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Fiscalité verte : quelle acceptabilité?

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Une manifestation est prévue le 17 novembre prochain contre la hausse du prix des carburants, en particulier du diesel. La question renvoie à des décisions prises il y a un an, voire encore plus loin dans le temps : la contribution climat-énergie (CCE) créée en 2014 pour frapper spécifiquement le charbon, le gaz et les carburants en fonction de leurs émissions de CO2 est une composante de la taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (TICPE). Dès sa création, la CCE s’est voulue progressive : fixée au départ à 7€ la tonne, elle devait atteindre 30,5 € la tonne en 2017, 56 € en 2020 et 100€ en 2030. Même si elle constitue une composante minoritaire de la TICPE, elle contribue à augmenter la taxation des carburants (au total plus de 50 % du prix) et donc leur prix.

En 2018, la loi de finances a décidé de fixer une évolution plus ambitieuse de la CCE qui a donc augmenté plus vite que prévu, avec une trajectoire pluriannuelle : l’objectif est d’atteindre 65,4€ la tonne en 2020 et 86,2€ en 2022. De plus, il est prévu parallèlement d’accélérer la convergence entre la fiscalité du diesel et celle de l’essence, choix demandé depuis des années par les écologistes au nom de la cohérence des politiques : il est difficile de continuer à favoriser l’usage du diesel, non pas tant à cause des émissions de carbone (le diesel en émet moins que l’essence) que du dioxyde d’azote et des particules fines que le diesel émet et sur lesquelles les filtres sont imparfaitement efficaces. Même si les comparaisons essence/diesel sont difficiles (l’essence émet aussi des particules), il n’y a aucune raison pour que la fiscalité incite à choisir le diesel.

En tant que tel, le débat actuel sur le prix des carburants est artificiellement gonflé. La manière dont il est mené n’est pas à l’honneur des politiques qui, après avoir plaidé pour le renforcement de la fiscalité verte et accusé le gouvernement, après le départ de N. Hulot, de ne pas mener une politique écologique suffisamment énergique, montent allègrement aujourd’hui dans le train des démagogues (I). La question de l’acceptabilité de la fiscalité écologique n’en est pas moins cruciale, d’autant que cette fiscalité est un bon outil auquel il faudra avoir de plus en plus recours (II).

 Un débat gonflé et une inquiétante démagogie

 La presse a montré (avec complaisance ?) un président soumis aux interpellations, voire aux insultes, des passants, et répété les arguments des contestataires sur les réseaux sociaux, « Traque aux conducteurs », « Qu’est-ce que vous faites du pognon ? », « Autant qu’on change… ». Il n’existe plus depuis longtemps sur les réseaux sociaux ni retenue, ni analyse, juste de la violence verbale et des apostrophes haineuses, l’étonnement étant que certains médias invitent désormais les leaders d’un jour à s’exprimer dans les émissions politiques, au nom sans doute du droit au « dégagisme », de la préférence pour la parole brute sur le débat construit et de la légitimité présumée du protestataire (« nous sommes 80 % de la population », disent les protestataires, pas si loin des sondages du jour il est vrai). Les politiciens ne sont pas en reste, de la gauche (la hausse des carburants est une « arnaque écologique » selon Benoît Hamon, « cette colère est juste » selon J-L Mélanchon, Ségolène Royal parlant d’ « hystérie fiscale » et de « malhonnêteté ») à l’extrême droite (« hausse décidée par les bobos parisiens »). S’il y a une inquiétude à avoir, c’est sur la résistance de notre démocratie aux excès de langage et sur la capacité des politiques à maintenir la cohérence de leur propre pensée : la hausse des taxes sur le diesel était au programme de tous les partis de gauche lors des dernières présidentielles. Qu’une ancienne ministre de l’écologie prenne ses distances avec une taxe qu’elle a mise en place ne constitue pas seulement une lâcheté individuelle : à relayer une parole brute, certains politiques oublient leur mission, ce qui fait le lit d’un populisme déjà bien installé.

En fait, comme le montrent très bien les « Décodeurs » du Monde (Prix du carburant : petit manuel à lire avant de débattre, 9/11/2018), l’augmentation du prix de l’essence, qui est forte depuis le début du quinquennat (+ 15 % pour le SP 95 et + 27 % pour le diesel) est due pour les deux-tiers à l’augmentation du coût de l’essence hors taxes et pour un tiers seulement aux taxes. Le débat doit se dégonfler…

Reste toutefois que la question de la fiscalité verte doit être sérieusement posée.

Pour un renforcement de la fiscalité écologique…

 Comme l’indique une note du Conseil économique pour le développement durable[1], c’est, jusqu’ici, la baisse du prix de l’énergie qui explique pourquoi la hausse de la CCE a été, jusqu’à présent, relativement indolore. Il va falloir affronter désormais la conjonction entre la poursuite probable de la hausse du baril et de celle, délibérée, du prix du carbone fixé par les pouvoirs publics : en février 2018, le Premier ministre a ainsi confié à un inspecteur général mission de réviser la « valeur tutélaire » du carbone, pour la mettre plus en accord avec les objectifs climatiques du pays, en particulier la neutralité carbone prévue pour 2050.

Pourquoi envisager de relever encore le « prix » du carbone et, d’une manière plus générale, la fiscalité écologique ?

La fiscalité écologique ne poursuit pas les mêmes objectifs que la fiscalité ordinaire, qui entend fournir aux pouvoirs publics les moyens de leur action dans le respect de l’équité. En intégrant, dans les coûts supportés par les acteurs économiques (entreprises ou ménages), le coût des dommages sanitaires et environnementaux causés par leurs activités, elle veut pénaliser la consommation de certains produits, rentabiliser les investissements nécessaires à d’autres consommations, bref modifier les comportements. La fiscalité verte est, de manière souvent plus efficace que des normes avec lesquelles on peut tricher, l’outil apte à protéger l’environnement, eau, sol, air et biodiversité, notamment en appliquant le principe pollueur payeur, conformément aux principes de  la Charte de l’environnement intégrée au bloc constitutionnel en 2005, notamment aux articles 4 et 6.

La difficulté principale d’une fiscalité écologique est donc de trouver le bon niveau de sa pleine efficacité, là où elle parvient à être dissuasive de comportements nocifs sans être excessive, socialement injuste ou trop pénalisante pour la compétitivité des entreprises. Jusqu’à présent, la France ne courait guère ce dernier risque : sa fiscalité verte était faible (elle était en 2015 22e dans l’Union pour la part des taxes environnementales dans le PIB) et concentrée dans le domaine de l’énergie au détriment des autres domaines,[2] puisqu’elle était limitée dans les transports (la CCE a contribué à redresser un peu cette situation) ou dans le domaine des pollutions industrielles et agricoles. Or, une taxation environnementale insuffisante ne sert à rien :  il faut fixer la taxe à un niveau où elle est dissuasive et permet d’atteindre les objectifs politiques fixés (division par 4 des émissions des GES de 1990 à 2050, réduction de 10 % des déchets…). C’est en ce sens qu’il faudrait augmenter le taux de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) et c’est en ce sens que le Premier ministre a demandé une étude sur la cohérence entre la valeur tutélaire du carbone et le plan climat.  C’est en ce sens également qu’un récent rapport de l’OCDE (« Effective carbon rates : pricing carbone missions through taxes and emissions trading », 2018) considère que les pays qui font payer le carbone assez cher sont encore trop peu nombreux pour que les objectifs affichés sur le climat puissent être atteints. La fiscalité écologique doit être cohérente avec un projet politique.

Certes, comme le prônent les tenants d’une « écologie joyeuse » et « non punitive », accorder des aides pour inciter à de meilleurs choix écologiques est utile. Mais les entreprises ne se dirigeront vers des modèles alternatifs que si elles reçoivent un « signal-prix » à la fois net et en progression, assorti, le cas échéant, d’une politique de normes : c’est bien la mission des pouvoirs publics que de faire accepter une politique de transition écologique contraignante pour le mode de vie des électeurs et financièrement pénalisante.

De fait, l’augmentation, rationnelle et fondée, de la taxation des consommations nocives ne suffit pas à tout régler. La réponse ne peut pas être seulement technique, on le voit bien aujourd’hui avec le caractère éruptif de protestations populaires contre une augmentation objectivement nécessaire, raisonnable et utile. Elle doit être politique.

 …à certaines conditions  

 La crise actuelle semble surprendre le gouvernement alors même que, en février dernier, Nicolas Hulot avait confié au Conseil économique pour le développement durable et au Comité pour l’économie verte une réflexion sur le développement de la fiscalité verte, avec mission d’avancer des propositions permettant d’anticiper un « ras le bol fiscal » prévisible. De fait, un colloque s’est tenu début octobre 2018 à l’Assemblée nationale sur « les conditions de l’adhésion à la fiscalité écologique », avec des parlementaires et des intellectuels, signe paradoxal de la désinvolture des décideurs, conscients intellectuellement d’une difficulté mais qui ne la traitent pas parce qu’ils espèrent passer au travers, comme ils l’ont fait tant de fois.

Cette fois-ci, elle les a rattrapés.

La première condition de réussite de la fiscalité écologique est la cohérence des politiques menées en ce domaine, qu’un rapport de la Cour des comptes de 2016 jugeait faible[3], compte tenu de la détaxe diesel et des exonérations de la TICPE destinées à certains secteurs d’activité, notamment aux avions, transport particulièrement polluant. Une récente note du Ministère en charge de l’environnement confirme l’embarras des décideurs sur ces avantages[4]. Le PLF 2019 a prévu de revenir sur certains d’entre eux (en particulier sur la taxation réduite du gazole non routier) mais aura du mal à maintenir le cap : comment les entreprises de BTP accepteraient-elles que leur taxation soit alignée dès lors que les agriculteurs continueraient à recevoir des aides ou que les camions étrangers qui traversent la France ne subissent pas de pénalité particulière alors qu’ils polluent gravement ? L’OCDE, dans la note mentionnée plus haut, rappelle que, pour que le système soit efficace, toutes les émissions de CO2 doivent être également taxées, les émissions du secteur résidentiel ou commercial comme le transport, alors que ce n’est pas aujourd’hui le cas. Il est certes difficile de concilier la cohérence (qui implique l’universalité de la taxation) et la nécessaire prise en compte des difficultés de certains secteurs d’activité, au moins de manière provisoire : du moins ne faut-il pas accepter de maintenir des exonérations au simple motif qu’elles existent. Telle était déjà la conclusion, en 2009, du rapport Rocard sur la création de la CCE, intitulée « les clefs de l’acceptabilité » : tout le monde doit participer à l’effort, celui-ci doit concerner tous les gaz polluants et pas le seul CO2 et il ne faut pas se focaliser sur le seul transport mais investir tous les secteurs qui produisent du CO2.

De manière plus diffuse, un gouvernement qui ne fait pas de la transition énergétique ou de la lutte contre les pollutions une priorité (c’est le cas du gouvernement Philippe) est moins légitime à imposer des contraintes : il risque d’être accusé d’opportunisme financier et soupçonné d’insincérité.

 Cette obligation de cohérence va de pair avec l’engagement que la fiscalité écologique ne renforce pas systématiquement une pression fiscale déjà élevée et, surtout, que son affectation (à défaut de fléchage) soit transparente, le plus possible destinée à des aides ou des investissements écologiques. C’est là qu’aujourd’hui le bât blesse : développement mal mesuré de la fiscalité écologique (le montant de 50 Mds avancé aujourd’hui couvre 38 Mds de TICPE mais l’objectif de cette taxe est essentiellement d’apporter des recettes au budget général de l’Etat), absence de réflexion sur la place que celle-ci doit prendre dans le dispositif fiscal, difficulté à chiffrer en regard l’accroissement des efforts de protection du climat ou de la nature.

La dernière condition d’acceptabilité est de prévoir une aide temporaire aux ménages vulnérables : le gouvernement s’en préoccupe aujourd’hui, en urgence (il pense à augmenter le chèque énergie ou à instituer une aide aux transports pour certains ménages modestes obligés d’utiliser la voiture pour aller travailler) alors que l’alerte était donnée dès le budget 2018 :  un rapport sénatorial soulignait alors l’ampleur différenciée des augmentations de charge selon le mode de chauffage, le type de motorisation et le lieu de vie des ménages : pour un ménage chauffé au fioul, habitant une périphérie éloignée et roulant beaucoup avec une voiture au gazole, le surcoût prévu était de 136€ en 2018 et de 538€ en 2022, avec des compensations faibles. L’aide est donc nécessaire mais il faut la cibler avec rigueur et engager parallèlement une politique de lutte contre l’éparpillement des logements dans les zones périurbaines, objectifs déjà proclamés lors des Grenelle de l’environnement, sans réponse concrète à ce jour.

Il ne faut pas reculer sur l’augmentation du prix des carburant. Mais, s’il veut renforcer la fiscalité écologique, le gouvernement doit se doter d’une ligne de conduite cohérente, améliorer la transparence sur ses objectifs et l’emploi de ses ressources et mieux anticiper les difficultés. Il ne faudrait pas en tout cas que l’épisode actuel se répète trop souvent.

Pergama

[1] « Quel chemin vers un pacte fiscal pour le climat, l’acceptabilité », Conseil économique pour le développement durable, août 2018

[2] Voir Fiscalité environnementale, un état des lieux, Ministère en charge de l’environnement, novembre 2017

[3] L’efficience des dépenses fiscales relatives au développement durable, Cour des comptes, rapport annexé au rapport sénatorial sur le même sujet, septembre 2016

[4] Les aides dommageables à l’environnement, une réalité complexe, Commissariat général au développement durable, décembre 2017