Entre mesure et perception des inégalités, un décalage

France : des disparités régionales plus marquées qu’ailleurs
18 novembre 2018
France, portrait social: tour d’horizon sur le vieillissement
25 novembre 2018

Entre mesure et perception des inégalités, un décalage

La France est un pays où les inégalités sociales, comparées à celles d’autres pays, sont faibles, à cause notamment d’un système de redistribution efficace. De plus, ces inégalités, après avoir augmenté de 2000 à 2011, se stabilisent aujourd’hui depuis plusieurs années. Enfin, elles ont beaucoup baissé sur le long terme. Ces vérités s’appuient sur des constats : ainsi, le coefficient de Gini, qui mesure la dispersion des revenus, a baissé fortement de 1970 à 2016, de 0,34 à 0,288. Le point le plus bas a été atteint en 1998 (0,276) et l’indice a remonté depuis lors, dépassant même 3 en 2010 et 2011, sans pour autant que les évolutions soient très fortes : depuis, il s’est stabilisé à un niveau légèrement inférieur. Certes la France est assez loin du niveau des pays scandinaves (0,26 à 0,27) mais elle est loin aussi du Royaume Uni (0,35) et des Etats-Unis (0,4).  D’autres indicateurs (la réduction du rapport interdéciles avant et après redistribution (de 23 à moins de 6) ou la réduction du taux de pauvreté par le système social et fiscal (8 points) vont dans le même sens. Quant aux indicateurs de pauvreté, ils ont augmenté lors de la crise mais sont aujourd’hui stabilisés.

Dans une intervention aux Journées de l’économie de Lyon 2018 (JECO), l’économiste F. Bouguignon s’est interrogé sur l’écart entre ces constats et la conviction de l’opinion publique, selon laquelle les inégalités augmentent en France. Il s’appuie notamment sur le Baromètre d’opinion que la DREES (le service d’études des ministères sociaux) publie régulièrement : en 2017,77 % des Français jugent la société plutôt injuste et 80 % pensent que les inégalités ont augmenté depuis 5 ans, proportions stables depuis 2009. Les Français jugent que ce sont les inégalités de revenus qui sont les plus répandues mais évoquent également les inégalités d’accès aux soins et les discriminations liées à l’origine.

Comment expliquer cette distorsion entre les mesures et le « ressenti » ? Sans doute par la grande diversité des inégalités. Les économistes mesurent pour l’essentiel les inégalités en termes de revenu et, parfois, les inégalités de patrimoine (plus fortes). Toutefois, la population ressent les inégalités dans d’autres dimensions rarement mesurées de manière globale, inégalités d’accès à l’emploi, au logement, à la santé ou difficulté à accéder à une éducation de qualité. De même, il est difficile de mesurer l’égalité des chances, qui n’est sans nul doute pas atteinte, entre catégories sociales, entre hommes et femmes ou selon l’origine : la prégnance des discriminations constatées renforce pourtant le sentiment d’une dégradation de ce type d’égalité.

Il en est de même sur la question du pouvoir d’achat. Un récent article du Monde (« Pouvoir d’achat : les données statistiques ne permettent pas de saisir les difficultés des Français », 17 novembre 2018) montre que, alors que le pouvoir d’achat augmente indéniablement sur la seconde partie de l’année, la population se plaint de sa diminution. L’indice du coût de la vie est toutefois une réalité trop agrégée pour traduite les situations concrètes par catégories, différentes pour les jeunes et les vieux, les actifs et les retraités, les citadins et les ruraux, les couples sans ou avec enfants. La fiscalité frappe de manière contrastée les catégories selon leurs consommations. De même, les dépenses « préengagées » (logement, cantine, téléphone…) représentent un pourcentage du revenu plus élevé chez les ménages modestes, réduisant leur marge de manœuvre et créant le sentiment d’être excessivement contraint. Là aussi, cerner la réalité supposerait des tableaux de bord plus fins, établis parfois par des études ponctuelles mais que les données statistiques globales ne permettent pas d’approcher.