Lancement du RIP? Ou pantalonnade déshonorante?

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Lancement du RIP? Ou pantalonnade déshonorante?

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé, le 9 mai 2019, en application de l’article 11 de la Constitution (qui traite notamment du RIP, référendum d’initiative partagé) et de la loi organique sur le Conseil constitutionnel, sur la proposition de loi portée par un cinquième des parlementaires, qui prévoit que « L’aménagement, l’exploitation et le développement des aérodromes de Paris-Charles de Gaulle, Paris-Orly et Paris-Le Bourget revêtent le caractère d’un service public » au sens du préambule de la Constitution de 1946, selon lequel « Tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ». Le Conseil, se fondant sur une lecture littérale de l’article 11, selon lequel la proposition de loi « ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an », a validé celle-ci : elle porte bien sur la politique économique de la Nation et les services publics qui y contribuent, comme les textes l’exigent ; elle n’abroge pas une loi promulguée depuis moins d’un an (elle n’abroge au demeurant rien du tout puisque le texte que la proposition de loi contredit n’a pas de valeur juridique, c’est un projet de loi non promulgué) ;  l’aménagement et l’exploitation des aéroports ne relèvent pas d’un service public au sens de la Constitution mais prévoir qu’ils acquièrent ce statut par la loi ne relève pas, selon le Conseil, d’une erreur manifeste d’appréciation. Il est donc désormais possible d’ouvrir la période de recueil des soutiens de la proposition (4,7 millions d’électeurs) sur une période de 9 mois, ce qui permettra la transmission au Parlement de la proposition de loi. Si le Parlement (les deux chambres) ne l’examine pas dans un certain délai (6 mois), elle sera soumise au peuple français par référendum.

En droit, il est difficile de récuser la décision du Conseil constitutionnel, même si elle contrevient sans doute à l’esprit du texte constitutionnel, sur 2 points.

En prévoyant que la procédure conduisant éventuellement au déclenchement du RIP ne pouvait porter sur une loi promulguée depuis moins d’un an, la Constitution a entendu protéger les lois récemment adoptées par le Parlement, pour ne pas permettre aux parlementaires « vaincus » de provoquer une 3e mi-temps devant le peuple : c’est pourtant exactement le scénario qui se déroule, les parlementaires de l’opposition ayant profité du délai qui sépare une loi votée de sa promulgation, sachant que ce délai s’explique notamment par la soumission de la loi votée au Conseil constitutionnel. Enfin, la Constitution dit que c’est parce qu’une entreprise acquiert un caractère de service public qu’elle doit devenir la propriété de l’Etat. Le Conseil reconnaît que les aéroports de Paris ne répondent pas à cette définition. Pour autant, selon lui, une simple loi peut leur donner ce caractère. Dans le passé, c’est vrai, les frontières du service public ont été définies de manière très élastique. Pour autant, l’on pourrait lire la Constitution comme réservant la propriété publique aux services qui sont, de fait, identifiés, de manière évidente, comme des services publics. Or, les aéroports visés n’ont pas, de manière manifeste, un caractère de service public national :  ils ne poursuivent pas prioritairement un intérêt public, en dehors de la recherche de profit, ce qui imposerait que l’Etat les possède intégralement.

En opportunité, peut-on regretter le report ou l’abandon de la cession par l’Etat d’une part de ses actifs ? Les avis sont partagés : d’un côté, l’Etat n’a sans doute pas vocation à gérer de tels établissements dont la rentabilité est liée à l’offre de dessertes spécifiques ou à leur vocation de « hub », nœud de correspondances pour les compagnies. De l’autre, les Français ont souvent une conception patrimoniale des entreprises dans lesquelles l’Etat a des intérêts et répugnent à voir celui-ci s’en séparer. De plus, les « privatisations » (si l’on met sous ce terme les mises en concession ou les cessions d’actions) font peur parce que l’Etat est soupçonnable, soit d’incompétence face à un secteur privé bien plus aguerri aux discussions financières, soit de proximité trop prononcée avec les intérêts privés. Bref, le débat divise et il n’est pas si facile de le trancher…

L’important ici est ailleurs : les parlementaires et les politiques qui ont enclenché le dispositif de RIP en soutenant la proposition de loi mentionnée ci-dessus vont alimenter le rejet dont ils font l’objet dans la population. Ce n’est pas seulement un coup politique pour déstabiliser un adversaire, c’est une pantalonnade. Une grande part des parlementaires de droite qui soutiennent cette proposition ont pleinement accepté les privatisations des années 2000 ainsi que le programme du candidat LR à l’élection présidentielle, François Fillon, qui proposait de reprendre le mouvement. La plupart des parlementaires de gauche ont quant à eux, sous François Hollande, adhéré à la vente de parts de l’Etat des aéroports de Toulouse (à un consortium chinois), de Lyon (à Vinci) et de Nice (consortium italien) et approuvé la cession d’actions d’Aéroports de Paris à Vinci et Prédica en 2013. Surtout, les parlementaires ont tous demandé, légitimement au demeurant, à ce que les éventuelles évolutions de la démocratie participative s’articulent avec les décisions de la démocratie représentative, pour ne pas créer des instabilités juridiques et paraître jouer le peuple contre le Parlement. Voici qu’une part d’entre eux s’amuse précisément à ridiculiser une loi qui vient d’être votée. Comment faire confiance à des élus qui, par opportunisme politicien, bafouent leurs propres règles ?