Sécurité du nucléaire: en parler, enfin

Les enseignants, fantassins de la réforme?
5 août 2018
Réforme des retraites: une obscure clarté qui tombe d’on ne sait où
26 août 2018

Sécurité du nucléaire: en parler, enfin

12 août 2018

Le rapport de l’Assemblée nationale du 5 juillet 2018 fait, au nom de la Commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité nucléaires, par Barbara Pompili, a été attaqué, sans fausse pudeur, par EDF, notamment un membre de l’équipe dirigeante, et par les partisans du maintien du mix énergétique actuel : le directeur de la production nucléaire d’EDF, relève ainsi des « erreurs factuelles » (il se plaint du fait que le rapport met vivement en cause la sous-traitance sans avoir interrogé EDF sur le sujet, mais en oubliant que le PDG d’EDF a été longuement interrogé sur ce point) et déplore que les citations émanent davantage des anti-nucléaires que des pro-nucléaires. Le groupe des députés républicains LR, en tout cas certains de ses membres, parle d’imposture, de malhonnêteté intellectuelle et dénonce une manœuvre grossière pour augmenter les charges d’EDF sous prétexte de sûreté. Des relais d’EDF (des ingénieurs retraités, des députés ex-cadres d’EDF) montent au créneau : il faudrait être un expert pour traiter de ces questions et, de toute façon, l’industrie nucléaire est une des plus sûres au monde.  Ces remarques montrent le niveau du débat sur le nucléaire en France : pas d’analyse, refus de discuter, absence de réponse de fond, certitude simplette d’avoir raison.

Or, le rapport Pompili se ne place pas du tout sur le terrain du débat « pro » ou anti-nucléaire. Le rapport est construit sur une série de citations : c’est davantage un verbatim que des considérations personnelles et l’on peut ainsi vérifier l’expertise de l’intervenant et le recoupement de certaines opinions. Il porte un message manifestement sérieux, étayé (en tout cas sans contradiction jusqu’ici) sur certaines failles de la sécurité, ce qui doit être fait et les questions qu’il reste à résoudre. Bien évidemment, il vise à prendre part au débat sur la programmation pluriannuelle de l’énergie : il n’est pas anodin, au moment où doit se décider l’avenir du mix énergétique en France, de rappeler que le nucléaire présente des dangers, que, pour y répondre mieux, il faudrait dépenser davantage d’argent, enfin que le vieillissement des centrales ou le traitement des déchets posent des questions sans réponse aujourd’hui certaine. Pour autant, mieux vaut réfléchir à ces questions avant de décider du mix énergétique à venir… d’autant que les améliorations de la sécurité demandées à la suite de l’accident de Fukushima sont loin d’être toutes terminées : le rapport nous apprend que l’installation de générateurs d’ultime secours et de centres de crise dans les centrales demandée après cet accident, ne sera achevée qu’en 2024 et qu’une 3e phase permettant la gestion de situations critiques ne le sera qu’en 2035. Il serait bon alors de tenir compte des travaux en cours pour fixer les échéanciers de fermeture éventuels de certains réacteurs.

Le rapport est donc attaqué, alors que l’on pourrait plaider qu’en montrant les problèmes auxquels des solutions doivent être apportées, il aide la filière nucléaire à se construire un avenir crédible au lieu de se cantonner à des mantras (la consommation d’électricité va augmenter, tout est sous contrôle, l’énergie nucléaire est propre…). Au lieu de réagir par l’arrogance et le déni, cette filière devrait utiliser le rapport. Elle devrait en tout cas méditer le contenu de l’audition du Président de l’ASN (autorité de sûreté nucléaire) : Fukushima a montré qu’un accident considéré comme impossible s’est réalisé. La leçon est que tout est possible même ce que l’on croit impossible. Un accident majeur ne peut être exclu nulle part dans le monde. Il faut donc nous y préparer le mieux possible.

Cela dit, les « 33 propositions » du rapport ne sont pas toutes sur le même plan. Certaines apportent des solutions à des failles de sécurité jusqu’alors insuffisamment mesurées (l’ampleur de la sous-traitance) ou mal prises en compte (les « nouveaux risques », notamment de terrorisme ou encore le zonage trop étroit des plans d’intervention). Les solutions proposées sont à discuter : elles ne garantissent pas bien sûr une sécurité absolue mais elles paraissent raisonnables. En revanche, les termes du débat paraissent moins assurés, voire carrément incertains, sur des questions très sensibles, la question de la fiabilité de l’exploitant quant au respect des normes techniques, la prolongation du parc au-delà de sa période de vie prévue, la gestion des déchets, le démantèlement des vieilles centrales. Ces débats ont besoin d’être traités techniquement (ainsi, sur la prolongation de la durée de vie du parc de réacteurs, des études sont en cours et l’ASN se prononcera dans 2 ans) mais aussi politiquement : c’est bien la sécurité de la population qui est en cause et il est légitime que la discussion soit menée publiquement. La question de la capacité financière de l’exploitant à faire face à l’amélioration de la sécurité et à toutes les missions attendues de lui devrait enfin être posée, clairement, là aussi devant l’opinion.

Failles de sécurité : des réponses coûteuses mais faciles à définir

Le rapport pose des questions basiques en suggérant des solutions. Il souligne les points suivants :

  • L’ampleur de la sous-traitance (EDF sous-traite 80 % de la maintenance du gros matériel, conditionnement et gestion des déchets ; 30 % des sous-traitants le sont de manière permanente sur un lieu stable) ne pose pas que des questions de droit du travail (protection insuffisante des salariés) : le risque est celui de perte de la culture de sécurité, de dilution des responsabilités, de dissimulation par les sous-traitants des difficultés ou même de simples informations, de sous-évaluation, par ces mêmes sous-traitants, des moyens pour remporter les marchés, de pression irresponsable sur les délais de réalisation, enfin de perte de compétence de l’exploitant, ce qui, en cas d’accident (les sous-traitants partiraient, ils l’ont fait à Fukushima) aggraverait les risques. Le cabinet d’experts mandaté pour étudier en 2016 les causes d’un incident majeur à Paluel (Seine Maritime) les impute à une sous-traitance massive. Le rapport Pompili demande que le phénomène de sous-traitance soit contenu, que la règle de 2 niveaux maximum de sous-traitance soit respectée, que les personnels sous-traitants aient également une convention collective protectrice ;
  • Les plans particuliers d’intervention (PPI) de la sécurité civile devaient, après Fukushima, voir leur périmètre porté de 10 à 20 km autour d’une centrale. Le rapport juge cette extension (non encore mise en place) trop modeste (L’ASN semble lui donner raison, qui évoque même 100 km, zone affectée à Fukushima) mais s’interroge alors sur la capacité de la sécurité civile à évacuer les populations vulnérables. Le rapport souligne en tout cas que l’information de la population est défaillante, que les moyens d’alerte ne sont pas correctement définis et que des exercices devraient être réalisés ;
  • Des risques nouveaux sont apparus (attaque aérienne, intrusion, cyberattaques, malveillance interne) face auxquels les réponses se développent. En l’occurrence, le rapport propose simplement de simplifier une trop grande multiplicité des responsables et de donner compétence à l’ASN pur traiter de cet aspect de la sécurité, ce qui apparaît de bon sens ;
  • Enfin, les transports de matières radioactives, fréquents, sont routiniers, avec itinéraires et heures fixes, ce qui est dangereux.

Sans être anodines, ces suggestions sont évidentes. L’on peut cependant être légitimement inquiet sur l’application des mesures préconisées de réduction de la sous-traitance. Comment une entreprise publique dont les recettes s’amenuisent (elle perd des clients) et dont les coûts augmentent (et devraient continuer à augmenter considérablement dans l’avenir) pourrait-elle réduire la sous-traitance et augmenter les moyens internes pour effectuer certaines tâches ? L’analyse des responsables d’EDF (« Tout va bien, la sous-traitance est maîtrisée ») augure mal d’une prise de conscience responsable en ce domaine. Pourtant, il est clair que c’est là un point de fragilité forte.

Les questions délicates sans réponse à ce jour

 Les normes techniques et la fiabilité de l’exploitant

 La question des normes et de leur respect est complexe : d’une part le rapport Pompili dénonce « l’exclusion de rupture » (l’affirmation que certaines pièces ou certains processus ne peuvent pas être défaillants parce que statistiquement leur probabilité de défaillance est infime). Le rapport voudrait voir réduit sinon supprimé ce principe, d’autant que l’accident grave de Paluel concernait un processus de remplacement réputé à l’abri de tout incident. Surtout, la question de la conformité ou de la non-conformité des équipements aux normes est considérée par de nombreux experts comme un risque essentiel, dont la prise en compte imposerait des procédures de révision systématique pour que les anomalies ne soient pas découvertes fortuitement. Il peut s’agir de non conformités d’origine, manifestement répandues (ainsi, le Président de l’ASN prononce le terme de « falsifications » en ce qui concerne l’usine du Creusot et a imposé la relecture de tous les dossiers de fabrication pour détecter les « anomalies » qui y figureraient), de non-conformités liées à la maintenance, de non conformités liées à l’usure.  Ce qui est inquiétant, c’est que certaines anomalies récentes (celles de la cuve de Flamanville ou la corrosion des installations de La Hague) n’ont été mises à jour que parce que l’ASN a fortement insisté pour la réalisation de contrôles. Or, comme l’indique le Président de l’ASN, le premier responsable de la sécurité ne peut pas être l’ASN, qui n’intervient que ponctuellement, mais l’exploitant. Dès lors que la fréquence des non conformités est reconnue, l’exploitant devrait développer les contrôles internes. Le fait-il ? La question est sans réponse. Reste que l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) considère qu’elle est cruciale et que c’est là que des progrès devraient impérativement être faits. Une association comme la CRIIRAD (commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité) considère même que l’urgence est d’auditer les systèmes de contrôle interne de l’exploitant, au lieu de postuler de leur fiabilité.

La prolongation du parc

 Le sujet a été abordé déjà par la Cour des comptes, qui chiffre à 100 Mds en tout le coût des opérations de « grand carénage » nécessaire pour prolonger la durée de vie des réacteurs (environ la moitié) qui vont atteindre prochainement le terme de vie (40 ans) initialement fixé. La logique d’entreprise (l’exploitant veut poursuivre l’exploitation plutôt que fermer et démanteler) se confronte alors à des contraintes techniques. L’ASN ne donnera son éventuel feu vert et ses prescriptions qu’en 2020 et 2021… Pourtant, en 2016, sans attendre l’autorisation de l’ASN, le conseil d’administration d’EDF a porté à 50 ans (et non plus 40) la durée de vie des centrales. Reste, au-delà des contraintes techniques, qui seront sans doute lourdes et complexes, la question de la rentabilité économique de tels investissements et des répercussions sur le prix de l’électricité nucléaire : il va être difficile de mener, sur ce point, un débat serein dès lors qu’EDF veut absolument défendre l’avenir de ses réacteurs.

Les déchets nucléaires

 A lire le rapport, la question de la gestion des déchets nucléaires n’est pas consensuelle : elle ne l’est ni sur la méthode d’entreposage (préalable au stockage de longue durée) ni sur le stockage profond tel qu’envisagé à Bure. L’ASN, tout en jugeant le projet « mature », n’a toujours pas, compte tenu des questions de sûreté de long terme non résolues, donné le feu vert au projet, qui reste contesté. La « réversibilité » promise par la loi ne serait, ainsi, pas possible. Le principe même du « retraitement » des déchets nucléaires est également mis en cause. La lecture des pages du rapport sur ce thème donne un sentiment d’incertitude, comme si les experts ne savaient trop quelle serait la solution à choisir.

 Conclusion

 Au final, trois questions fondamentales demeurent empreintes d’incertitude.

 La sûreté nucléaire est-elle une priorité nationale pleinement respectée ? L’ASN est-elle en mesure de résister dans tous les cas aux pressions éventuelles de l’Etat et de l’exploitant ? De s’imposer face à un exploitant qui donne l’information de manière parfois incomplète et parfois tardive ? Qui semble avoir perdu la culture de la sécurité ? Comment s’assurer que celle-ci sera respectée ?

La deuxième est celle du contrôle démocratique : les parlementaires se sont vu opposer le secret défense quand ils ont cherché à mesurer la capacité des piscines (où sont refroidis les combustibles) à résister à une attaque ou à un accident majeur. Ils n’ont eu accès que par une voie détournée à un rapport d’experts indépendants sur l’incident majeur de Paluel, qu’EDF ne leur a pas transmis. Sur le plan des principes, c’est choquant. Le plus préoccupant est cependant que le débat sur ces sujets, compliqué, très technique, qui implique une expertise capable de hiérarchiser les points critiques, n’est pas accessible à la population. En ce sens, le rapport Pompili, compréhensible, est très utile…

La troisième interrogation concerne l’absence de visibilité de données essentiels pour prendre des décisions : l’évolution du coût de production de l’électricité nucléaire, le coût de la gestion des déchets et du démantèlement des vieux réacteurs, le coût de fonctionnement et la fiabilité des réacteurs de 3e génération.

L’Etat va-t-il améliorer la transparence sur ces questions ? On peut l’espérer mais c’est douteux.

Pergama