Rétablir l’ISF?

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Rétablir l’ISF?

A deux reprises, dans son blog en octobre 2018 et dans le journal Le Monde du 8 décembre dernier (https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/08/thomas-piketty-gilets-jaunes-et-justice-fiscale_5394443_3232.html), l’économiste Thomas Piketty plaide pour le rétablissement de l’impôt sur la fortune, au nom de la justice fiscale d’abord, au nom aussi d’une sorte de justice morale : la suppression de l’ISF témoigne, selon lui, d’un empressement condamnable envers les riches de la part d’un Président qui, chérissant les « premiers de cordée », humilierait ainsi les plus modestes. T. Piketty s’inscrit en faux contre l’idée que l’ISF aurait créé une hémorragie des patrimoines que sa suppression permettrait de rapatrier. Il évalue le manque à gagner pour l’Etat à 5 milliards, sur la base de la différence entre les recettes qui auraient pu être atteintes si le contrôle des contribuables assujettis (qu’il juge insuffisant) avait été effectif (6 Mds) et celles tirées de l’impôt sur la fortune immobilière qui l’a remplacé (1Mds). Enfin, il considère que cette suppression s’est effectuée aux dépens de la lutte contre le réchauffement climatique puisque l’augmentation de la taxe carbone était à l’évidence, selon lui, destinée à compenser le trou laissé dans les recettes budgétaires par la suppression de l’ISF et que cette taxe a dû être supprimée faute que son produit ait été consacré à l’accompagnement social de la mesure.

Il semble bien que T. Piketty ait raison sur un point : l’exil fiscal serait loin d’être massif (selon une étude de l’OFCE de 2016), ce qui ôte un argument de poids aux tenants de la suppression de l’ISF. Il est moins convaincant sur d’autres points : passons sur les chiffres, puisque le rendement de l’ISF était de 4 Mds et que la perte pour l’Etat est sans doute, compte tenu du rendement supposé de l’IFI, de 3 Mds. Passons aussi sur le ton (il met mal à l’aise, on n’a pas besoin de détester un Président pour dénoncer sa politique) et sur l’argument d’une mesure anti climatique, qui relève d’une reconstruction artificielle. Celui de la justice fiscale fait davantage mouche, même s’il serait préférable d’en parler calmement : l’impôt doit rétablir l’équité mais ne fera pas disparaître les inégalités sociales ni les humiliations subies par certaines catégories. La fiscalité peut soulever l’émotion mais elle impose une réflexion plus froide.

Un historien, Hervé Joly, répond à T. Piketty le 12 décembre dans les colonnes du Monde. Il trouve manifestement que la vindicte, voire la rancune sociale, est excessive. Il rappelle que, dans son ouvrage Le capital, T. Piketty propose de taxer la fortune à un taux de 10 %, qui serait confiscatoire et, en quelques années, ferait disparaître une fortune taxée mais non productrice de revenus…  Surtout, il s’interroge sur le sens économique d’un tel impôt. Imposer une assiette, dit-il, suppose qu’elle rapporte quelque chose. Un impôt sur le patrimoine conduit son détenteur à chercher à le rentabiliser : s’il s’agit d’immeubles, c’est facile. S’il s’agit de placements financiers, la personne va chercher à en tirer le maximum pour couvrir l’impôt et se procurer en outre un revenu proportionné, ce qui n’est pas particulièrement opportun si elle a mis des parts dans une entreprise.  Un impôt sur la fortune a au final peu de sens économique et c’est sans doute pour cela que la plupart des pays (sauf, il est vrai, la Suisse, la Norvège et l’Espagne) y ont renoncé. Il suggère, pour lutter fiscalement contre les inégalités sociales, de renforcer plutôt l’impôt sur les successions ou les donations, ce qui présenterait l’avantage de lutter contre « la rente » et l’héritage. Au final, entre l’économiste et l’historien, c’est peut-être l’historien qui a raison.