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Ce n’est pas facile de traiter de la sécurité sociale comme d’une politique publique à proprement parler. D’abord parce qu’elle est vue avant tout comme une caisse, elle qui représente, il est vrai, avec près de 580 Mds de prestations en 2016, 81 % de l’ensemble de la protection sociale. C’est donc l’équilibre financier entre ses recettes et ses dépenses qui préoccupe, pour l’essentiel, l’opinion et les experts. Il est vrai que, s’agissant du principal régime, le Régime général, le déficit est une vieille connaissance. Tous risques confondus, dans les 20 dernières années, seules trois (1999, 2000, 2001) ont connu un très léger excédent, les autres ont toutes connu un déficit plus ou moins marqué, parfois très élevé (24 Mds en 2010), parfois en réduction. Il n’est donc pas étonnant que l’on retienne du projet de loi de financement de la sécurité sociale 2019, au premier chef, le retour à un excédent des comptes, et cela sans doute dès 2018.

Les lois annuelles de financement de la sécurité sociale (LFSS) sont donc d’abord des lois financières, qui renseignent sur la lutte contre le déficit social, sur l’appréhension, sur le long terme, des perspectives financières des divers risques et sur la gestion de la dette sociale.

Pour autant, les LFSS sont aussi le reflet d’une politique. Il faut rendre grâce, de ce point de vue, à la Cour des comptes, la seule à rappeler méthodiquement, dans chaque rapport annuel sur l’exécution de la LFSS, que les aides versées aux familles sont la traduction de choix de redistribution et pourraient, voire devraient, être redéployées ou que les cotisations dues pour l’assurance du risque professionnel, censées inciter à la prévention, y  incitent trop peu. Que nous dit, sur les choix de protection sociale, la loi de financement 2019 ? Eh bien, le message est moins « social » qu’il n’y paraît à première vue.

Equilibre financier : où en est-on ?

 Le déficit du régime général s’est progressivement réduit et disparaît en 2018 (+ 1,1 Mds) et en 2019 (+ 2,5 Mds), même si la situation est moins favorable si l’on additionne régime général et FSV (Fonds de solidarité vieillesse), qui prend en charge, sur ressources fiscales, des dépenses de solidarité (l’allocation de solidarité aux personnes âgées, certaines majorations de pensions ou les cotisations retraite des demandeurs d’emploi).  Le cumul des deux régimes, encore déficitaire en 2018 (-1 Mds), devient faiblement excédentaire en 2019 (+ 0,7 Mds). L’on comprend donc la satisfaction des pouvoirs publics, après tant d’années de plans d’économies, à voir se confirmer une trajectoire de redressement longtemps attendue.

Cependant, les comptes actuels ne rassurent pas tout à fait : d’abord, les comptes du FSV sont durablement négatifs (-2,1 Mds en 2018, -1,9 Mds en 2019) et, sauf à se livrer une nouvelle fois à un allègement des dépenses prises en charge par ce fond (cela a été le cas pour le « minimum contributif », qui permet de garantir à certains travailleurs un minimum de pension, rebasculé progressivement, de 2017 à 2019, vers les régimes ordinaires par pure décision d’opportunité), il faudra bien un jour le rééquilibrer en augmentant ses recettes. Les tours de passe-passe ont leurs limites…

Surtout, les comptes de la branche maladie sont fragiles : certes, le déficit diminue nettement pour ce risque (-4,9 Mds en 2017, -0,9 en 2018, -0,5 en 2019) mais cette décélération ne peut être obtenue, comme les autres années, que par un effort d’économies qui va devenir de plus en plus difficile à réaliser à système de soins inchangé. Selon l’analyse du Haut conseil des finances publiques[1], l’évolution tendancielle des dépenses dans le champ de l’ONDAM devrait être en 2019, comme chaque année, de l’ordre de 4,5 %. Même si l’impact du plan santé 2018 (notamment les rémunérations promises pour inciter les médecins de ville à mieux s’organiser en réseaux) impactera peu ou pas les comptes avant 2020, joueront en 2019 les conséquences de la coûteuse convention entre la sécurité sociale et les professionnels de santé libéraux entrée en vigueur en 2017, la poursuite du protocole d’amélioration des rémunérations dans les établissements publics de santé et l’arrivée de médicaments innovants. Le respect d’un taux de progression à 2,5 % des dépenses d’assurance maladie inscrit dans la LFSS 2019 suppose donc la réalisation d’économies du même ordre que les années précédentes (3,8 Md€ au minimum). Comme les années précédentes, elles vont porter, pour l’essentiel, sur les établissements de santé. Sont-ils prêts à encaisser ces nouvelles mesures ? Question plus fondamentale : si l’équilibre en maladie n’est atteint qu’avec des coups de rabot répétitifs, peut-on le considérer comme acquis de manière pérenne ? Le système de santé génère tant de gaspillages qu’il faudrait en changer la logique structurelle. On le sait mais l’on avance à pas de fourmis…en ménageant toujours beaucoup les médecins libéraux qui, il est vrai, deviennent hargneux dès que l’on touche à leur statut..

Enfin, dans le domaine des retraites, le 5e avis du Comité de suivi des retraites du 13 juillet 2018 vient doucher l’optimisme. Selon lui, à court terme, d’ici 2021, les comptes sont appelés à se détériorer à nouveau : les effets de la réforme de 2010 (qui a freiné les départs jusqu’en 2017) s’estompent, le relais pris par l’allongement de la durée d’assurance en 2020 prévu par la loi de 2014 est moins fort.  Surtout, à plus long terme, entre 2030 et 2040, même si les dépenses restent contenues, l’équilibre ne sera atteint que si l’évolution de la productivité atteint au moins 1,5 %, ce qui n’est pas gagné.

Ces projections sont elles aussi fragiles, elles aussi discutables : elles témoignent cependant que la lecture des comptes de la sécurité sociale ne doit pas s’effectuer sur un an mais dans la durée et toujours avec prudence. Le triomphalisme ponctuel a peu de raisons d’être dans un dispositif étroitement dépendant de l’économie et dont les réformes sont lentes à monter en charge.

Comment va évoluer la dette sociale ?

 La CADES, l’établissement public en charge d’amortir la dette sociale,  est depuis plusieurs années sur une trajectoire favorable : elle dispose aujourd’hui de 17,4 Mds de recettes annuelles (essentiellement des impôts affectés, CRDS, contribution au remboursement de la dette sociale et une part de la CSG, auquel s’ajoute un versement des réserves du Fonds de réserve des retraites), tandis que la dette mise à sa charge a cessé d’augmenter en 2016 : la dernière décision qui lui transfère un montant supplémentaire à amortir (lié à des déficits passés et surtout à venir, jusqu’en 2015) date de 2010. De ce fait, la dette CADES baisse : 135 Mds en 2016, 120 en 2017, 105 sans doute fin 2018.

Cependant, l’on sait depuis longtemps que la dette CADES n’épuise pas la question de la dette sociale : sans même tenir compte de la dette des établissements de santé ou de celle du régime d’assurance chômage ou du régime agricole, il existe une « dette courante » du régime général liée aux déficits non pris en charge, notamment depuis 2016. La branche en charge du financement, l’ACOSS, le gère au mieux, sans pouvoir l’amortir, en empruntant, ce qui, en période où les taux peuvent remonter, n’est pas sécurisant. L’Etat a raison de vouloir assainir la situation en décidant de transférer progressivement à la CADES, sur 3 ans, 15 Mds de dette supplémentaire correspondant à environ la moitié de la dette courante du régime général. Certes, le système va ainsi se priver de ressources (au regard des textes, il est obligatoire alors d’attribuer des recettes supplémentaires à la CADES pour que le délai final d’amortissement de la dette sociale reste fixé à 2024) mais la démarche est bonne, à condition que parallèlement, cette dette courante ne se reconstitue pas : l’atteinte de l’équilibre financier devient cruciale, alors que, comme indiqué ci-dessus, le caractère pérenne de l’équilibre n’est pas garanti.

LFSS 2019 : quels infléchissements des politiques sociales ?

 Au-delà des résultats financiers, que penser, sur le fond, des mesures contenues dans la LFSS 2019 ? Celle-ci contient quelques mesures favorables aux personnes modestes mais favorise surtout deux types d’acteurs : les entreprises et, de manière un peu surprenante, l’Etat.

Les mesures destinées aux actifs et aux bénéficiaires de prestations sociales : un certain déséquilibre

 Plusieurs mesures du projet de loi sont favorables aux actifs, telle l’exonération des cotisations salariales dues au titre de la rémunération des heures supplémentaires (2 Mds en année pleine). La mesure est chère et durement critiquée par les économistes qui y voient, en période de chômage élevé, un cadeau aux « insiders »[2]. Quant à la hausse de la prime d’activité (20 euros en 2008, 20 encore en 2019), même si elle est modeste, même si elle est exprimée en brut (elle sera moins forte une fois déduites les cotisations salariales), même si elle est réduite artificiellement par l’abaissement du taux de cumul avec les revenus du travail (mesure mesquine car peu visible), elle encourage certes aussi les actifs mais, c’est certain, cible les plus modestes.

A cette amélioration s’ajoutent des mesures « pour les plus vulnérables » : une fusion (bienvenue mais tardive, en novembre 2019) des dispositifs de la Couverture maladie universelle complémentaire et de l’assurance complémentaire santé (le dispositif de prise en charge par la collectivité de la participation des malades très modestes aux frais de soins s’étend et se simplifie et c’est tant mieux) ; la mise en place (lente, cela va s’étaler d’ici 2021) du zéro reste à charge pour l’optique, la lunetterie et les audioprothèses ;  enfin,  une forte revalorisation de deux minima sociaux, l’allocation aux adultes handicapés et l’allocation de solidarité aux personnes âgées. Avec les augmentations déjà engrangées en 2018, l’AAH va ainsi atteindre progressivement 900€ et l’ASPA 903€ pour une personne seule. Ce n’est pas une vraie bonne nouvelle : pour le gouvernement, les seuls minima sociaux qui méritent revalorisation sont ceux attribués aux personnes qui ne peuvent travailler. Or, lutter contre la pauvreté consisterait à relever aussi le RSA…ce qui ne serait pas antinomique avec la valorisation de l’insertion par le travail. L’écart va se creuser entre les minima, avec une prestation de subsistance pour les uns et un revenu plus proche du niveau de vie de base pour les autres. Ce n’est pas ainsi que l’on assure la cohésion d’une société.

De plus, malgré ces mesures catégorielles, la loi n’est guère favorable aux bénéficiaires de prestations : le gouvernement déroge à la règle de revalorisation des pensions sur l’inflation et, surtout, à la revalorisation « normale » des prestations familiales et aides personnelles au logement. Ce quasi gel (+0,3%) est amené à se poursuivre en 2020, alors que l’inflation semble repartir. La mesure (qui fait gagner 1,8 Mds aux comptes) est davantage plaidable pour les retraités que pour les aides aux familles : elle n’apparaît pas, dans ce cas, cohérente avec le plan pauvreté, même si les revalorisations des prestations familiales en fonction de l’inflation resteraient, c’est vrai, modiques.

Les entreprises grandes gagnantes

 Le bilan est impressionnant : année blanche de cotisations à partir de 2019 pour les créateurs et repreneurs d’entreprise (certes sous condition de ressources, mais plutôt élevées) ; suppression du forfait social sur les sommes versées au titre de l’intéressement et de la participation dans les PME (450 millions) ; renforcement des exonérations bas salaires : le champ des allègements est élargi  aux cotisations chômage, de retraite complémentaire et d’AGFF, et le taux maximal d’exonération bas salaires passe de 28,14% en 2018 à 32,2 % en 2019, le SMIC ne supportant quasiment plus aucune charge sociale (le coût de la mesure est de 8,6 Mds) ; enfin et surtout, lors de la bascule du dispositif du crédit d’impôt CICE vers une baisse équivalente de cotisations pour les salaires jusqu’à 2,5 SMIC, possibilité de cumuler, cette même année, les versements liés au crédit d’impôt dû au titre de l’année précédente et des exonérations qui les remplacent : certes, le gain est ponctuel et ne se renouvellera pas, mais il est élevé (20 Mds). Reste un doute taraudant sur les effets économiques de ces baisses de charges qui, en théorie, devraient accroître soit la compétitivité-coût, soit la capacité à investir. En pratique, sur les années passées, les exonérations accordées, pour massives qu’elles aient été, n’ont permis ni de relancer l’emploi ni d’améliorer le positionnement des produits français sur les marchés internationaux.

L’Etat, récupérateur des excédents sociaux ?

 En théorie les deux sphères de l’Etat et de la sécurité sociale relèvent de circuits financiers séparés parce que leur vocation est différente : certes, l’Etat prend à sa charge certaines prestations, mais parce qu’il s’agit de prestations de solidarité sous conditions de ressources (allocation aux adultes handicapées, ASPA, allocation supplémentaire d’invalidité). De même, la loi Veil du 25 juillet 1994 impose que toute mesure d’exonération de cotisations décidée par l’Etat après 1994, au nom de la politique de l’emploi, soit compensée par l’Etat. Le dispositif restait imparfait (en 2018, l’Etat n’a pas pris à sa charge 915 millions d’exonérations ciblées) mais protecteur. La règle change en 2019 : les nouvelles exonérations ne seront plus prises en charge par l’Etat, telles celles sur les heures complémentaires. Il ne s’agit pas là d’une décision ponctuelle : elle s’inscrit dans le cadre d’une refonte des relations financières de la sécurité sociale et de l’Etat prévue par l’article 27 de la loi de programmation des finances publiques. Sur ce fondement, le rapport Charpy-Dubertret remis au Parlement à l’été 2018 encourage à aller plus loin. Les partenaires sociaux, qui participent aux Conseils d’administration des organismes de sécurité sociale voient dans cette politique la volonté de reprendre à la sécurité sociale, dans l’avenir, ses éventuels excédents pour limiter le déficit du budget de l’Etat. Certes, l’indépendance financière de la sécurité sociale est, en partie, une fiction : l’Etat lui affecte déjà le produit de certains impôts et, surtout, décide de tout. Mais si un mécanisme systématique de reprise des excédents sociaux est engagé (ou si la sécurité sociale supporte le poids de politique publiques qui lui sont étrangères, comme celle de l’emploi), elle deviendra une annexe financière de l’Etat, avec la multiplication des décisions de pure opportunité financière que celui-ci a le talent d’inventer, budget après budget. Philosophiquement, cela n’est pas sans poser question.

Pergama   

 

 

 

 

 

 

[1] Avis relatif aux projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2019, septembre 2018

[2] Voir sur ce point le blog de l’OFCE : « Désocialisation des heures supplémentaires : pouvoir d’achat pour les actifs, perte d’emplois pour l’économie, », 1er octobre 2018