faut arrêter de croire que faire attendre les gens, tenter de les dissuader, arrangerait quoi que ce soit. Cela ne fait qu’aggraver les choses pour tout le monde ». Pascal Brice, le directeur de l’OFPRA.

Le projet de loi asile et immigration renforce pourtant la loi du 20 mars 2018 : la durée de rétention maximale est allongée de 45 à 90 jours dans les cas ordinaires et à 60 jours pour les dublinés, avec des prolongations qui peuvent aller jusqu’à 45 jours supplémentaires si la personne fait obstacle à une mesure d’éloignement. Il est vrai que la rétention, ce n’est pas la détention, même si par beaucoup d’aspects (en particulier la privation de liberté), cela y ressemble. La personne en centre de rétention peut communiquer avec l’extérieur, rencontrer avocat et association d’aide, et surtout saisir le juge des libertés et de la détention de la décision de placement. De plus, c’est ce juge qui est chargé de se prononcer sur les prolongations au-delà de 48 heures.   Pour autant, aujourd’hui, selon la Cimade, le délai moyen en rétention est de 12 jours, alors que le maximum autorisé est de 45 jours. Quel besoin alors de d’augmenter encore le plafond, surtout que les moyens n’existent pas, que les centres sont pleins et que les conditions d’accueil n’y sont pas bonnes ? La Cimade estime que les prolongations au-delà de 15 jours ne servent à rien parce que les pays saisis pour réadmettre l’étranger soit acceptent rapidement soit n’en veulent pas. De plus, certaines prolongations au-delà de 90 jours peuvent être décidées au motif que l’étranger dépose une demande d’asile dans le seul but de se soustraire à une demande d’éloignement : si ce n’est pas une punition, c’est quoi ?

Le droit interdit en principe la rétention des demandeurs d’asile (CJUE, 14 septembre 2017, K, CEDH, 29 janvier 2008, Saadi) et ne la permet qu’à certaines conditions : elle doit être étroitement liée à la volonté d’empêcher un séjour irrégulier, n’être décidée que s’il n’existe pas d’alternative, s’accompagner de conditions appropriées et s’exercer dans un délai raisonnable. L’esprit de ces jurisprudences est que la rétention doit être exceptionnelle et se dérouler dans de bonnes conditions. Ce n’est pas l’esprit de la loi du 20 mars ni du projet qui la suit.

Coincer les étrangers

Deux dispositions controversées ont disparu du texte transmis à l’Assemblée nationale. La première permettait de refuser d’instruire la demande d’asile de migrants qui avaient transité par un pays tiers considéré comme sûr. La deuxième punissait d’une peine de prison les migrants qui arrivaient en France sans passer par un poste frontière. La première disposition mettait à mal la notion même de droit d’asile, en imposant aux personnes, même répondant à tous les critères de l’asile, d’aller voir ailleurs. Pour la deuxième, le Conseil d’Etat a prévenu qu’elle était contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Le ministre, sans doute la mort dans l’âme, a dû y renoncer.

Reste des dispositions moins graves mais dont on pressent qu’elles pourraient se retourner contre les demandeurs d’asile : ainsi, l’OFPRA peut convoquer ou prévenir le demandeur de sa décision « par tout moyen », y compris électronique. Le Conseil d’Etat ne refuse pas la mesure (c’est vrai que la communication avec le migrant est parfois difficile, surtout s’il n’est pas pris en charge dans un centre) mais met en garde sur la combinaison entre un délai de convocation trop bref et une modalité de communication incertaine, avertissant que l’équité de la procédure pourrait en être affectée. Avec un délai d’appel devant la CNDA réduit à 15 jours, il est préférable que la notification de l’OFPRA arrive rapidement à destination… De même, pour des raisons de commodité, le recours à la vidéo pour des entretiens à l’OFPRA ou des audiences à la CNCA est généralisé, même si le demandeur ne l’accepte pas. Là encore, le Conseil d’Etat, dans son avis sur le projet de loi, admet la procédure mais demande de veiller à ce que le demandeur d’asile ait alors, à ses côtés, son avocat ou la personne qui l’assiste et l’interprète si nécessaire et à ce que la liaison soit de bonne qualité. Il faut espérer que l’OFPRA y veillera. Mais l’on peut s’interroger sur la capacité d’un demandeur à expliquer une histoire douloureuse et compliquée par vidéo, face à des silhouettes qui pour lui n’auront rien d’humain et dont il ne rencontrera pas le regard. Le demandeur d’asile doit également choisir sur une liste, dès le dépôt de sa demande, la langue dans laquelle il sera entendu et il lui est demandé parallèlement s’il comprend le français. La disposition est-elle destinée à lui faire choisir une langue qui ne serait pas nécessairement la sienne ? et à le priver éventuellement de l’assistance d’un interprète ? Comprendre une langue et plaider dans cette langue, ce n’est pas pareil… Le texte enfin légalise le recueil d’informations des services du ministère de l’Intérieur sur les étrangers hébergés dans les centres d’urgence.

Que dire en conclusion, sinon reprendre celle du Conseil d’Etat dans son avis sur le projet de loi ? Depuis 1980, 16 lois majeures ont modifié les conditions d’entrée et de séjour des étrangers et les conditions de l’asile, se succédant sans même attendre l’évaluation, voire parfois la mise en œuvre de la loi précédente.  Surtout, au regard des enjeux de la politique migratoire, le Conseil d’Etat regrette de ne pas avoir trouvé dans le texte une stratégie publique prenant la mesure des défis à relever et permettant aux services un exercice plus efficace de leur mission. Tout est dit.

 Pergama