Réforme des enquêtes publiques, réduction des études d’impact: altération du droit de l’environnement ou simplification bienvenue?

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Réforme des enquêtes publiques, réduction des études d’impact: altération du droit de l’environnement ou simplification bienvenue?

Dans une tribune du 18 février dernier, Corinne Lepage, ancienne ministre de l’environnement, pousse un cri d’alarme sur la « régression démocratique » que constituerait la réforme des enquêtes publiques, qui programmerait leur disparition prochaine. De même, elle s’insurge contre la réduction du champ de l’étude d’impact des installations classées. Elle y voit une « déconstruction systématique de la démocratie environnementale et du droit de l’environnement lui-même », particulièrement malvenue dans un contexte où la population réclame une amélioration de la démocratie participative.

A-t-elle raison ? Quelles sont les réformes évoquées ?  Accrochons-nous, c’est technique.

Pour la dématérialisation de l’enquête publique : l’ordonnance du 3 aout 2016 a prévu, pour démocratiser le dialogue environnemental jugé insuffisant, une procédure de concertation préalable pour les projets soumis à évaluation et autorisation environnementale et donc à enquête publique. L’objectif est que le public se prononce aussi en amont de l’élaboration complète du projet, avant qu’il ne soit « bouclé ». Cette procédure se déroule sous l’égide d’un garant dont la mission est de dresser un bilan des remarques et des évolutions suggérées par le public du projet considéré.

La loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance (une loi devrait interdire au service de com de Matignon de décider du titre des lois) prévoit la possibilité de mettre en place une expérimentation sur l’organisation des enquêtes publiques qui portent sur les projets d’installation classées et les divers « installations, ouvrages, travaux et activités ». L’enquête aurait lieu alors par voie électronique, à condition que ces projets aient été soumis à la concertation préalable avec garant mentionnée dans le paragraphe ci-dessus. Cette procédure est exclue pour les projets complexes soumis à plusieurs types d’autorisation. Le public est averti par un affichage dans les mairies et par des avis publiés dans des journaux et le dossier du projet est mis à disposition par voie électronique. Le décret 2018-1217 du 14 décembre 2018 met en place cette expérimentation dans deux régions, pour 3 ans, avec engagement que le bilan sera transmis au Parlement.

C’est cette dématérialisation que Corinne Lepage dénonce. De fait, l’enquête évite alors les réunions publiques et les Commissaires enquêteurs, qui animaient ce débat public, disparaissent. Pour autant, leur rôle (recueillir les informations et donner leur avis personnel), était souvent critiqué. Retraités du ministère de l’équipement, leur lecture des observations et leur avis étaient souvent contestés : ce n’est pas une corporation ouverte aux innovations. Faut-il vraiment les regretter ?

Le seul point vraiment chiffonnant de l’expérimentation est que c’est l’autorité en charge de la décision qui reçoit les observations du public et en fait la synthèse, qu’il publie : or, l’on connaît la propension des autorités publiques à lire les avis comme ça les arrange.

Conclusion : les appréciations de Corinne Lepage sur « la déconstruction de la démocratie environnementale » sont excessives, d’autant que le public s’exprime en amont. La dématérialisation elle-même peut inquiéter (la fracture numérique reste une réalité) mais elle a des avantages : l’on sait que seules certaines catégories de la population (des retraités ou des militants) sont présentes aux réunions d’enquête publique, ce public n’étant pas toujours représentatif. Il est vrai qu’il n’est pour autant pas certain que la dématérialisation renforce l’intérêt des habitants, qui est très inégal. En tout état de cause, les conclusions de l’expérimentation, qui va durer 3 ans, devront être suivies de près et il faut au moins demander que ce soit un garant indépendant qui établisse la synthèse des avis transmis.

2° Par ailleurs, il est exact que toute une série de décrets ou de projets de décrets modifient la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement. Des activités passent ainsi du régime de l’autorisation au régime de la déclaration, qui ne nécessite pas d’étude d’impact et, de ce fait, ne sont plus soumises à enquête publique. On peut, dans ces conditions, soupçonner une volonté de dérégulation sous couleur de simplification. Cela dit, notons que ces « déclassements » ont commencé depuis plusieurs années et relèvent d’une politique assumée du ministère de l’environnement, y compris sous le mandat présidentiel précédent. Dans une interview de janvier 2014 au site « Actu-environnement », le responsable de l’époque du service des risques technologiques du Ministère revendiquait l’intérêt de ces mesures et avertissait qu’elles allaient continuer : il ne se passe rien, disait-il, dans certaines enquêtes publiques, qui sont inutiles. De plus la suppression des études d’impact n’a pas, selon lui, de conséquences sur la protection de l’environnement : ce n’est pas elle qui joue ce rôle, disait-il, ce sont les prescriptions imposées aux activités. Autrement dit, il faut soumettre à enquête publique ce qui mérite de l’être mais pas plus. Conclusion :  il faudrait regarder au cas par cas les décisions qui réduisent les enquêtes publiques pour savoir si elles sont ou non pernicieuses.

Au final, l’alerte de Corinne Lepage n’est pas inutile mais les termes utilisés sont disproportionnés. Il faut appeler à la vigilance mais pas davantage.