Programmation pluriannuelle de l’énergie: encore une occasion ratée

Quinquennats anormaux: expliquer le désastre, reconstruire l’avenir
9 décembre 2018
Dialogue social et crises sociales
23 décembre 2018

Programmation pluriannuelle de l’énergie: encore une occasion ratée

le 16 décembre 2018 

Le 27 novembre dernier, le Président de la République a présenté les grandes orientations de la future PPE, programmation pluriannuelle de l’énergie, en application de la loi de transition énergétique du 17 août 2015. A vrai dire, il ne s’agit encore que d’un projet tracé à grandes mailles, qui doit être soumis à divers avis et ne sera adopté définitivement que dans 6 mois environ.

Rappelons que la loi de transition énergétique de 2015 a défini des objectifs quantifiés de réduction des gaz à effet de serre (- 40 % à horizon 2030 et -75 % en 2050 par rapport à 1990) et de baisse de la consommation d’énergie (par rapport à 2012, -30 % pour les énergies fossiles en 2030 dans la consommation d’énergie primaire et -50 % de la consommation d’énergie finale en 2050). Ces engagements se sont enrichis, lors de la présentation du plan climat de juillet 2017, d’un objectif de neutralité carbone en 2050 : la France vise désormais l’atteinte à cet horizon de l’équilibre entre les émissions causées par les activités humaines et celles qui pourront être absorbées par les milieux naturels.

Parallèlement, des objectifs ont été définis dans le domaine de l’énergie : la loi indiquait que la part du nucléaire dans la production totale d’électricité devait passer à 50 % à horizon 2025 et que la part des énergies renouvelables devait atteindre en 2030 32 % de la consommation énergétique finale et 40 % de celle d’électricité. Une programmation pluriannuelle (PPE) devait dessiner le chemin permettant d’atteindre ces objectifs. Cependant, la première PPE de 2016-2018 n’a pas abordé la question du nucléaire, du fait de l’incapacité des pouvoirs publics à en décider, ce qui en faussait le sens. En outre, Nicolas Hulot, alors ministre de la transition énergétique, a annoncé fin 2017, sans doute avec bon sens, qu’il ne serait pas possible de respecter l’échéance de 2025 pour la baisse de l’énergie nucléaire compte tenu de l’impréparation du dossier. Il fallait donc trancher, dans la nouvelle PPE, sur l’équipement nucléaire futur et sur la définition d’une stratégie bas carbone permettant de respecter les ambitions du récent plan climat. Le projet le fait : il établit un plan ambitieux de substitution des ENR au nucléaire, dont les difficultés et le coût sont peut-être sous-estimées (I). Sur la stratégie bas carbone et la diminution de la consommation d’énergies fossiles et d’énergie tout court, il n’est pas crédible (II).

PPE 2018 : des orientations générales attendues et ambitieuses

 Selon les orientations de la nouvelle PPE, la France reporte à 2035 l’objectif d’une proportion de 50 % du nucléaire dans le mix électrique, ce qui implique la fermeture des 2 réacteurs de Fessenheim en 2020, au moins de 2 réacteurs supplémentaires d’ici 2030 et, au total, de 14 réacteurs d’ici 2035. Parallèlement la capacité installée d’énergies électriques renouvelables devrait augmenter de 50 % d’ici à 2023 et doubler d’ici à 2028 par rapport à 2017, la production de chaleur devrait augmenter de 50 % et la production de gaz renouvelable être multipliée par 5. Il serait alors possible d’atteindre les objectifs de 2015 (en 2030, 32% d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique finale et 40 % de celle d’électricité).

Ces objectifs sont-ils cohérents et atteignables ?

La décision prise s’appuie manifestement sur une étude de novembre 2017 publiée par RTE (Réseau de transport d’électricité), une filiale d’EDF. 5 scénarios de transition énergétique y figurent, qui reposent sur des « combinaisons » différentes d’énergie jugées possibles à échéance 2035. 2 de ces scénarios, pour éviter de pallier une baisse trop rapide du nucléaire par le recours à une nouvelle centrale thermique à combustibles fossiles, prévoient une réduction de 9 à 16 centrales nucléaires à horizon 2035, avec une part du nucléaire dans la fourniture d’électricité respectivement de 56 et de 46 %. Techniquement, la substitution entre nucléaire et ENR prévue dans le projet actuel de PPE paraît donc validée.

Cependant, sur le site du cabinet de conseil « Energie et développement », à la question de la faisabilité du projet de PPE, le consultant T. Laconde apporte une réponse plus nuancée (https://energie-developpement.blogspot.com/2018/11/trajectoires-enr-nucleaire-PPE-2018.html). Certes, le plan se tient mais des incertitudes pèsent sur sa réalisation : pour atteindre les objectifs fixés, la pente du développement des énergies renouvelables est impressionnante :  la puissance installée du parc éolien terrestre doublerait presque en 5 ans, avec un rythme de croissance identique les 5 ans suivants ; celle du parc offshore, aujourd’hui inexistant, devrait atteindre 2,4 GW en 2023 et 4,8 GW en 2028 ; quant au solaire photovoltaïque, il devrait être multiplié par 3. Il s’agit là, commente l’expert, d’objectifs ambitieux mais pas inatteignables : ils correspondent approximativement à l’effort fait en Allemagne lors de la dernière décennie, dans des conditions de consensus politique et social plus forts cependant.

Plus problématique encore est sans doute l’annonce de la fermeture de 4 ou 6 réacteurs d’ici 2030 et du solde (8 à 10) dans la période 2030-2035. Même si l’on peut identifier les réacteurs visés (ce sont les plus vieux), l’engagement est imprécis et la décision est remise aux successeurs des décideurs actuels. La concentration des fermetures au-delà de la PPE actuelle est révélatrice d’une indécision fondamentale sur la réduction du nucléaire, au demeurant à peine dissimulée.

Enfin, à supposer que les objectifs de développement des renouvelables soient tenus, la crainte de T. Laconde est qu’avec une fermeture tardive de réacteurs, la production d’électricité ne devienne excessive par rapport aux besoins : il faudrait construire la PPE sur des hypothèses de strict maintien de la consommation électrique et non sur son développement, thème qui n’est pas abordé dans la PPE.

Reste toutefois des questions d’acceptabilité et de coût, qui ne sont pas correctement  traitées

Le développement des énergies renouvelables pose des problèmes d’acceptabilité. Il faudrait se demander pourquoi il a été si lent en France jusqu’ici : les délais d’agrément des projets sont beaucoup plus longs que dans d’autres pays (la réglementation est lourde) et ils s’allongent, faute d’accord de la population. Il ne suffira donc pas d’afficher le maintien des objectifs de la loi. Il faudra tenir, face à une opinion locale plutôt hostile, sans pour autant altérer les droits des habitants. Dans les causes des retards, le débat public préparatoire à la PPE évoquait aussi l’insuffisance de l’ingénierie publique, la dispersion des acteurs, la faiblesse de l’expertise des banques et des financeurs…Est-on prêt ?

Enfin, le plan est particulièrement obscur sur les coûts. Il ne dit rien du coût de démantèlement des réacteurs, coût technique et coût social. Il évoque une augmentation des soutiens publics au développement des énergies renouvelables, avec sur la période, 20 à 30 Mds supplémentaires pour l’électricité et 7 à 9 milliards pour le gaz, soit une augmentation annuelle de 3 Mds par an qui ferait passer l’aide de l’Etat aux ENR de 5 à 8 Mds par an. Qui jugera de la bonne adaptation de cette somme ? Un rapport de la Cour des comptes sur les ENR (« Le soutien aux énergies renouvelables », avril 2018), mentionne le chiffre de 20 Mds par an d’aides publiques accordée en Allemagne…

Dans ce rapport, qui souligne surtout le retard pris par le développement des énergies renouvelables en France et l’excessive focalisation des aides publiques sur les ENR électriques, la Cour craint que ces aides ne soient appelées à beaucoup augmenter. Elle considère surtout qu’elles sont mal mesurées et, de ce fait, mal anticipées : elle demande que le chiffrage des dépenses futures intègre les coûts de stockage et de déstockage de cette énergie (au-delà de 30 % de pénétration des énergies renouvelables, ce coût, lié à l’intermittence de ces énergies, risque d’être élevé), de même qu’elle souhaite que soient intégrés les coûts de la nécessaire adaptation du réseau de transport d’électricité.

Sur l’augmentation du prix facturé au consommateur, l’actuelle PPE reste floue, voire fallacieuse : « Le prix de l’électricité restera parmi les plus compétitifs d’Europe, parce que les énergies renouvelables sont compétitives et parce que la fermeture des réacteurs nucléaires sera échelonnée » dit le dossier de presse. Or, même le prix actuel reste effectivement inférieur aux prix internationaux, il a augmenté de 35 % depuis 2008 du fait de l’augmentation des charges du parc nucléaire mais surtout du fait du soutien aux énergies renouvelables et de l’augmentation des coûts de réseaux nécessaires pour les utiliser. De plus, l’augmentation de ce prix pose des questions de justice sociale, comme on l’a bien compris depuis quelques semaines. Quel sera-t-il exactement demain, en intégrant toutes les charges nécessaires ? De même, affirmer, dans l’actuelle PPE, qu’il n’est pas exclu, pour des raisons de souveraineté, de doter le pays de nouveaux réacteurs EPR (le gouvernement a demandé à EDF de travailler sur un nouveau programme) imposerait une étude fiable du coût d’un tel investissement : or, une étude récente de l’Adème considère qu’avec un fort développement des énergies renouvelables, celui-ci serait structurellement déficitaire.

Comment décider d’un avenir sans connaître l’investissement nécessaire ?   Surtout avec la mention d’un développement du nucléaire, nécessairement coûteux, qui n’est pas intégré dans la PPE mais qui figure dans les discours ?

Le vrai défi : la baisse de la consommation d’énergie, en particulier des énergies fossiles.

 Une stratégie bas carbone mal engagée

La PPE ne mentionne qu’indirectement, sur un graphique qui rectifie le « budget carbone » des années 2015-2020[1], que la France n’a pas respecté ses engagements en ce domaine. Il insiste au contraire (!) sur l’exemplarité du pays, dont les émissions ont reculé depuis 1990 et qui est des pays européens aux émissions les plus faibles. Pour autant, celles-ci sont reparties à la hausse depuis 2016 et dépasseront encore le niveau prévu en 2018. La PPE ne contient aucune analyse du phénomène, qui tend pourtant à montrer que les réductions des années antérieures étaient moins dues aux efforts faits qu’à la conjoncture économique, ce qui est inquiétant pour l’avenir. La PPE prévoit simplement de rattraper l’écart ainsi créé. Pourtant, les signaux se multiplient pour démontrer que, dans les principaux secteurs émetteurs (logement, transports, énergie, agriculture), la France s’écarte de la stratégie bas carbone[2] : d’ores et déjà, dans le secteur industriel, le rattrapage par rapport aux objectifs nécessiterait de quadrupler le rythme d’amélioration de l’efficacité énergétique et de tripler le rythme de baisse de consommation d’énergies fossiles. Les experts le savent, le ministre le sait…

Des choix politiques timorés

La PPE avance, d’ici à 2023, l’objectif de la rénovation de 500 000 logements par an, le changement de 1 million de chaudières au fioul, la mise en circulation de 1,2 million de voitures électriques (4,8 millions en 2028), la distribution d’une aide au changement de véhicule à 1 million de personnes et, au final, la baisse des émissions de gaz à effet de serre de 15 % entre 2015 et 2023.  Au regard des moyens mobilisés pour y parvenir, la difficulté d’atteindre ces objectifs est évidente.

La PPE prévoit en effet de poursuivre la trajectoire prévue d’augmentation du prix du carbone, qui vient pourtant de prendre un coup de gourdin derrière la nuque avec le mouvement des gilets jaunes. De même, si, au niveau européen, il peut peut-être y avoir un espoir d’instituer un prix plancher du carbone, comme la PPE le souhaite, pourra-t-il désormais en être de même, au niveau national, pour l’ensemble des secteurs non soumis aux quotas européens, comme la PPE l’envisage ? A quelles conditions précises une telle réglementation serait-elle acceptable ?  Quant à l’incitation à la rénovation thermique des logements, la PPE s’appuie sur l’organisation d’un « négociation » avec les professionnels, sur l’extension du crédit d’impôt à la transition énergétique aux propriétaires-bailleurs, sur sa transformation en prime pour les ménages modestes, bref sur un quasi statu quo, même si une « bonification des aides » est évoquée, pour ces derniers, à horizon 2020, sans autres précisions. C’est pourtant dans ce secteur que le CESE, dans un bilan sévère de l’application de la loi de 2015[3], déplorait le faible dynamisme des rénovations et surtout leur insuffisante performance énergétique, souhaitant un nouveau plan plus énergique et un meilleur accompagnement des personnes, perdues devant la complexité des choix à opérer.  Pour la transition vers les véhicules électriques, la PPE s’appuie sur les aides actuelles, qui ne sont à l’évidence qu’un encouragement, et sur le contenu du projet de loi mobilité, dont les objectifs (plutôt sympathiques) sont rappelés : améliorer les réseaux des déplacements du quotidien, développer le covoiturage et l’innovation. Peut-on ainsi espérer décarboner les transports ?

L’affichage d’objectifs chiffrés perd de sa crédibilité s’il n’est pas accompagné de mesures elles aussi crédibles. Les questions essentielles restent donc à régler : quelles politiques définir pour atteindre les objectifs poursuivis ? comment les financer? Et comment faire accepter des mesures contraignantes (report modal, écotaxe, péage urbain, obligation de rénovation) ?

Dans un « Policy brief » récent sur la perception du changement climatique[4], l’OFCE-sciences-po décrit une population inquiète mais peu mobilisée. La note insiste sur la nécessité de rendre perceptible le changement climatique mais aussi de fixer des objectifs concrets et le plus possible locaux, qui permettent à chacun de s’investir et de se sentir responsable. Certes, le projet de PPE 2018 définit les choix de production énergétique future et c’est déjà ça. En revanche, il sonne creux sur la responsabilisation de la population : au contraire, il l’endort, voire la trompe, sans l’éclairer sur les efforts à faire. Encore une occasion manquée.

Pergama

 

 

 

 

 

 

[1] Dans le cadre de la stratégie bas carbone, des « budgets carbone » successifs définissent, pour une période de 5 ans, l’ampleur des émissions à ne pas dépasser pour atteindre les objectifs fixés. Ils sont censés baisser progressivement.

[2] Voir notamment Evaluation de l’état d’avancement de la stratégie bas carbone, IDDRI (développement durable et relations internationales) Sciences-po, octobre 2018

[3] Comment accélérer la transition énergétique, Conseil économique, social et environnemental, février 2018

[4] Le changement climatique en France : croyances, comportements, responsabilités, OFCE, décembre 2018