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La France, comme une dizaine d’autres pays européens, ne respecte pas les termes de la directive 2008/50 sur la qualité de l’air, transcrite par la loi du 1er août 2008, fixant notamment des valeurs limites de particules fines et du dioxyde d’azote, deux polluants inquiétants provenant des activités industrielles, de la circulation automobile et du chauffage. Depuis 2009, la Commission a mis à plusieurs reprises la France en demeure de régulariser sa situation. Par décision du 12 juillet 2017, le Conseil d’Etat, saisi par une association écologique, a enjoint aux autorités compétentes de prendre des mesures dans un délai de 9 mois et de les transmettre à Bruxelles. Au final, la Commission, considérant que les efforts faits pour répondre à ses demandes étaient insuffisants (notamment, lors d’une ultime réunion de janvier 2018, la présentation de nouveaux plans d’action), vient de décider, le 17 mai 2018, de renvoyer la France, avec 5 autres pays, devant la Cour de justice de l’Union.

La répétition des avertissements européens, depuis près de 10 ans, et l’inaction de la France pour se mettre en conformité avec des obligations qu’elle a pourtant acceptées ont certainement joué dans la décision de la commission. De même, la multiplication des études révélant l’importance des conséquences de la pollution de l’air sur la santé a eu une influence. Selon santé publique France, la pollution de l’air entraine en France le développement de pathologies respiratoires et cardiovasculaires et, pour les seules particules fines, 48 000 décès prématurés[1]. L’étude, qui croise diverses statistiques, climat, pollution et épidémiologie peut être considérée comme une estimation approchée, mais pas comme un mensonge[2]. L’Inserm vient quant à lui de publier une étude sur les seules conséquences de la pollution sur les fœtus (Archives de pédiatrie, mai 2018), chiffrant à 1,2 Mds le coût des soins de santé délivrés à ce titre après la naissance…

A joué également la volonté de la Commission de redorer son blason après les révélations de ces dernières années sur sa tolérance à l’égard des normes de pollution des moteurs : le trucage des mesures de pollution de ses voitures par Volkswagen, trucage connu de la commission, a conduit à modifier en 2016 la norme dite euro 6, adoptée en 2007, et à accepter temporairement un doublement du plafond autorisé des émissions oxyde d’azote par les voitures : il fallait tenir compte, a plaidé la Commission, du fait que la norme avait été mal définie, ignorant la conduite en condition réelle. La drôlerie de l’affaire est que les villes de Paris, Madrid et Bruxelles ont attaqué cette décision devant le Tribunal de l’Union au motif qu’elle favorise la pollution : l’audience s’est tenue le 17 mai…Les chances des villes de gagner sont minces. Sur une plainte précédente, émanant cette fois-ci de citoyens, le Tribunal a jugé que la mesure du surplus d’oxyde d’azote déversé dans l’air à la suite de la modification de 2016 était incertaine et approximative : droit et bon sens ne font pas toujours bon ménage.

Au-delà, la question de la lutte pour la qualité de l’air est un vrai cas d’école : la France est bardée de plans de réduction des polluants atmosphériques et met en avant leur efficacité, tout en reconnaissant certains manques, présentés comme des exceptions par rapport à une situation d’ensemble pas si insatisfaisante. De plus, le ministère de la transition écologique a travaillé pendant des mois, depuis l’été 2017, à donner satisfaction au Conseil d’Etat et à la Commission : pourtant, rien n’y fait, les nouveaux engagements ne convainquent pas. La vérité toute simple est que la France ne parvient pas à construire des politiques environnementales efficaces (en tout cas pas sur la qualité de l’air) et qu’il faut se demander pourquoi.

Mesurer toute la gravité de la question   

 Sur le site du ministère de la transition écologique et solidaire, les informations sont schizophrènes : le rapport sur la qualité de l’air 2016[3] insiste d’abord sur la baisse des émissions des principaux polluants de 2000 à 2016, avant de reconnaître que les concentrations n’ont pas baissé dans la même proportion : or, si la réduction des émissions est une condition nécessaire au respect des normes de qualité de l’air, c’est la réduction des concentrations qui nous intéresse et il faut donc tenir compte des évolutions climatiques (la dissipation des polluants en est rendue plus malaisée). De plus, les données produites sont, pour l’essentiel, des moyennes nationales : or, si la pollution de l’air est liée à l’activité humaine, elle se concentre sur les zones d’activité et c’est là qu’il faut la mesurer. Certes, le ministère reconnaît les dépassements des normes et produit des cartes des agglomérations où ces dépassements se concentrent (agglomérations parisienne, lilloise, toulousaine, région lyonnaise et marseillaise, Côte d’azur, frontière entre les Alpes et l’Italie) mais jamais le pourcentage de population touchée régulièrement, dont on peut légitimement supposer qu’il est important. Et là, dans les agglomérations et zones où les seuils sont dépassés, plus de baisse, ni des émissions, ni des concentrations : le rapport reconnaît, au détour d’une phrase, que la situation est identique en 2014, 2015, 2016.

Il faut aller sur des bilans locaux pour comprendre ou deviner la gravité de la situation. Les rapports d’Air-Parif en région parisienne[4] montrent d’abord combien les mesures sont complexes. Elles sont d’abord très contrastées selon les lieux : ainsi, en 2016, en région parisienne, alors que la valeur limite du dioxyde d’azote est de 40 microgrammes /m3, dans les stations proches du trafic automobile, la moyenne est de 90, dans les stations « de fond » situées en agglomérations (les seules que prend en compte le bilan ministériel des baisses de concentration), elle atteint 39 et hors agglomérations, le niveau baisse à 10.

Sur ce même polluant dioxyde d’azote, Paris est rouge sur les cartes (combien de personnes y sont présentes tous les jours ?) et la pollution s’étend à tous les axes routiers de la petite couronne. De plus, pour certains polluants, notamment les particules très fines et l’ozone, les règles distinguent seuils limite et objectifs de qualité : ceux-ci, qui désignent le niveau à atteindre sur le long terme pour protéger la santé, sont plus exigeants : or, en 2017, 85 % des Franciliens sont exposés à des niveaux qui ne permettent pas de respecter les objectifs de qualité.

De plus, les normes européennes, que nous ne respectons pas, sont moins exigeantes que  celles de l’OMS, en particulier sur les particules fines (le seuil limite fixé par l’OMS est inférieur de moitié), ce qui conduit un récent rapport du Sénat[5] à indiquer que, en appliquant les normes de l’OMS, 92 % de la population sont exposés à des concentrations excessives de particules fines.

Enfin, comme le précise l’Adème[6], il faut prendre en compte les effets à long terme de ces polluants, même lorsque l’exposition est modérée, et ce sont apparemment les plus graves pour la santé publique. Autrement dit, il faudrait mesurer non pas seulement les dépassements par rapport aux seuils limites mais les expositions régulières même à des niveaux modérés et leurs conséquences sur des maladies chroniques.

Première conclusion : la mesure de la gravité de la question (ou des incertitudes sur les données et les conséquences) ne paraît pas prise dans les documents ministériels, ce qui ne traduit pas une détermination bien solide.

Prendre des décisions fermes et structurées, pas élaborer des plans creux

Aux autorités européennes, la France répète continuellement qu’elle a agi : il est vrai qu’elle a mis en place, à partir d’un plan national de réduction des polluants atmosphériques (PREPA) et de plans de protection de l’atmosphère (PPA) dans les régions les plus touchées (notamment Ile de France, régions marseillaises et lyonnaise, vallée de Chamonix), toute une cascade de plans dont les collectivités territoriales sont responsables. L’OCDE[7] évoque toutefois des documents « peu contraignants, sans échéancier précis », « mal articulés entre eux » (l’OCDE prend l’exemple de la mise en place de la circulation alternée en 2015 lors du pic de pollution, une semaine après la demande de la mairie de Paris) et qui ne sont « pas systématiquement évalués ». L’OCDE souligne en particulier la lenteur des décisions du Grenelle 2 sur les restrictions du droit de circulation aux véhicules les plus polluants, mises en place en 2015 et 2016 et l’on pourrait citer également le maintien sur le long terme du pourcentage écrasant que représente le transport routier de marchandises (88 %). Comme tous les velléitaires, les pouvoirs publics considèrent que, lorsqu’ils ont évoqué une mesure dans un colloque, ils ont fait le job. Mais non.

La France est en fait malade de ses plans, qui consistent souvent en un listing d’actions dont l’impact est plus déclaratif qu’effectif. Lisons le PPA (plan de protection de l’atmosphère) édicté par la préfecture en 2012 dans la vallée de l’Arve, un des sites les plus pollués de France par les camions qui y transitent et dont les habitants viennent d’assigner l’Etat devant le Tribunal administratif pour carence fautive : le plan comporte 68 pages, dont 60 de constats et 8 de propositions. Celles-ci proposent de « renforcer la surveillance des installations de combustion » (sensibilisation, contrôles, promotion des installations les moins polluantes) ; d’interdire le brulage des déchets verts (en fait, c’est déjà fait dans le règlement sanitaire départemental mais on va insister) ; de « réduire les émissions liées aux transports », en améliorant les dessertes touristiques, en demandant aux entreprises d’avoir un plan de déplacement local de leur personnel, en densifiant la ville (sic), en contrôlant les surcharges des poids lourds et en développant le covoiturage ; enfin « de réduire les émissions industrielles » en vérifiant qu’elles utilisent les meilleures technologies. C’est affligeant. La population en conclut qu’elle n’est pas protégée, pas plus que ne se sentent défendus les habitants de Fos sur mer qui réclament depuis des années la simple mise en place de mesures épidémiologiques pour savoir si leur impression d’être davantage atteints de cancers graves est, ou non, fondée.

 Feuilles de route 2018 : la précipitation brouillonne, le mauvais choix  

Pour répondre à la mise en demeure du Conseil d’Etat et de la Commission, la France a élaboré en urgence, pendant l’hiver 2017-2018, des « feuilles de route » sur 14 régions ou sites et présenté à la Commission, sur cette base, un plan d’action. Le rapport parlementaire qui en fait l’évaluation[8] est à la fois sévère et pragmatique : réalisées dans la précipitation, ces « feuilles de route », sans valeur juridique, constituent, dit-il, un regroupement de mesures hétéroclites dont la plupart figurent déjà dans divers plans, non chiffrées et dont il n’est nullement certain qu’elles réussiront à respecter des normes, qui, de surcroît, seront renforcées à compter de 2020[9]. Certes, le rapport sénatorial tente de « positiver » : il demande au gouvernement de se saisir de ce plan, d’approfondir et de compléter les actions (coût, étude d’impact), de les replacer, pour certaines, dans des politiques intégrées (mobilité, déchets…) et d’en assurer un suivi rigoureux.

Cela sera-t-il fait ? On ne sait trop…Et puis il va s’écouler encore beaucoup de temps en vaines procédures avant une éventuelle condamnation de la Cour de justice…Les pouvoirs publics vont en conclure que rien n’est urgent.

Quelle conclusion tirer du choix français d’élaborer en urgence des feuilles de route sans cohérence et sans étude d’impact sur un sujet si grave ? Le ministre qui a accepté une telle stratégie est en cause : il a accepté de présenter une politique illisible et bâclée alors qu’il avait l’opportunité d’arracher quelques concessions à un gouvernement indifférent à toute question écologique. Mais la question est plus grave : force est de constater, à l’occasion de tels rappels à l’ordre, que les choix méthodologiques de la France pour construire une politique publique ne sont pas les bons. La multiplication de plans d’action insuffisamment évalués ne garantit pas l’atteinte de résultats ; l’élaboration de politiques intégrées et cohérentes est préférable à une liste d’actions éparpillées et facultatives (surtout dans le domaine des transports) ; enfin, à un moment ou à un autre, des mesures fortes doivent être décidées,  report modal, restriction de circulation, plus grande sévérité des normes…on ne réussira pas à changer sans changer, même si c’est dur à avaler.

Pergama

[1] Impacts de l’exposition chronique aux particules fines sur la mortalité en France continentale et analyse des gains en santé de plusieurs scénarios de réduction de la pollution atmosphérique, Santé publique France, 2016

[2] Pollution atmosphérique : 48 000 Morts ? De qui se moque-t-on ? Jean de Kervasdoué, Slate, décembre 2016

[3] Datalab, Bilan de la qualité de l’air en 2016, Ministère de la transition écologique et solidaire, octobre 2017

[4] Bilan 2017 de la pollution de l’air en Ile de France, Air-Parif

[5] : Rapport d’information du Sénat sur la qualité de l’air, avril 2018

[6] La pollution de l’air extérieur, les enjeux, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, novembre 2016

[7] Examens environnementaux, France, OCDE, 2016

[8] Voir note 5 ci-dessus

[9] Nouvelle directive du 8 décembre 2016