Indemnités pour licenciement abusif : l’imbroglio juridique

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Indemnités pour licenciement abusif : l’imbroglio juridique

L’ordonnance travail du 22 septembre 2017 a modifié l’article L1235-3 qui dispose désormais que, en cas de licenciement abusif (sans cause réelle et sérieuse), l’indemnité fixée par le juge doit s’inscrire dans un barème comportant un minimum et un maximum qui varient selon l’ancienneté du salarié et la taille de l’entreprise.  L’objectif des ordonnances était d’améliorer, pour les entreprises, surtout les PME, la « prévisibilité » du coût d’un licenciement et le gouvernement avait expliqué qu’il avait construit le barème sur le fondement des indemnités accordés en moyenne : le barème n’aurait eu pour objet que d’éviter les décisions aberrantes.

Trois conseils de prud’hommes ont pourtant récemment accordé à des salariés abusivement licenciés des indemnités supérieures au barème, en se fondant sur l’article 10 de la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (selon lequel les tribunaux sont, dans ce cas, « habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou tout autre forme de réparation considérée comme appropriée ») qui laisse toute liberté aux juges pour adapter le montant de l’indemnité au cas d’espèce. Les Conseils de prud’hommes concernés s’appuient sur l’article 55 de la Constitution, selon lequel les accords ratifiés ont une autorité supérieure à celle des lois.

Sur le fond, la décision de ne pas respecter la loi apparaît de bon sens. Les indemnités concernées ne sont pas des indemnités de licenciement mais des dommages et intérêts pour préjudice. Si un juge est contraint d’évaluer un préjudice sur le fondement d’un barème, à quoi sert-il, quand bien même ce barème prévoirait un minimum et un maximum et tiendrait compte d’un des éléments du préjudice, l’ancienneté du salarié ? En l’occurrence, certaines des décisions prises augmentaient les indemnités en tenant compte de l’âge du salarié et de ses difficultés de reconversion, ce qui correspond, de fait, à l’esprit de la convention de l’OIT.

Cependant, les prud’hommes qui en ont décidé ainsi mettent notre droit à l’épreuve. Dans sa décision 2018-761 du 21 mars 2018, le Conseil constitutionnel a en effet validé sans états d’âme le nouvel article L1235-3 du Code du travail, rejetant l’argument de la méconnaissance du principe d’égalité dès lors que le législateur ne prend en compte que le critère d’ancienneté comme celui selon lequel la loi porterait une atteinte disproportionnée au droit constitutionnel d’être justement indemnisé pour préjudice, d’autant que le plafond joue en cas de cumul entre l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’indemnité due si, en plus, l’employeur n’ a pas respecté la procédure de licenciement. L’article en cause a donc été considéré comme conforme à la constitution.

Or, parallèlement, la Cour de cassation s’appuie sur l’article 55 de la Constitution pour faire prévaloir les conventions internationales sur le droit interne et a régulièrement considéré divers articles de conventions internationales comme « directement applicables », dont certains relevant de la conventions 158 de l’OIT. Elle peut donc tout à fait considérer, si elle en est saisie, que l’ordonnance contrevient à l’article 10 de cette convention, que celui-ci prévaut sur elle et qu’il est directement applicable. Par principe, le Conseil constitutionnel se refuse à utiliser l’article 55 de la Constitution, par une argutie étonnante selon laquelle la Constitution prévaut sur tout, y compris les traités, et qu’il lui appartient d’interpréter celle-ci. Une telle position de principe peut (et c’est peut-être le cas en l’occurrence) conduire à ce que soient validés des textes que la Cour de cassation écartera peut-être plus tard au nom de la Constitution.

La situation se complique cependant encore davantage : dans les litiges qui impliquent les pouvoirs publics, le Conseil d’Etat utilise le même raisonnement que la Cour de cassation et prend en compte à la fois la supériorité des traités et conventions et, dans certains cas, leur applicabilité directe. Il n’ignore donc pas la supériorité des traités. Or, il s’est prononcé sur le projet d’article L1235-3, dans un référé examiné le 7 décembre 2017 (n° 415243) contre le projet d’ordonnance. Il a alors écarté l’argument selon lequel ce texte serait contraire à l’article 10 de la convention. Selon lui, si l’on tient compte de l’interprétation du texte faite par le Comité européen des droits sociaux, rien n’interdit d’utiliser un plafond de 24 mois, d’autant que tous les licenciements ne relèvent pas du plafonnement (ceux qui violent gravement la loi en sont exemptés). Le Conseil d’Etat a donc à l’époque validé le projet. Mais quand on se reporte à la décision du Comité des droits sociaux, on a bien le sentiment que le plafonnement n’est pas considéré comme légal lorsque la personne n’a pas d’autres voies pour faire jouer un indemnisation complète du préjudice…La Cour de cassation aura, dans un mois, dans un an, le dernier mot. Ah le droit…