13 mai 2018
En 2017, le gouvernement a décidé le dégrèvement de la taxe d’habitation (TH) pour 80 % des contribuables locaux en fonction de leurs ressources : l’Etat se substituera aux ménages pour payer aux collectivités la taxe qu’elles auront votée. La mesure, mise en œuvre progressivement de 2018 à 2020, représentera pour l’Etat, à cet horizon, un coût de 10,1 Mds, intégré dans la trajectoire des finances publiques de la loi de programmation 2018-2022. Une telle décision n’était satisfaisante ni en termes d’équité entre contribuables[1], ni sur le plan des relations entre l’Etat et les collectivités territoriales : si l’on ajoute, au coût du dégrèvement décidé en 2018, celui des dégrèvements et exonérations déjà pris en charge par l’Etat, celui-ci était appelé à supporter en 2020 60 % du produit total du principal impôt local. Le Président de la république a donc annoncé en novembre dernier que la TH serait supprimée et qu’à cette occasion, une refonte de la fiscalité locale serait entreprise.
La mission dite Richard-Bur, déjà sollicitée sur « Les enjeux de maîtrise sur la dépense locale », l’a été sur la réforme de la fiscalité locale. Elle a rendu son rapport le 9 mai 2018. Celui-ci paraît de bon sens. Pour autant, l’on voit bien que son application va renforcer une évolution, engagée depuis plusieurs années, de réduction de l’autonomie des collectivités, dans un contexte où l’on n’attend d’elles guère autre chose que la réduction de leurs dépenses. Le pouvoir d’Etat ne s’intéresse plus aux territoires que dans la mesure où ils collaborent à son propre projet.
Le rapport Richard-Bur : des propositions cohérentes
L’affectation aux collectivités d’une fraction d’impôt national
Le rapport n’est pas d’une totale clarté sur les chiffres, jonglant avec les chiffrages en valeur 2016 ou 2020 et les diverses hypothèses de réforme sans toujours le préciser. Simplifions : selon les hypothèses, il faudra à horizon 2020 verser aux collectivités une compensation comprise entre 25 et 26,3 Mds. Seul le partage d’une fraction d’imposition nationale peut répondre à un tel montant. Le rapport suggère de choisir la TVA[2], avec éventuellement un complément de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) mais aussi, dans certaines hypothèses (notamment si les départements étaient dans la boucle, voir ci-dessous) à une part de CSG, mais limitée, compte tenu du poids de cette contribution sur l’équilibre des régimes sociaux.
Compte tenu des dépenses déjà supportées par l’Etat dès avant 2018 ou prévues à horizon 2020, le surcoût pour l’Etat ne sera à cette échéance que de l’ordre de 10,5 Mds.
Deux hypothèses de répartition, une plus convaincante que l’autre
Pour répartir ces 25 Mds, le rapport avance deux hypothèses. Il propose :
Le rapport plaide à juste titre pour la première solution, plus cohérente avec la vocation des différentes collectivités. Les départements ne bénéficient plus de la clause générale de compétences et leurs attributions se sont resserrées sur des thématiques particulières, versement des allocations individuelles de solidarité (Revenu de solidarité active (RSA), Allocation personnalisée d’autonomie (APA) et prestation de compensation du handicap (PCH) ou sur des missions territoriales spécifiques (routes et collèges). Le rapport souligne, à l’inverse, que les communes et les EPCI rendent un service public de proximité large qui justifie « un ancrage territorial plus fort de l’assiette fiscale ». Les recettes fiscales du bloc communal resteraient donc majoritairement locales avec une part d’impôt national et la fiscalité des départements serait, à l’inverse, pour l’essentiel, une fiscalité nationale affectée.
Des avancées
Mais des collectivités qui deviennent des opérateurs de l’Etat
Un lien population/collectivités qui s’efface ?
L’application des propositions du rapport altérerait l’autonomie fiscale du bloc communal (même si une part de la disparition TH est compensée par une augmentation de la TFPB, impôt avec « maitrise de taux ») et feraient totalement disparaître celle des départements, comme celle des Régions a déjà disparu. Il est vrai (le rapport y insiste lourdement) que la notion d’autonomie fiscale (qui recouvre l’importance, dans les ressources, des impôts dont la collectivité vote le taux) n’existe pas dans les textes et que ceux-ci (loi organique du 29 juillet 2004, éclairée par l’interprétation du Conseil constitutionnel du 29 juin 2012) imposent seulement que les recettes des collectivités comportent un pourcentage minimum de « ressources propres », dont la fiscalité « locale » ou les impôts affectés par la loi.
Plus sensible à ce point, le Comité des finances locales, qui a produit son propre rapport de refonte de la fiscalité locale, préconise que soit attribuée aux départements, si la TFPB leur est retirée, une assiette de CSG localisée sur laquelle ils pourraient appliquer un taux local additionnel. A l’inverse, le rapport Richard-Bur, lorsqu’il évoque le transfert d’une fraction du produit d’une imposition nationale, propose de ne pas territorialiser l’assiette et de ne pas donner aux collectivités de « pouvoir de taux ». Serait attribuée à chaque collectivité une part de l’impôt national correspondant exactement à la recette de TH perdue et par la suite, cette part évoluerait comme le produit national de l’impôt lui-même. La mesure se veut « compensatoire » et ne permet pas de transférer à la collectivité concernée une base fiscale dont elle serait libre ensuite d’user.
Il ne s’agit pas là d’une simple question d’opportunité fiscale : la politique des taux traduit aussi les choix de politique locale ; surtout, le lien entre les habitants et la commune se distendra, dès lors qu’une part de la population (celle qui n’est pas propriétaire) va échapper largement à la fiscalité locale, alors que les propriétaires qui payent n’habiteront pas nécessairement la commune. Il aurait été tout à fait possible d’éviter cette situation : les collectivités ont proposé de remplacer la TH, imposition reconnue comme peu équitable surtout parce qu’elle était géographiquement très inégale, avec des effets de redistribution erratique, par une « contribution communale » assise sur les revenus. Le rapport Richard-Bur ne retient pas cette proposition, tout simplement parce qu’elle contredirait l’engagement présidentiel de ne pas créer un nouvel impôt (apparemment c’est une bonne raison). Cependant, il la mentionne, dans l’annexe VI du rapport il est vrai, mais en observant qu’un impôt fondé sur les revenus court le risque de creuser les inégalités…Mais comment un impôt local, par définition assis sur la richesse locale, peut-il ne pas refléter les inégalités ? Et la bonne réponse n’est-elle pas alors, plutôt que de renoncer à la fiscalité locale pour ce motif, d’atténuer les inégalités par une péréquation efficace ?
Au final, il n’existe certes pas de doctrine « orthodoxe » de la décentralisation qui obligerait à respecter certains principes de financement. Les choix en ce domaine sont toujours des compromis imposés par des conceptions diverses de l’efficacité, de la démocratie, du développement économique et de la solidarité[3]. Reste que les choix du rapport Richard Bur durcissent des choix engagés depuis quelques années. Les collectivités deviennent, au moins partiellement, des opérateurs de l’Etat rémunérés pour leur action : c’est très clair s’agissant des départements, qui n’auront plus guère de choix à faire ni sur leurs recettes ni sur leurs dépenses et dont on ne comprend alors plus du tout pourquoi les responsables seraient élus.
Un contexte d’encadrement financier plus strict ?
Par ailleurs, arguant du fait que, pour les communes, la principale assiette fiscale portera sur une taxe sur la propriété de logements et que le gouvernement souhaite une politique du logement fluide et un choc d’offre, le rapport demande un encadrement plus strict du « pouvoir de taux » des communes que celui qui existe aujourd’hui. L’Etat encadre et contraint.
Surtout, des questions sans réponses : redistribution et inégalités
Le rapport Richard-Bur mentionne qu’il n’a pas reçu mandat de travailler sur la péréquation : il serait donc possible de « refondre » la fiscalité locale sans s’en préoccuper ? sans évoquer les inégalités de territoires ? Pour autant, le rapport juge nécessaire de réexaminer les mécanismes de la péréquation : le remplacement de la TH et la révision des bases auront, dit-il, un impact sur les recettes et la péréquation en sera impactée. De fait, l’attribution d’une compensation fiscale de la TH va « geler » les inégalités de ressources. Par ailleurs, toutes les associations d’élus plaident pour un aggiornamento du dispositif, dont on sait calculer les flux (7,6 Mds pour la péréquation verticale, 3,2 pour l’horizontale) mais pas les évaluer : le CESE note que les 16 dotations ou fonds qui l’organisent obéissent tous à des règles différentes et qu’aucun bilan d’ensemble n’existe sur la réduction, par cette voie, de la pauvreté des collectivités[4]. Le diagnostic de la Cour des comptes sur les finances locales semble démontrer une faible efficacité : les rapports de 2016 et de 2017[5] soulignent combien les données financières d’ensemble recouvrent des situations disparates, en fonction d’une richesse locale très inégalement répartie. Là aussi, la Cour conseille à l’Etat de diminuer les dotations forfaitaires et d’accroître les dotations de « péréquation ».
Il est d’autant plus nécessaire de s’occuper de cette question que les inégalités territoriales croissent : selon les termes d’une analyse aujourd’hui très partagée[6], les facteurs qui pèsent en ce sens sont l’évolution d’un système productif favorable aux « espaces centraux » (métropoles) et les choix résidentiels des ménages, qui accentuent les ségrégations. Les rares forces qui vont dans le sens de la cohésion sont le système de redistribution socio-fiscal, qui doit donc jouer son rôle. Encore faut-il que le pouvoir l’accepte : prenons le pari qu’il n’imposera pas aux grosses collectivités à la fois une péréquation accentuée et la réduction de leurs dépenses.
Conclusion
Financièrement, les collectivités territoriales sont déjà massivement dépendantes de l’Etat : en 2015, en comptant le remboursement des dégrèvements, les impôts transférés et les concours de l’Etat, ce dernier a contribué à hauteur de plus de 100 Mds aux finances des collectivités, soit 43 % de leurs recettes, somme supérieure à leurs ressources fiscales (79 Mds). Si la part des impôts affectés augmente, la dépendance augmentera également. De même, les choix inscrits dans la loi de programmation des finances publiques 2018-2022, qui fixent aux collectivités une cible de 13 Mds d’économies, obligent celles-ci à un « dialogue de gestion » avec l’Etat qui ressemble fort à la vieille tutelle disparue.
Sur les collectivités, les préoccupations du gouvernement actuel sont financières et exclusivement financières : les dotations sont maintenues, le système fiscal « assaini » par l’apport de fraction d’impôts nationaux et les contrats passés avec les plus grosses (340 sont concernées) les obligeront à participer à la baisse des dépenses publiques. C’est un programme rationnel mais c’est un programme un peu court et qui rate les vrais débats, apports et limites de la démocratie locale, recherche de la cohésion entre territoires voire simplification des structures.
Pergama
[1] Il est vrai que ce dispositif de dégrèvement a été jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (DC 2017-758). Mais celui-ci a explicitement tenu compte du fait que la mesure n’était qu’une étape d’un processus de refonte d’ensemble de la fiscalité locale et a annoncé qu’il réexaminerait ensuite la question en fonction de la situation faite aux contribuables encore assujettis à la taxe d’habitation.
[2] Au 1er janvier 2018, la DGF des Régions a déjà été remplacée par une fraction de la TVA.
[3] Voir « Pour une grammaire de la décentralisation », L. Davezies, Y. Morvan, Terra Nova, 2016
[4] Pour une réforme globale de la fiscalité locale, Conseil économique, social et environnemental, avis, avril 2018
[5] Les finances publiques locales, Cour des comptes, rapports d’octobre 2016 et d’octobre 2017
[6] La fracture territoriale contre les facteurs de cohésion, le bras de fer, Laurent Davezies, Les Cahiers français, n° 351, 2015