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Santé : peut-on réformer sans tordre le bras?

Le projet de loi d’organisation et de transformation du système de santé de février 2019 a été publié. Il contient plusieurs dispositions annoncées par le Plan santé 2022 de l’automne dernier:

Il prévoit de réviser la hiérarchie des établissements de santé, en attribuant le label d’hôpitaux de proximité sans doute à 500 ou 600 établissements destinés aux soins courants (médecine, gériatrie), qui n’auront pas d’activité de chirurgie ni d’obstétrique : l’objectif est de contourner les blocages qui empêchent le regroupement de certaines activités médicales dans des centres hospitaliers importants ; le projet de loi renvoie à une ordonnance pour préciser les critères de ce label, la mission et les règles de fonctionnement de ces établissements ;

Il supprime le numerus clausus des médecins (inopérant désormais compte tenu du nombre de médecins formés ailleurs en Europe). Chaque université fixera désormais ses capacités d’accueil. Les études médicales sont réformées, avec notamment la suppression des « épreuves classantes » d’entrée dans le 3e cycle, pour tenir davantage compte de l’ensemble des compétences acquises précédemment ;

Pour mieux coordonner les soins ambulatoires sur un territoire donné, le projet de loi habilite le gouvernement à intervenir par ordonnances pour faciliter le développement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui regroupe des médecins de ville sur le fondement d’un projet de santé commun, et prévoir leur financement : il pourra ainsi intervenir en cas d’échec des négociations conventionnelles en cours sur ce thème. Pour coordonner soins ambulatoires et établissements de santé, le projet crée un « Projet territorial de santé » arrêté en commun entre les CPTS et les établissements de santé du même territoire ; l’objet est de faciliter les « parcours de soins » des malades ;

Le projet de loi habilite par ordonnances le gouvernement à modifier le régime d’autorisation des activités de soins ainsi que les conditions d’emploi et de rémunération des assistants médicaux qui devraient être placés en priorité auprès des médecins exerçant dans les zones sous-dotées, pour prendre en charge des tâches de secrétariat et d’aide aux soins et libérer du temps médical ;

L’Institut des données de santé est remplacé par une « Plate-forme des données de santé » qui élargit le champ des données recueillies. Un espace numérique de santé doit être créé pour chaque usager et la loi définit les activités de « télésoin » des pharmaciens et auxiliaires médicaux.

Sur un tel projet, les commentaires ne peuvent qu’être ambivalents : certaines dispositions (suppression du numerus clausus, refonte des modalités de la sélection opérée par les épreuves classantes, dispositions, non mentionnées ci-dessus, de régularisation au cas par cas des praticiens formés en dehors de l’Union européenne) sont de bon sens. D’autres (le reclassement de certains établissements de santé en établissements de proximité) sont courageuses : elles vont à l’inverse de la demande dominante de maintenir partout des activités de soins quoi qu’il en coûte, même si une partie de la population se détourne d’établissements où, faute que les postes soient pourvus, les soins sont assurés par des intermittents, remplaçants ou médecins étrangers de très inégale qualité. Il faudra trouver pour ces établissements une formule de nature à rassurer la population, avec un interlocuteur qui sache orienter en cas d’urgence par exemple.

Sur les autres dispositions du projet, ce qui frappe, c’est d’abord l’empilement de « groupements » et « communautés » de toutes sortes avec une quasi-obligation de création même lorsque les partenaires pressentis sont peu allants : aux groupements hospitaliers de territoires et aux « équipes de soins primaires » (dont les maisons de santé représentaient un cas particulier), la loi du 26 avril 2016 avait ajouté des « communautés professionnelles territoriales de santé » regroupant des prestataires de soins libéraux et censées répondre à des besoins prioritaires mal assumés (accès aux soins, projet de prévention…). Le projet « n’a pas pris » : les médecins libéraux ont peu de temps pour travailler en commun et, à vrai dire, n’en ressentent pas l’envie. La disposition revient aujourd’hui, avec l’espoir que, de l’alliance des contraires (un exercice libéral, largement solitaire d’un côté, la pression des questions de santé publique de l’autre), naitront des solutions collaboratives. A cela s’ajoute le « projet territorial de santé » entre médecins de ville et établissements de santé, qui vient lui-même s’ajouter aux « projets de santé » des uns et des autres… Peut-être vaudrait-il mieux modifier directement les missions des acteurs que d’empiler plans et structures de collaboration ?  Enfin, le recours aux ordonnances est problématique : l’on comprend bien le désir d’aller vite et de ne pas supporter les milliers d’amendements verbeux sur l’évolution du système de santé. Mais prévoir par ordonnance que le gouvernement interviendra en cas d’échec des négociations conventionnelles sur le fonctionnement des CPTS, n’est-ce pas reconnaître que la convention médicale entre médecins et assurance maladie est un mauvais outil de réforme du système de soins ? Le gouvernement veut réformer mais sans modifier la logique institutionnelle actuelle, qui pourtant ne s’y prête pas…Il la contourne : est-ce finalement si habile ?