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Union européenne : la politique commerciale et de concurrence en débat

Après le refus de la Commission, en février dernier, d’autoriser la fusion entre Alstom et Siemens, la politique de la concurrence menée par l’Union a été critiquée pour empêcher, sur le marché mondial, l’émergence de « champions européens » à même de concurrencer les géants américains et chinois. Une note du Conseil d’analyse économique de mai 2019 plaide contre cette analyse.  La note souligne que, sur le marché intérieur, la politique de l’Union a obtenu des résultats dans le domaine des prix et du pouvoir d’achat comme en ce qui concerne la productivité et l’investissement. La comparaison avec les Etats-Unis, où, à cause de concentrations excessives, le partage de la valeur ajoutée se déforme en faveur du profit depuis 2000 tandis que ce phénomène n’apparaît pas en Europe, en est l’illustration. La politique de l’Union sur ce point n’a pas nui à la productivité ni à l’investissement, alors qu’aux Etats-Unis, l’augmentation des profits a été distribué aux actionnaires et n’a pas profité à l’investissement. Les propositions du CAE tendent, pour autant, à améliorer le fonctionnement de la politique de concurrence dans l’Union, notamment parce qu’elle est trop lente à analyser les situations et ne peut pas agir ex post.

L’analyse doit prendre en compte également les réalités internationales. En ce domaine, le CAE ne plaide pas pour une réforme de la politique de la concurrence mais pour une modification de la politique commerciale : l’Europe, en n’imposant pas avec une force suffisante l’application des règles et la défense de ses intérêts, se fragilise effectivement. La nécessaire réforme de l’OMC pour que cette institution prenne mieux en compte les subventions aux industries et l’impact des aides non tarifaires sera longue : dans l’attente, l’Union doit faire appliquer les règles de réciprocité d’accès aux marchés et adopter une attitude plus offensive quand elle constate des manquements. Elle doit utiliser de manière plus déterminée les instruments à sa disposition pour lutter contre les concurrences déloyales.

Un Policy brief de l’OFCE aborde, le 14 mai, le même sujet, avec un titre inutilement racoleur (« L’industrie a-t-elle besoin de l’Union européenne ? »). Les conclusions en sont plus confuses, parce que le document regroupe plusieurs interventions. Certaines rejoignent la note du CAE sur la défense de la politique de la concurrence dans l’Union, qui contribue à sauvegarder un modèle économique et social différent. Dans cet ensemble, la contribution d’Elie Cohen ajoute une note pessimiste, qui porte, il est vrai, plus sur l’incapacité européenne de mener une « vraie » politique industrielle que sur la rénovation de sa politique commerciale. Il souligne que l’Europe a une capacité normative mais que ses modes de décision ne sont pas adaptés à la définition d’une stratégie industrielle, qui suppose des choix de spécialisation et la mise au service de cette stratégie des outils macroéconomiques nécessaires, crédit et politique commerciale. Il reste à se demander si cette faiblesse de l’Union en matière de stratégie industrielle jouerait également si elle décidait d’engager une politique commerciale plus agressive. C’est à craindre et c’est ce qui rend un peu sceptique en lisant la note, très rationnelle mais peut-être insuffisamment réaliste, du CAE. Si l’Europe ne peut pas ou ne veut pas construire des champions mondiaux qui écrasent la concurrence, il ne lui reste qu’à tenter de faire appliquer par tous les règles d’une concurrence loyale, serait-ce au prix de sanctions et de négociations dures. Mais est-elle suffisamment unie, réactive, dynamique pour imposer cette ligne à ses propres membres, alors que certains d’entre eux préfèrent déjà défendre seuls leurs propres intérêts commerciaux ? L’Europe n’a pas de mal à adopter une politique de la concurrence en interne : la concurrence repose sur des normes, paysage qui lui est familier. Aura-t-elle l’énergie et l’unité pour se battre dans une jungle mondiale où le respect des règles n’est pas la priorité ? C’est plus que douteux.