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Réforme des retraites: une obscure clarté qui tombe d’on ne sait où

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La réforme des retraites a acquis une visibilité ces derniers mois avec l’annonce d’un calendrier et l’ouverture d’une « consultation citoyenne » sur un site dédié. Le calendrier est distendu : la concertation avec la population et les syndicats va occuper la fin de l’année 2018. Les orientations de la réforme seront présentées début 2019 et, quelques mois après, le projet de loi sera déposé. Puis « quelques années » seront nécessaires pour publier les textes d’application et construire les outils de gestion. Ensuite, s’ouvrira sans doute une période de transition (5 ans, 10 ans ?) avant que les actifs ne basculent intégralement dans le nouveau système, sachant que les personnes à moins de 5 ans de leur retraite ne seront pas touchées.  Bref, la réforme ne sera en place, au mieux, que dans 10 à 15 ans, délai qui devrait permettre d’éviter les couacs techniques et, si c’est possible (on en doute), d’apaiser les tensions.

Pour l’instant, on sait peu de choses du projet gouvernemental. Selon le Haut-commissaire, c’est volontaire : il évoque, dans une récente interview[1], une « co-construction » du projet avec les organisations syndicales comme avec les internautes. Dans ce cas toutefois, il faudrait donner aux citoyens une trame des scénarios envisageables et les éclairer sur les enjeux (avantages et risques) de leurs choix : or, l’information fournie sur le site est légère (quelques vidéos d’experts, un recueil de données statistiques, aucune note d’analyse), et parfois fausse, comme on le verra ci-dessous. Tous les sujets qui fâchent sont évités ou peints en rose bonbon. De plus, le site ne pose que des questions ouvertes (« Comment réduire les inégalités hommes/femmes ? » « Quelle solidarité entre les actifs ? »). Ce n’est pas ainsi que l’on construit un système cohérent. Les organisations syndicales auront également du mal à mouliner dans le vide, même si, mieux averties, elles peuvent plus aisément deviner où le gouvernement veut en venir. Quant aux travaux qui entendent éclairer la réforme (notamment ceux du COR – Conseil d’orientation des retraites –  du 14 février 2018[2]), ils restent essentiellement théoriques, comparant les divers modes d’acquisition des droits. Toutefois, un colloque du Sénat du 19 avril 2018 réussit mieux, malgré l’absence d’informations précises, à montrer les enjeux[3]. Au final, les pouvoirs publics ont à l’évidence choisi d’avancer masqués. Sur un sujet aussi sensible (la retraite est une garantie sociale vitale), c’est un mauvais choix.

Réforme 2019 : ce que l’on sait

Les pouvoirs publics évoquent la construction d’un système universel, mais pas forcément unique, probablement « à points », dans lequel, quelle que soit la profession de l’actif, une même somme de cotisations versée pendant une même durée de carrière donnera droit à un même montant de retraite. Un des objectifs est donc d’établir une égalité d’acquisition des droits, pour rétablir un sentiment d’équité et faciliter des parcours professionnels qui se diversifient aujourd’hui davantage. La définition de règles universelles pourrait s’accompagner de plusieurs « régimes » par professions, avec des cotisations de montant différent qui se répercuteraient sur les droits. Le projet semble bien devoir entraîner la disparition des régimes spéciaux mais aussi du régime agricole ou de celui des professions libérales, tous caractérisés par des règles très spécifiques. Quant aux dispositifs qui, dans de nombreux régimes, emboitent retraite de base et retraite complémentaire, le plus souvent avec des modes de fonctionnement différent, on ne sait pas s’ils perdureront ou si le système sera « complet », assurant l’intégralité de la pension.

 Pris au pied de la lettre, l’engagement du candidat Macron à la présidentielle (« un euro cotisé donnera les mêmes droits ») a souvent été compris comme annonçant l’institution d’un système purement contributif dans lequel la retraite serait uniquement fonction de l’effort de cotisation préalable. De fait, le futur président évoquait volontiers les systèmes de retraites à comptes notionnels, dont la logique est contributive : ils sont en effet caractérisés par un équilibre actuariel en niveau entre la masse des cotisations versées et la masse des pensions à percevoir et, pour respecter cette équivalence, le montant de la pension tient compte de l’âge de départ et de l’espérance de vie de la génération à laquelle appartient le pensionné. Or, le site sur la réforme des retraites affirme que « les dispositifs de solidarité seront renforcés et consolidés ». Prenons acte de cet engagement : en tout état de cause, il aurait été impossible de supprimer purement et simplement les droits dits de solidarité, tant leur importance est forte, quantitativement et politiquement : au total, même en ne prenant en compte ni l’ASPA (allocation de solidarité aux personnes âgées, ex minimum vieillesse, versée aux personnes qui n’ont pas suffisamment cotisé pour atteindre un niveau de ressources minimal) ni les pensions de réversion, les mécanismes de solidarité représentent selon le COR près de 20 % du montant total des droits directs[4].  Pour autant, les pouvoirs publics annoncent que, à l’occasion de la réforme, ces droits à solidarité seront revus « pour les adapter aux besoins de la société d’aujourd’hui » : l’objectif est légitime, tant certains de ces droits paraissent mal calibrés ou contestables. Lors du colloque du Sénat, un intervenant a indiqué que les droits de solidarité ne feraient probablement plus partie de la formule de calcul des droits mais seraient ajoutés à la retraite de manière lisible et financés différemment.

Enfin, le régime restera un régime par répartition et il n’y aura pas de changement de l’âge légal, même si le site précise que le projet est de permettre « une gestion plus libre des fins de carrière », en clair pour faciliter le recul de l’âge de départ, quitte à mettre en place des dispositifs facilitant la transition entre activité et retraite.

Réforme 2019 : ce que l’on ne sait pas

Certaines questions essentielles ne sont pas abordées ou le sont de manière ambiguë, voire franchement inexacte.

 1° Comment répond-on à la fragilité du système de retraites et à sa dépendance à la croissance ?

Dans une rubrique intitulée « Les idées reçues », le site consacré à la réforme des retraites affirme que « les dernières réformes…ont permis de combler les déficits annoncés » et que, s’agissant de la retraite en France, « son financement est assuré ». L’affirmation n’est pas exacte et, assénée sans nuances, peut même être qualifiée de malhonnête. Il est vrai que le principal régime, le régime général, a aujourd’hui retrouvé l’équilibre et que tous les autres ne connaissent, formellement, aucun déficit, grâce à des transferts divers, y compris des subventions d’équilibres de l’Etat. Seuls font exception les régimes des exploitants agricoles, des marins et des mines : mais les déficits sont mineurs et appelés à être comblés tôt ou tard.

Cependant, cette bonne situation ne va pas durer : dès 2018, avec la fin de l’effet du recul de l’âge engagé par la loi de 2010, l’excédent du régime général va s’amenuiser puis le déficit réapparaîtra. Les projections du COR annoncent, dès le début des années 2020, un creusement du solde financier du système dans son ensemble puis une baisse du taux de remplacement. Pour le long terme, le redressement est très dépendant de la croissance : ce n’est qu’avec une hypothèse de forte augmentation de la productivité que le système retrouvera l’équilibre dans les années 2030 : or, depuis les années 1980, la productivité augmente en France de moins en moins vite. En 2017 et 2018, le Comité de suivi des retraites a recommandé au gouvernement d’agir, dans les années qui viennent, pour « ramener le système à une trajectoire d’équilibre ». La Cour des comptes souligne elle aussi l’urgence d’agir[5] et de préparer rapidement des réformes concrètes.

Même s’ils ne donnent pas ces informations à « la consultation citoyenne », les pouvoirs publics sont conscients de la situation et évoquent, sur le même site, la nécessité de construire un système « plus résistant et plus adaptable » aux crises démographiques et économiques. C’est ce qui justifie (pourquoi ne le disent-ils pas ?) le choix probable d’un système par points.

A la différence d’un système à comptes notionnels, qui repose sur des ajustements automatiques décidés par les assurés (recul de l’âge si la pension garantie est trop modeste), les systèmes par points se pilotent. Les droits à retraite ne sont en effet pas définis d’avance, à la différence d’un système par annuités, où l’on acquiert, chaque année, un pourcentage de son salaire : certes, les cotisations versées permettent d’acquérir des points, mais la valeur de ces points ne sera connue qu’au moment du départ en retraite. L’évolution de la valeur du point dépend du mode d’indexation fixé par les gestionnaires du régime, qui peut évoluer selon les années, en fonction de l’équilibre économique du régime, voire, comme en Allemagne, de ses perspectives démographiques. Si la valeur du point est mal ou pas revalorisée, le risque est celui d’une baisse progressive du « rendement » du régime, c’est-à-dire du montant de pension acquis par un euro de cotisation. Enfin, un système par points accentue la contributivité : le salaire de référence qui sert à calculer la pension n’est plus celui des 25 meilleures années (a fortiori plus celui des 6 derniers mois, comme c’est le cas pour les fonctionnaires) mais c’est le salaire moyen de la totalité de la vie professionnelle, ce qui, mécaniquement, fera baisser les pensions.

Sur ce thème, le site sur la réforme des retraites affirme sans vergogne qu’il est faux d’affirmer qu’un système à points permet de faire baisser les pensions. Pour plaider cette contre vérité, le site affirme que, dans les systèmes complémentaires de retraite de salariés, la valeur du point n’a jamais baissé. C’est vrai en valeur absolue mais, si la valeur du point est gelée ou moins revalorisée que l’inflation, les pensions perdent en pouvoir d’achat et les revenus des retraités s’écartent peu à peu de ceux des actifs : c’est une manière de « baisser » les pensions, en valeur relative du moins, et c’est bien ce qui compte. De plus, l’élargissement de la période de référence pour calculer la pension conduira mécaniquement à des pensions plus basses qu’une période de référence réduite aux meilleures années de la carrière.

2° Le niveau des pensions en cours de service sera-t-il affecté ?

Le système par points, où la pension est revalorisée comme le point, permet de faire contribuer les pensionnés aux efforts. Ce n’est pas le cas en pratique des régimes en annuités, où le mode de revalorisation des pensions (hier, jusqu’en 1987, l’évolution des salaires, depuis lors celle des prix) est indépendant du mode de calcul de la retraite[6]. L’engagement selon lequel les retraites ne seront pas touchées par la réforme n’est donc pas totalement exact si l’on passe à un régime par points : certes, les retraites en cours ne seront pas recalculées selon le nouveau mode d’acquisition des droits. Mais le système par points permettra d’en moduler l’évolution…et Il sera difficile de laisser les anciennes pensions être revalorisées sur les prix et les nouvelles sur la valeur du point, appelée à évoluer sans doute plus faiblement.

3° Quelles seront les sources de financement ?

Sur l’ensemble des régimes de retraite, les cotisations représentent 80 % des ressources, les impôts affectés ou les subventions d’équilibre représentant le solde. Encore compte-t-on comme cotisation la participation de l’Etat ou des employeurs territoriaux aux régimes de leurs agents, qui sont, en réalité, des subventions d’équilibre (le taux de la cotisation de l’Etat atteint ainsi 75 % et celui des employeurs territoriaux dépasse 30 %). Que deviennent ces masses financières après la réforme ? Restent-elles de même niveau ? Sont-elles consacrées au financement des droits de solidarité ? Comment s’opèrent les ajustements ? Les employeurs publics continueront-ils à cotiser davantage que les autres et, sinon, la collectivité prendra-t-elle en charge les retraités de ces secteurs ?

4° Que va-t-il se passer pour les régimes spéciaux ?

S’appuyant sur une étude de la Drees, Le site sur la réforme des retraites indique que les fonctionnaires ne sont pas mieux traités que les salariés du privé : de fait, dans les deux cas, le taux de remplacement (ratio pension/dernier salaire) est comparable, ce qui suggère que les avantages tirés, dans le régime des fonctionnaires, d’un salaire de référence correspondant à celui des 6 derniers mois compensent la non prise en compte des primes. Malgré tout, le tableau n’est pas complet : d’une part, les primes sont intégrées dans le calcul de la pension dans certains régimes spéciaux (SNCF par exemple) et les fonctionnaires adhèrent, pour assurer leurs primes, à un régime additionnel, certes médiocre car plafonné et en cours de montée en charge. Surtout, il existe d’autres avantages : pension de réversion égale à 50 % de la pension du défunt et versée sans condition de ressources, existence de corps dits actifs, où la pénibilité présumée du métier permet un départ anticipé, à 52 ou 57 ans. La proportion d’agents qui en bénéficient est importante : en 2015, 23,5 % des départs en retraite dans la fonction publique d’Etat sont des départs anticipés liés à cette disposition (6,2 % dans la fonction publique territoriale, 43 % dans la fonction publique hospitalière). Il faudra bien résorber un jour ces avantages et il n’est pas conforme à l’équité de laisser coexister deux définitions de la pénibilité, l’une, restrictive, dans le secteur privé, l’autre, large, dans les régimes spéciaux. Mais la transition sera douloureuse : supprimer des droits acquis, même contestables, est difficile, sauf à accepter des transitions interminables (en supprimant par exemple les dispositions pour les nouveaux arrivés) qui affectent l’équité pour 45 ans.

Cerner les difficultés de la réforme 

Au final, les risques de la réforme sont extrêmement forts.

1° La population acceptera-t-elle de passer de régimes à droits définis (les régimes actuels en annuités) à un régime où les droits à pension dépendent du contexte économique et démographique, sans garantie de niveau ?

2° Quelle sera l’ampleur de la révision annoncée des droits de solidarité, pour les femmes, les chômeurs, les petites pensions ? Que deviendront les pensions de réversion, dont on peut considérer qu’elles relèvent d’un autre temps, celui où les femmes ne travaillaient pas, ou bien qu’elles complètent des pensions modestes ? Comment la pénibilité de la vie active sera-t-elle prise en compte, surtout si le dispositif incite à rester en activité pour améliorer ses droits ?  Qui finance ? A quelle hauteur ?

3° Comment les ressortissants des régimes spéciaux seront-ils alignés sur les autres ?

4° D’une manière plus générale, qui va perdre à la réforme ? Comment éviter les injustices alors ? Quel système mettre alors en œuvre pour faire accepter cette régression des droits ?

Ces questions ont trop d’importance pour la population pour que l’on puisse se contenter d’une concertation simpliste qui ne facilite pas la prise de conscience, voire dissimule la dureté des choix à faire. Comme il est nécessaire qu’une réforme ait lieu (une réforme, pas forcément celle-là), il reste à espérer que le gouvernement va préciser plus courageusement qu’aujourd’hui ses objectifs réels et organise un véritable dialogue sur cette base. Mais l’on n’y croit guère. Les risques de rejet sont donc réels et sérieux.

Pergama

[1] Interview organisée par l’AGIRC-ARRCO, You tube, 11 juillet 2018

[2] Voir le résumé du COR http://www.cor-retraites.fr/IMG/pdf/doc-4164.pdf

[3] cf. les actes du colloque du Sénat : http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/redaction_multimedia/2018/2018-06-Juin/Actes_du_colloque_sur_la_reforme_des_retraites_2018.pdf

[4] Ces mécanismes de solidarité recouvrent la validation gratuite des trimestres de maladie, de maternité, d’invalidité, la prise en charge sur argent public des cotisations des chômeurs ou de certains parents au foyer, la validation de trimestres supplémentaires par enfant élevé, la majoration de pensions pour parents de familles nombreuses et enfin des dispositifs de « minimum de pension » pour les personnes qui ont une pension dite « contributive » à taux plein.

[5] Cour des comptes, rapports sur l’exécution de la LFSS de septembre 2016 et de septembre 2017.

[6] Rien n’interdirait de choisir un mode de revalorisation moins favorable et rien n’interdirait de le faire évoluer avec les années : la pratique n’est pas celle-là, probablement parce que le mode de revalorisation est, dans les régimes par annuités, inscrits dans la loi, alors que dans les régimes par points, il relève d’une décision des gestionnaires du régime.