Conseil d’Etat: stocker les données biométriques de toute la population, où est le problème?

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Conseil d’Etat: stocker les données biométriques de toute la population, où est le problème?

Traditionnellement, les fichiers publics qui centralisent des données sur la population inquiètent l’opinion, surtout s’ils sont larges et surtout s’ils enregistrent des données sensibles : cela a été le cas du fichier créé par la loi du 27 mars 2012 qui rassemblait l’ensemble des données biométriques de la population, disposition censurée par le Conseil constitutionnel (décision 2012-652) pour atteinte disproportionnée au respect de la vie privée. Un fichier exactement de même nature (fichier TES – titres électroniques sécurisés), créé par le décret du 28 octobre 2016, qui enregistre toutes les données utiles à la confection des passeports et des cartes d’identité (en particulier photos et empreintes digitales), a soulevé des inquiétudes parallèles. Le débat porte sur l’utilisation potentielle du fichier : en théorie, celui-ci ne doit servir qu’à « l’authentification », pour vérifier que la personne qui présente un passeport comme le sien en a le droit. La crainte est qu’il ne permette l’identification, en remontant des données enregistrées vers la personne qui aurait laissé ses empreintes quelque part.  La CNIL, tout en reconnaissant que le fichier ne permet pas l’identification des personnes à partir des données enregistrées mais leur seule authentification, a émis sur la création du fichier un avis réservé, considérant que la protection des données n’était pas suffisante et mettant en garde contre de potentiels détournements. Les pouvoirs publics ont admis que les usagers pourraient demander la conservation de leurs empreintes sur support papier, concession de faible portée pratique. L’avis de la CNIL (certes consultatif) a été négligé et le fichier a été créé, par décret (c’est légal) donc sans débat parlementaire, choix qui a surpris. Le conseil d’Etat s’est prononcé le 18 octobre 2018 sur les recours demandant l’annulation de ce décret d’autorisation. Il en valide la création avec un raisonnement quelque peu fragile : la finalité du fichier n’est pas l’identification de personnes à partir de leurs données biométriques ; l’accès au fichier est certes possible aux policiers ou gendarmes mais seulement quand ils veulent authentifier une identité, pas quand ils font une enquête de police ; les précautions prises paraissent donc suffisantes et le fichier ne présente donc pas de risque de détournement. La CNIL et le Conseil du numérique avaient pourtant évoqué des risques d’abus et mis en garde contre le principe de tels fichiers, évoquant des risques de recul démocratique. Mais puisque ce n’est pas la finalité du fichier que de porter atteinte aux libertés……Quand des juristes épousent complètement les préoccupations opérationnelles à courte vue des services du ministère de l’Intérieur, on peut tout craindre.