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Débat public sur la PPE: exercice réussi

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 En mars dernier, s’ouvrait, sous l’égide de la Commission nationale du débat public (CNDP), le débat national sur la future PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie) qui doit être arrêtée à la fin de l’année. La PPE est un outil de pilotage prévu par la loi de transition énergétique de 2015 pour fixer, dans les années à venir, la répartition du mix énergétique français. Cette consultation publique vient de s’achever par une journée de présentation des débats et des premières conclusions, le 29 juin dernier, le rapport final de la CNDP devant être remis en septembre. Cet exercice de démocratie s’avère être une réussite, plutôt surprenante compte tenu du contexte. Sur Internet, le nombre des réponses à un questionnaire il est vrai simplet[1] a atteint 11 000 réponses, 8000 personnes ont participé à une petite centaine de réunions publiques et 400 citoyens tirés au sort ont été réunis une journée, sur la base d’une documentation spécifique, pour échanger et répondre également au questionnaire. 111 contributions (« cahiers d’acteurs ») ont été remises par des associations ou acteurs économiques. Il est loisible de considérer que le nombre de participants est inférieur au seuil (10 000) où l’on considère qu’un débat a mobilisé l’opinion, que les internautes n’ont pas été représentatifs de la société (une majorité d’hommes, de cadres, de personnes connaissant déjà la précédente PPE). Pour autant, sur un sujet très technique comme l’énergie, c’est un très bon résultat. Surtout, la synthèse des débats du 29 juin a mis en lumière quelques vérités solides que le gouvernement aura du mal à balayer lors de la prise de décision.

Un débat au départ mal engagé

 L’on pouvait pourtant tout craindre au départ d’un débat public qui paraissait bancal,  compliqué et mal préparé :

  • Le dossier du « maitre d’ouvrage » accompagnant la consultation ne comportait que des déclarations très générales et n’avançait pas de choix clairs sur lesquels la population intéressée aurait pu se prononcer. Il est vrai que le ministre avait, à l’automne 2017, annoncé, avec un certain bon sens, que l’échéance de 2025 fixée par la loi de 2015 pour la baisse à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité ne pourrait pas être respectée et devrait  être reportée ; le dossier renvoyait sur ce point à 2 des 5 scénarios élaborés, en novembre 2017, par RTE (Réseau de transport d’électricité), une filiale d’EDF, pour définir des « combinaisons » différentes d’énergie électrique jugées possibles à échéance 2035 : or, dans ces deux scénarios retenus (« Volt » et « Ampère »), la réduction du nombre de centrales nucléaires à horizon 2035 atteint respectivement 9 et 16, avec une part du nucléaire dans la fourniture d’électricité de 56 et de 46 %. Bien qu’aucun choix ferme ne soit annoncé, ces données pouvaient faire douter de l’attention que les pouvoirs publics porteraient aux conclusions du débat (le choix paraissait, sur ce point, quasiment tranché) et risquaient aussi de polariser celui-ci sur le seul « mix électrique », sujet, il est vrai, politiquement et techniquement sensible ;
  • La multiplicité des horizons évoqués rend le dossier très compliqué : la loi de transition énergétique de 2015 fixe, outre l’échéance abandonnée de 2025, des échéances à 2030 et 2050 (notamment pour la part des énergies renouvelables et la baisse de la consommation d’énergie) ;  les scénarios RTE sur le mix électrique évoquent quant à eux 2035 ; les PPE sont « à tranches » et portent sur 2019-2023 et 2024-2028 ; d’autres échéances s’y ajoutent, telle celle, par exemple, du plan de développement des voitures électriques (2022) ;
  • Les participants se sont plaints à juste titre de l’absence de données établies et acceptées (ou au moins de fourchettes) concernant les coûts de production des différentes énergies et du manque d’hypothèses prévisionnelles sur l’évolution des consommations : comment décider d’un avenir sans connaître ces données de base ?
  • Les participants au débat public devaient, pour se prononcer, considérer le bilan de la loi de transition énergétique de 2015 : or, celui établi par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), en février 2018, particulièrement intéressant, tend plutôt à demander que l’on recommence tout sur une base assainie. Selon ce bilan, la loi, construite sur des données peu réalistes et déjà démenties, est mal appliquée et pas toujours cohérente. Si les énergies renouvelables se développent, les objectifs d’augmentation fixés pour 2020 (23 % du mix énergétique) ne seront pas atteints (nous en sommes à 16 %), notamment parce que les délais d’agrément des projets sont beaucoup plus longs que dans d’autres pays. L’attribution de compétences aux collectivités territoriales n’a pas été assortie de moyens pérennes et aucun pilotage ne permet d’assurer la cohérence entre leurs initiatives et les objectifs nationaux. Le CESE préconise de fixer des objectifs réalistes, d’élaborer une PPE permettant de faire passer la part du nucléaire à 50 % à horizon 2035, de revoir les priorités dans le domaine des transports et de prévoir les financements nécessaires pour la rénovation des bâtiments. Au final, le CESE recommande de reconstruire une trajectoire de transition énergétique en insistant sur la cohérence et la complétude des politiques ainsi que sur une vision réaliste des échéances et des moyens. Pour des participants à un débat public, il est difficile de faire des propositions d’avenir sur le fondement d’un bilan aussi critique et d’une réalité aussi mal assurée…
  • Enfin, la Direction générale énergie climat du ministère, qui ne voulait pas de débat public sur la PPE, a annoncé qu’une première version de la PPE serait publiée courant juillet 2018, manière de se moquer presque ouvertement des conclusions du débat et de donner raison à une opinion publique qui pense que tout est décidé d’avance. Dans son allocution, lors la journée du 29 juin, par ailleurs étonnamment terne et sans élan, le ministre s’est voulu rassurant : mais il est certain qu’un tel calendrier est désinvolte.

Des conclusions claires et intéressantes

Le Président de la commission particulière du débat public, J. Archimbaud, a résumé le 29 juin les principales conclusions qu’il tire des débats. Il a fait passer des messages forts et simples :

1° Peut-on discuter d’une PPE sans projet de PPE ? Oui, puisque, précisément, c’est ce qui s’est passé. Toutefois, s’agissant d’organiser un débat sur un programme et non sur un projet d’équipement, la culture du débat public s’est, en l’occurrence, montrée défaillante : le choix d’élaborer un dossier général et neutre n’était pas le bon. Pour autant, un projet de PPE serait apparu comme trop précis et ficelé d’avance. Il aurait fallu trouver une voie différente, avec une synthèse des enjeux et l’élaboration de scénarios regroupant diverses hypothèses, sans se focaliser sur l’électrique ;

La politique de l’énergie n’est pas lisible : les échéances sont trop multiples et les données manquent ou sont contestées, tant sur les coûts de production, les réseaux nécessaires, les emplois à attendre, les scénarios de consommation électrique future. Les outils de suivi de la politique énergétique ne paraissent pas fiables ; celle-ci est de plus souvent accusée de ne pas être cohérente, ainsi en matière de normes ou de fiscalité ;

3° La France est en retard par rapport à ses propres objectifs et la demande des participants au débat public est clairement d’accélérer le mouvement. Parallèlement, ces participants s’inquiètent des causes concrètes des retards : faible acceptabilité des projets, insuffisance de l’ingénierie publique, pressions des lobbies, problèmes de formation, dispersion des acteurs, faiblesse de l’expertise des banques et financeurs. Les débats sont vifs notamment sur les questions d’acceptabilité (où il importe de freiner les recours mais sans altérer les droits de la population) et sur la question de l’équité sociale, notamment en ce qui concerne l’évolution de la fiscalité écologique ; la demande est de prêter une grande attention à ces difficultés ;

Faut-il changer de cap et éventuellement suivre les opérateurs traditionnels (en clair EDF) qui plaident le développement des énergies renouvelables avant d’envisager la réduction du nucléaire ? La réponse est clairement négative. Pour les participants au débat, la loi de 2015 n’est pas, dans ses échéances, taboue. Mais le choix est d’en garder l’esprit et de ne pas remettre en cause, à chaque échéance, les choix structurants opérés ; selon eux, il faut réduire le nucléaire tout en développant les énergies renouvelables. Mais il faut le faire à une échéance raisonnable et en tenant compte des questions sociales et d’emploi, ; la volonté est ainsi de s’inscrire dans le long terme et dans des choix stables ;

La diversification des sources énergétiques est le choix préférentiel, avec un refus du « tout ceci » ou du « tout cela ». Le mix doit être équilibré, de même que les solutions proposées de mobilité (voitures électriques) ne doivent pas être des solutions uniques.

 

Au final, le débat public a donné tout ce qu’il pouvait donner en l’absence d’un dossier éclairant et pertinent. Il a permis des échanges et des engagements. Il produit aussi des conclusions ouvertes, apaisées, qui paraissent de bon sens. il fournit toutes les réponses nécessaires à une PPE nouvelle. La volonté d’accélérer ne doit pas empêcher de prêter attention aux conditions de réussite. En même temps, la demande faite au gouvernement est de ne pas adopter une attitude dilatoire et, cela a été dit à plusieurs reprises, de faire des choix clairs, qui sortent enfin de l’ambiguïté. La demande est aussi une demande de lisibilité et de cohérence. Certes, maintenant, après le débat public, va se rouvrir l’heure des lobbies, l’heure des décisions incertaines et insuffisamment étayées. Mais au moins, l’exercice de consultation de la population aura été, de manière inespérée, de qualité.

Pergama.

 

[1] Les questions posées portaient sur le retard de la France dans les objectifs de transition énergétique, sur la caractère équitable des efforts demandés, sur la crédibilité des objectifs poursuivis en ce qui concerne le développement des véhicules électriques, sur les modes de chauffage à privilégier, sur la nécessité d’accélérer le développement des diverses énergies renouvelables, sur l’échéance à laquelle atteindre le pourcentage de 50 % de nucléaire dans la production d’ électricité, sur le jugement porté sur la cohérence et le caractère accessible de la politique de l’énergie, sur les effets positifs de la concurrence en ce domaine et sur la place que les collectivités devaient prendre dans la conduite de la politique énergétique.