Voile en milieu professionnel : la Cour de cassation n’a pas respecté le droit

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Voile en milieu professionnel : la Cour de cassation n’a pas respecté le droit

L’affaire du licenciement d’une salariée de crèche privée qui a refusé de quitter son voile au travail a déjà suscité hésitations et débats. En entreprise, la jurisprudence ne permettait pas jusqu’alors  d’interdiction générale et absolue à l’expression visible des choix religieux : les restrictions devaient être justifiées, notamment par référence au règlement intérieur. Dans un premier temps, la chambre sociale de la Cour de cassation avait jugé ce licenciement injustifié, en considérant que la crèche n’était pas un service public et que les entreprises ne peuvent imposer à leurs salariés des restrictions à leur liberté religieuse que si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et une exigence professionnelle essentielle, quand bien même le règlement intérieur mentionnait le principe de laïcité. Puis, l’affaire est revenue en cassation après maintien du licenciement par la Cour d’appel. La Cour de cassation a alors jugé le licenciement justifié compte tenu de la teneur du règlement intérieur (rappelant que la justification était bien apportée par la nature des tâches à accomplir et que le licenciement ne constituait pas une réponse disproportionnée). Toutefois, la Chambre a alors rappelé à cette occasion que le principe de laïcité et l’interdiction des signes religieux n’était pas dans son principe applicable aux salariés de droit privé ne gérant pas un service public.

La salariée licenciée a porté alors l’affaire devant le Comité des droits de l’Homme de l’ONU, composé d’experts indépendants (il ne s’agit pas du Conseil des droits de l’homme, qui est un organisme politique). Celui-ci s’est prononcé cet été : il considère que la France a violé les dispositions du Pacte international relatif aux droits civil et politiques et que le licenciement a constitué une atteinte à la liberté religieuse et une discrimination. Il demande à la France d’indemniser la personne concernée.  Il justifie cette position par le fait que la France n’explique pas en quoi le port du voile modifierait la qualité de l’accueil et la stabilité de la crèche et porterait atteinte aux droits et libertés des enfants accueillis et de leurs parents.

La décision (jugée scandaleuse par certains militants d’extrême-droite comme par des partisans d’une neutralité stricte dans l’espace public, voire dans les entreprises) est commentée, avec intelligence et subtilité, dans la Revue des droits de l’homme de septembre 2018, par Stéphanie Hennette Vauchez, universitaire spécialiste des droits humains. Elle souligne que le Comité de l’ONU considère, contrairement à une opinion répandue en France, que le voile n’est pas un signe « agressif » ni de prosélytisme ni, a fortiori, un signe « radical », mais un signe religieux ordinaire. De ce fait, le licenciement a été jugé discriminatoire. Or, jusqu’alors, la Cour européenne des droits de l’homme comme la Cour européenne de justice avaient toujours jugé « légitimes » les interdictions de signes religieux, quand celles-ci s’expliquaient par un souci de neutralité et de protection des libertés. La décision du Comité met à mal ces justifications traditionnelles. Le commentaire de la Revue des droits de l’homme indique que, en soulignant que la discrimination s’est exercée à la fois sur une femme et sur une musulmane, la décision du Comité est forte et innovante. C’est effectivement le cas, comme chaque fois que l’on sort des sentiers balisés pour regarder la réalité nue, dépouillée d’idéologie et de préjugés. Le premier président de la Cour de cassation ne s’y est pas trompé qui annonce que la Cour devra désormais tenir compte de cette décision.