Responsables publics : pas de démocratie participative chez moi

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Responsables publics : pas de démocratie participative chez moi

Dans les années 2010, la médiocrité des résultats de la politique de la ville a conduit les pouvoirs publics à s’interroger sur les causes : les responsabilités ont été imputées, à juste titre pour une part, à la dilution des moyens (les quartiers aidés étaient trop nombreux), et à l’insuffisance d’intégration des quartiers dans les politiques d’agglomération, carences réparées dans la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine. Cependant, le diagnostic préalable à la loi a eu une autre dimension : des sociologues avaient, depuis quelques années, mis en avant la notion d’empowerment, venue des Etats-Unis, qui recouvre la volonté de rendre aux personnes du pouvoir sur leur propre vie ou, comme le disait le ministre de la Ville en 2013, « d’enclencher une dynamique citoyenne ». De fait, jusqu’alors, la politique appliquée aux « quartiers sensibles » obéissait à des règles venues d’en haut et les décisions concrètes étaient arrêtées par les élus et les techniciens, après une concertation plutôt formelle. En juillet 2013, la sociologue Marie-Hélène Bacqué a remis un rapport au ministre, « Pour une réforme radicale de la politique de la ville », où elle plaide pour une participation active des habitants afin qu’ils s’approprient les projets qui les concernent. L’article 7 de la loi de 2014 institue donc des « Conseils citoyens » composé d’habitants tirés au sort et de représentants des associations locales. Ceux-ci doivent être associés à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des « contrats de ville », qui réunissent Etat et collectivités territoriales pour définir les actions à mener contre les difficultés des quartiers. Les Conseils doivent également être associés aux projets de renouvellement urbain. Les commentaires ont été dubitatifs : comment des pouvoirs publics habitués à un modèle de prise de décision en cercle restreint, reposant sur le primat de la légitimité par l’élection ou par la compétence technique, allaient-ils s’adapter ? Les Conseils parviendraient-ils à acquérir l’indépendance promise par la loi ? A s’affirmer face aux élus et aux experts ? Après un rapport sénatorial («  Politique de la ville, une politique bien engagée mais fragilisée par un manque de moyens », Rapport d’information, Sénat, juillet 2017) qui estime pudiquement que « le rôle du Conseil citoyen reste largement à conforter », un rapport de la Commission nationale du débat public établi à la demande du Ministre en charge de la cohésion des territoires (« Démocratie participative et quartiers prioritaires, réinvestir l’ambition politique des conseils citoyens », CNDP, janvier 2019) est plus sévère : les Conseils manquent de moyens, sont rarement formés (et, contrairement à ce qui était prévu, pas en commun avec les habitants, les élus, les agents des collectivités, ce qui aurait permis de forger une communauté de décision) et sont souvent dans la dépendance des autorités publiques. Celles-ci ne voient dans leur consultation qu’un complément à leurs propres décisions, ne les associant au demeurant qu’aux projets de faible enjeu. Le rapport conclut que l’intégration des Conseils citoyens aux contrats de ville n’est pas effective et qu’elle l’est encore moins s’agissant des décisions relatives au renouvellement urbain. Les Conseils sont des « spectateurs » et non des acteurs. Les recommandations du rapport portent sur le respect des règles de tirage au sort, la reconnaissance d’une forme juridique nouvelle aux Conseils, l’attribution obligatoire de moyens financiers et l’obligation d’une validation des documents cadres par la signature de tous les membres du Conseil. La contrainte permettra-t-elle de changer les mentalités ? En tout cas, la démocratie participative et l’acceptation de contre-pouvoirs ne sont guère dans la culture des décideurs publics, c’est clair.