Faire condamner l’Etat pour inaction face au changement climatique? Pas gagné d’avance…

Grandes aires urbaines : toujours démographiquement dominantes
30 décembre 2018
Les parents, source de bien-être
6 janvier 2019

Faire condamner l’Etat pour inaction face au changement climatique? Pas gagné d’avance…

4 ONG environnementales, Oxfam, Notre affaire à tous, Greenpeace France et la Fondation pour la nature et l’homme ont annoncé vouloir poursuivre l’Etat devant la justice administrative pour inaction face au changement climatique et non-respect de ses engagements internationaux en ce domaine, sauf à ce que celui-ci fasse la démonstration, dans les deux mois, qu’il a apporté une réponse appropriée. Les ONG ont adressé au gouvernement une requête d’environ 40 pages qui dresse en réalité un acte d’accusation en trois parties : https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2018/12/2018-12-17-Demande-pr%C3%A9alable.pdf

La première évoque l’urgence climatique : elle rappelle d’abord les conclusions du dernier rapport du GIEC (octobre 2018) qui souligne la dangerosité d’un évolution moyenne de la température au-dessus de + 1,5 °. Sont évoquées les conséquences en France du dérèglement climatique : augmentation des températures depuis 1900, fonte des glaciers (ceux des Alpes ont perdu 25 % de leur superficie en 12 ans), affaiblissement de la biodiversité (les exemples cités sont la Méditerranée,  l’Aquitaine, la Guyane), dégradation de la qualité de l’air (le Conseil d’Etat a, en juillet 2017, enjoint à l’Etat de prendre les mesures nécessaires pour respecter les valeurs limites de certains polluants fixées par une directive européenne de 2008 mais celles-ci continuent à être dépassées), multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes, développement de certaines pathologies.

La deuxième partie rappelle les obligations de l’Etat en vertu de la Constitution (notamment de la Charte de l’environnement qui, dans certains articles, a valeur normative) et de ses nombreux engagements internationaux, parfois chiffrés (engagement de réduction d’émission des gaz à effet de serre et engagements dans le domaine de la production d’énergie. Le « mémoire » évoque aussi un principe général du droit (qui n’est pas, à ce jour, établi) selon lequel l’Etat aurait obligation de lutter contre le changement climatique. Le bilan établi en contrepartie est net : à la date de 2017, les engagements pris ne sont pas tenus, comme en témoignent les différents documents officiels (révision de la Stratégie bas carbone, rapport annuel du Commissariat général au développement durable sur les énergies renouvelables, données d’Eurostat sur la consommation d’énergie) ou les études des ONG (Etude 2018 de l’IDDRI sur l’évaluation de l’état d’avancement de la stratégie bas carbone en France). Les investissements sont insuffisants dans tous les domaines (logements, transports…) et des politiques néfastes au climat continuent d’être menées. Le plan national d’adaptation au changement climatique, attendu depuis 1992 et tardivement adopté (octobre 2018) ne comporte que des objectifs très généraux et repousse à plus tard les actions urgentes à engager.

La troisième partie établit un lien entre ces carences de l’action publique et la dégradation du climat et enjoint à l’Etat de prendre les mesures nécessaires pour assumer ses obligations. Bien que le préjudice ne soit pas chiffré, le dossier demande réparation.

L’Etat peut-il être condamné sur ce fondement ? Il a déjà été condamné pour carence fautive dans le domaine, par exemple, de la qualité de l’air. Il peut donc l’être encore, du moins en principe. Mais il peut plaider que les engagements affichés, même insérés dans la loi, étaient un engagement volontaire, moins contraignant de ce fait que des objectifs chiffrés imposés par un texte européen ; qu’il n’a pu les atteindre pour des raisons diverses dont il ne porte pas l’entière responsabilité : l’ampleur des accusations menées contre lui et la complexité ou le coût des réponses qui auraient dû y être apportées peuvent d’ailleurs conduire le juge à décider qu’il n’est pas en mesure de juger de la bonne adaptation d’une politique d’ensemble à des questions multiformes ; enfin l’Etat peut plaider que, s’agissant du dérèglement climatique, les conséquences constatées en France ne peuvent être la seule résultante des politiques françaises (elles dépassent les frontières), ce qui brouille le lien de causalité avec les choix de politique française. Reste qu’une telle démarche met en lumière la faiblesse, réelle et avérée, de l’action de l’Etat. Même si elle prend une forme facile (pétition en ligne, absence de rappel des contraintes financières et politiques que rencontrerait la mise en œuvre des choix évoqués), la démarche laissera des traces, parce qu’elle dit publiquement une vérité dérangeante : en un domaine capital pour notre avenir, l’Etat ne s’engage pas.