CAP 2022 : une démarche décidément maladroite

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CAP 2022 : une démarche décidément maladroite

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 En octobre 2017, en lançant le projet Action publique 2022, qui devait définir les lignes de réforme de l’action publique sur le quinquennat, le Premier ministre avait chargé un Comité d’action publique, composé de personnalités qualifiées, « d’identifier les réformes structurelles et des économies significatives et durables » sur 21 politiques identifiées comme prioritaires (à vrai dire, toutes ou presque, sauf la transition écologique)[1].  La lettre de mission adressée aux trois présidents (deux relevaient du secteur privé, un du secteur public) insistait sur l’étude des transferts de compétences entre l’Etat et les collectivités, voire avec le secteur privé, comme sur celle des doublons.  La publication du rapport du Comité d’action publique 2022, annoncée en mars, retardée en mai puis en juin, différée sine die ensuite puis annoncée pour l’automne une fois les arbitrages effectués, a finalement eu lieu en juillet sur divers sites[2]. Pour un gouvernement épris, en théorie, de transparence et de détermination dans les réformes, la perte de contrôle du processus fixé au départ est patente.

Sur la démarche, capitale politiquement mais essentielle aussi pour l’avenir du pays, les maladresses ont été légion (I). Le rapport CAP 2022 quant à lui soulève une appréciation ambivalente. D’une part, il suscite l’adhésion par ses constats et les objectifs de redressement avancés, par le fait aussi qu’il n’est pas obsédé par la recherche d’économies. D’autre part, ses propositions sont souvent très générales, parfois naïves, voire « hors sol » (II).

La démarche d’ensemble : les maladresses

 Une réforme imposée d’en haut et peu « partagée »

Le choix des personnalités en charge de réfléchir à des réformes doit se faire, sans nul doute, intuitu personae et, si l’on peut juger surprenant de confier au Président de Safran la direction d’une étude sur la réforme de l’action publique, il est délicat de disqualifier les membres d’un groupe de travail à raison de leur origine. Pour autant, le processus de décision laisse peu de place à la concertation, même si un forum de l’action publique a été organisé (la fréquentation a été maigre) et si, depuis le printemps, le secrétaire d’Etat en charge de la fonction publique réunit les organisations syndicales pour leur « présenter » certains thèmes, ceux qui concernent le statut. C’est une erreur : comme le note France Stratégie dans sa conclusion de l’étude « La France dans 10 ans », toutes les réformes importantes ne deviennent effectives que lorsqu’elles sont mises en œuvre par une myriade de décisions quotidiennes qui en respectent l’esprit. Si le travail de conviction n’est pas réussi, la réforme s’appliquera mal. Certes, il ne faut en espérer aucun consensus. Pour autant, il est essentiel de tenter de convaincre, et donc de débattre, y compris en associant les citoyens, même hostiles. Le gouvernement, fort de l’analyse selon laquelle il a reçu mandat de « réformer », veut ignorer cet impératif. Il a tort.

Prévoir des économies d’un niveau déraisonnable

Le gouvernement est légitime à rechercher un rééquilibrage des finances publiques et des économies. Toutefois, l’ampleur des engagements affichés aurait dû l’alerter : la RGPP a, entre 2008 et 2012, supprimé 150 000 emplois de fonctionnaires dans la douleur, laissant exsangues certaines missions. En supprimer à nouveau 50 000 dans la fonction publique d’Etat et 120 000 en tout suppose un effort colossal, avec le risque de suppressions aveugles à contre-courant des besoins. Quelle est la capacité des services de l’Etat à « encaisser » une nouvelle réorganisation en profondeur ? Il en est de même du recul de 3 points des dépenses publiques sur le quinquennat, qui représente 60 à 70 Mds. Un tel effort sur une courte période est peu raisonnable, à cause du risque d’effets récessifs d’une part, ensuite parce que trouver un tel montant d’économies « faisables » et justifiées semble peu vraisemblable.

 Le piège principal : mettre les économies au premier plan

 Les deux principaux « moments » de la réforme de l’Etat, la LOLF et de la RGPP, ont, de 2001 à 2012, lié intimement transformation du fonctionnement de l’Etat et recherche d’économies. Or, ce choix a été créateur de tensions, est allé à rebours du souhait majoritaire des usagers et des fonctionnaires d’un Etat moins vertical et plus déconcentré et a enlevé aux services les marges de manœuvre dont ils auraient eu besoin pour se réformer en profondeur. Le choix a de plus été peu efficace : aujourd’hui, face aux faibles résultats obtenus, d’autres analyses émergent.  Terra nova, dans un plaidoyer vibrant pour la réforme d’un État jugé inefficace et rigide[3], rappelle que dans aucun des pays qui ont mené à bien une réforme de l’État, il n’y a eu une réduction significative de l’emploi public et que, si la réduction du déficit doit conduire à impulser des réformes, choisir les mesures en fonction des économies qu’elles sont susceptibles de générer est contreproductif. Les économies viendront, dit l’étude, d’un État devenu « agile, dynamique, innovant ». Travailler sur les métiers, les missions et les méthodes serait alors plus efficace qu’une réforme venue d’en haut qui, pour l’essentiel, limite les moyens ou cherche des économies d’échelle. Or, Action publique 2022 paraît reprendre, au moins pour une part, les objectifs de la RGPP et se centrer sur les économies.

Enfin, une gestion critiquable  du rapport du  Comité d’action publique 2022.

 La gestion du rapport de CAP 2022, qui devait impulser les choix de réforme et d’économies, a été calamiteuse : mettre de côté un rapport dont on a expliqué au pays que de lui dépendaient des décisions décisives, c’est se désavouer soi-même. Plus encore que pour le rapport Borloo sur la politique de la ville, il est délicat de gérer de manière capricieuse le résultat de réflexions demandées à des personnes que l’on a choisies pour leur capacité d’analyse et d’innovation. La lecture du rapport permet, il est vrai, de comprendre la déception : sans être dénué d’intérêt, il n’est pas pleinement utilisable.

Un rapport d’intellectuels, peu opérationnel

Le rapport a un mérite : il prend du recul et s’efforce d’être stratégique. Sa qualité (elle n’est pas mince) est d’ouvrir la réflexion sur des ambitions d’amélioration qualitative du service public. Paradoxalement, pour un travail censé définir le moyen de réduire les dépenses publiques, 92 pages sur 130 sont un plaidoyer pour un changement positif qui pourrait permettre, éventuellement, des économies. Seule la partie finale, intitulée « éviter certaines dépenses inutiles » s’affiche comme porteuse d’économies à court terme.

 Des objectifs peu récusables

 Le rapport repose sur la conviction (à vrai dire peu récusable) que le service public sera plus efficace et plus efficient si l’on supprime les rigidités actuelles du management et de la gestion, si l’on améliore la déconcentration, si l’on développe l’autonomie des services, si l’on encourage la prise d’initiatives des personnes. Cela l’amène à plaider pour construire un service public différent sur le territoire en fonction des besoins et pour « sortir d’une culture de la norme ». Ces débats traversent aujourd’hui tous les rapports qui plaident pour une modernisation du secteur public : faire confiance aux services et les laisser agir et décider, en leur donnant des objectifs à poursuivre et non pas des consignes d’action détaillées, avec recours, le cas échéant, à un « droit souple », devient indispensable.

La réflexion du rapport est bienvenue également quand il évoque la réduction des doublons de compétences entre l’Etat et les collectivités et la nécessité de simplifier le droit, droit fiscal (la multiplicité des petites taxes), droits social (l’unification de certaines prestations, y compris les minima sociaux). Sur bien d’autres points (la réorganisation des pouvoirs du préfet ou des services de la justice), il est également convaincant.

Par ailleurs, toutes les fiches sur les différentes politiques publiques reposent, à partir d’un constat sur les points forts et les faiblesses, non pas sur la recherche d’économies mais sur l’ambition de parvenir à de meilleurs résultats : sur la santé, faire tomber les barrières entre ambulatoire et hospitalier, sur l’éducation améliorer les performances éducatives du système, sur la justice améliorer les délais et, sur l’application des peines, développer les peines alternatives. le rapport répond ainsi à la crainte d’un travail centré sur les seules économies et non pas sur des réformes de fond.  La réserve que l’on peut avoir (mais elle est de taille) est que le rapport se contente le plus souvent alors de généralités (changer la tarification des soins en ville et à l’hôpital pour valoriser la coordination, mesurer leur qualité, former autrement les enseignants, donner leur chance à tous les élèves, laisser une autonomie aux directeurs d’établissement, favoriser un égal accès aux droits des personnes handicapées). Il indique alors la bonne direction mais ne règle pas la question du comment ni surtout celle des moyens à mobiliser, voire des résistances à vaincre.

Des naïvetés qui peuvent inquiéter

 Le rapport a une confiance absolue en l’efficacité du numérique. La technique permet le recueil de toutes les données nécessaires à l’action publique et son aide à l’augmentation de la productivité des services publics est sans limites : gestion du back office, traitement des dossiers de demande des usagers, accès aux services publics, aide au recouvrement des prélèvements fiscaux et sociaux, aide à l’évaluation des politiques publiques, prévention de la dépendance (on repère les signes annonciateurs et on agit plus vite!), bénéfices en matière de santé, aides à l’éducation. Jamais les limites du numérique ni ses coûts ne sont mentionnés. C’est le nouveau mantra, parfois au bord de la niaiserie : à tout problème, sa solution numérique.

De même, la confiance est sans limites en l’efficacité de la procédure contractuelle si elle est suivie, ensuite, de l’évaluation des résultats. C’est parfois convaincant, parfois simplet : les moyens aux services publics (y compris aux hôpitaux, aux universités ou aux établissements d’enseignement) sont affectés en fonction des résultats obtenus, ce qui est court (que fait-on des services dont les résultats ne sont pas bons, à part les sermonner) ? L’évaluation elle-même devient parfois caricaturale : les politiques d’accompagnement des demandeurs d’emplois (qui sont externalisées) sont évaluées par la durée moyenne du chômage. La politique du chiffre va revenir au galop…Les effets pervers éventuels et les précautions à prendre ne sont jamais mentionnés. L’externalisation est présentée comme souhaitable, avec peu de réserves. Le rapport a aussi une confiance absolue en la responsabilisation des personnes : le demandeur d’emploi reçoit un chéquier pour choisir les aides et appuis dont il a besoin pour sortir du chômage. Les rédacteurs savent-ils que les demandeurs d’emploi autonomes sont minoritaires ?

Enfin, le rapport s’interroge peu sur la faisabilité de certaines propositions : ne plus revaloriser nationalement le point d’indice des fonctionnaires, demander aux universités de développer leurs ressources propres, créer auprès de ministères (en charge des seules questions stratégiques) des agences autonomes qui s’occupent des domaines opérationnels, externaliser l’accompagnement des demandeurs d’emploi, certaines de ces propositions peuvent alimenter le débat (toutes ne sont pas inintéressantes) mais est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux définir des priorités rapidement applicables parce que plus acceptables?

 Des zones de flou trop nombreuses

 Enfin, l’on ne sait trop où se trouvent les 30 Mds d’économies que le rapport dit proposer. Les chiffrages sont des estimations parfois surprenantes et qui paraissent faites au doigt mouillé. Quant à la diminution du nombre de fonctionnaires, elle n’est pas étudiée, seulement postulée : si les initiatives sont libérées et la responsabilisation de tous mieux assurée (et si le numérique se développe !), eh bien, tout coûtera moins cher et il faudra moins de monde dans les services publics. C’est court…

Conclusion

 Le rapport ne correspond pas à ce que le gouvernement en attendait. C’est un travail d’orientation, qui embrasse large, pour les 20 ans à venir…une sorte de feuille de route libérale, une doctrine de long terme dont il est possible de s’inspirer parfois, avec modération et réalisme. Le travail concret, sur cette base, reste largement à faire. Resterait aussi à rectifier la démarche, s’il en est encore temps, à organiser la concertation, à définir des objectifs réalistes, à travailler aussi (le rapport CAP 2022 n’a pas tort) sur des politiques structurelles qui rendront, à terme, l’action publique plus efficiente : ce n’est pas gagné…

 Pergama

 

[1] Lancement d’Action publique 2022, dossier de presse, octobre 2017

[2] http://www.lagazettedescommunes.com/telechargements/2018/07/rapport-cap22-1.pdf

[3] Terra nova, « L’action publique et sa modernisation : la réforme de l’État, mère de toutes les réformes », 2013.