L’Union européenne, à l’avant-garde de l’écologie?

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L’Union européenne, à l’avant-garde de l’écologie?

Avec le renforcement du groupe des écologistes au Parlement européen, lié pour l’essentiel aux bons résultats des partis verts en France et en Allemagne, le leader français d’Europe écologie les verts (EELV), Yannick Jadot, a déclaré que l’Europe était le bon échelon pour mener la transition écologique. L’Europe y est-elle prête ? Elle s’est toujours présentée comme pionnière dans la protection de l’environnement et la défense du climat et, de fait, son bilan comporte des points positifs. Pour autant, ses résultats sont médiocres. Pour dominer la paralysie, plusieurs programmes, notamment celui des écologistes, ont proposé des réformes. Objectivement, les chances sont minces de les voir appliquées, tant elles paraissent ambitieuses. L’Europe va progresser, c’est inévitable, mais il y aura de la résistance.

Une Europe pionnière et leader ?

Depuis 40 ans, l’Europe, sous l’influence des pays du nord et de l’Allemagne, qui ont intégré tôt les préoccupations écologiques dans leurs politiques publiques, s’est positionnée en faveur de la protection de l’environnement puis de la lutte contre le changement climatique.

Les premiers programmes pour l’environnement datent des années 70. Alors que le traité de Rome ne comportait aucune disposition sur ce thème, le traité de Maastricht de 1992 inscrit la politique environnementale dans les compétences de l’Union. Le traité de Lisbonne de 2007 ajoute explicitement l’objectif de lutte contre le changement climatique.

Avec des « Stratégies » ou des « Plans d’action » qui fixent des objectifs et modifient le droit, l’Europe intervient aujourd’hui dans tous les domaines de la protection de l’environnement : la biodiversité (ainsi la directive « Habitats » de 1992 sur la conservation des habitats naturels et la création d’un réseau de sites de conservation « Natura » ou la directive « Oiseaux » de 2001 qui réglemente la chasse) ; l’eau, avec la directive cadre sur la protection de l’eau en 2000 et ses nombreuses directives d’application ou la directive « Nitrates » de 1991 ; les déchets, avec, là aussi, un ensemble de textes sur la prévention, le traitement et le recyclage des déchets ; l’air, avec une directive de 2008 sur la qualité de l’air et des textes qui fixent des plafonds d’émission aux principaux polluants ; les substances chimiques et pesticides, encadrées par le règlement Reach de 2007 et par une directive de 2009  sur « l’utilisation durable des pesticides » (sic).

Sur le climat, l’ambition des plans énergie climat a augmenté récemment à horizon 2030 : les objectifs portent désormais sur une baisse de 40 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, l’augmentation à 32 % de la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique, une baisse de la consommation d’énergie de 32,5 %.

Cette politique a été utile : les règles fixées, qui ont donné lieu à discussions, inspections et parfois sanctions, ont contribué à mettre au centre du débat public la protection des espèces, la lutte contre les pollutions et la « décarbonation » de l’énergie. Les choix, souvent critiqués pour leur insuffisance, ont parfois été courageux, tels l’interdiction de la pêche au chalutage profond en 2017 ou de la pêche électrique en 2019. Les ambitions ont été souvent réévaluées : la première directive « Oiseaux » date de 1979 et sera, avant d’être révisée, complétée par la directive « Habitats » qui en étend la logique dès 1992 ; la directive Pesticides de 2009 demande aux Etats d’élaborer des plans de réduction de leur utilisation mais, en 2013, l’Union a imposé elle-même des réductions d’usage sur 3 substances de néonicotinoïdes, finalement interdites en 2018[1]. L’Union a inscrit son action dans le cadre de principes d’action qui lui donnent du sens : principe de prévention, principe de précaution (que la Commission mentionne dans une communication en 2000 et qui a été inscrit depuis 2007 dans les traités), en vertu duquel des décisions restrictives « proportionnées » peuvent s’imposer même en cas d’incertitude scientifique, enfin principe du pollueur-payeur inscrit dans la Directive sur la responsabilité environnementale de 2004, selon lequel il appartient aux opérateurs de certaines activités de prendre en charge les dommages aux espèces protégées, à l’eau ou au sol.

 Des résultats faibles et décevants

Pour autant, les résultats obtenus ne sont pas bons.  En 2015, un bilan d’étape spécifique à la biodiversité reconnaissait que l’objectif de porter un coup d’arrêt à la dégradation des habitats animaux ne serait pas atteint, 70 % des espèces européennes restant, de ce fait, menacées, avec un tiers des oiseaux sauvages en danger ou en déclin. Selon un rapport plus global d’évaluation de la politique environnementale de février 2017, la perte de la biodiversité se poursuivait ; dans le domaine des déchets,  tous les Etats membres avaient des difficultés à prévenir leur accumulation, une minorité ne parvenant pas à mettre en place une politique de recyclage ; les normes de qualité de l’air continuaient à être dépassées dans 23 des 28 Etats membres, la pollution venant principalement des déplacements ; la plupart des Etats membres avaient du mal à respecter intégralement la réglementation sur la qualité de l’eau, les concentrations de nitrates et les niveaux d’eutrophisation restant un problème grave presque partout.

S’agissant des résultats du paquet climat-énergie, l’Union devrait atteindre à horizon 2020 son objectif de réduction des gaz à effet de serre, probablement aussi celui de porter à 20 % la part des énergies renouvelables (en 2016, elle en était à 17 %), même si elle aura plus de mal à atteindre la réduction de la consommation d’énergie (cet indicateur a augmenté en 2016 et 2017). Pour 2030, une étude de l’IDDRI de 2016[2] jugeait que le rythme pris était insuffisant pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de GES.  Plus récemment, un rapport de 5 think-tanks[3] note que l’objectif fixé à cet horizon est trop bas pour tenir les engagements de l’accord de Paris lors de la COP 21, qu’il faut le réviser, définir une trajectoire de long terme pour 2050 et, surtout accélérer les transformations qui rendraient de tels engagements crédibles dans les transports, le bâtiment, la production d’énergie, l’agriculture.

 Pourquoi cet échec ?

Les bilans de la Commission incriminent les Etats, qui feraient peu d’efforts pour mettre en œuvre la discipline stricte de la réglementation européenne. C’est difficile à récuser : ainsi, la France a été condamnée, au titre de la directive nitrates, pour protection insuffisante des zones vulnérables et elle n’est pas tout à fait sortie des difficultés malgré des plans répétitifs, faute sans doute d’avoir infléchi suffisamment les modes de production agricole, notamment en Bretagne. La France est également devant la justice européenne pour insuffisance de la qualité de l’air. Mais l’explication par le défaut des Etats est courte : une politique normative qui repose sur des objectifs chiffrés lointains entretient l’illusion d’agir. Les Etats qui signent ne mesurent pas les efforts à faire pour respecter leur engagement : respecter la qualité de l’eau ou de l’air suppose de changer de modèle dans l’agriculture et les transports et de changer les normes des constructions. Quand les pouvoirs publics le comprennent, ils se rendent compte qu’ils n’ont préparé ni leur opinion publique ni les partenaires économiques à s’y engager et qu’ils n’ont pas assez d’argent pour mener des politiques incitatives.

L’Europe a ainsi élaboré un corpus normatif idéal mais sans méthode et sans outils pratiques. Certes, il existe un programme « Life » censé accompagner la protection de la biodiversité mais il est modestement doté (3,4 Mds). De même, le Plan Junker d’investissements (335 Mds de 2015 à 2018) a représenté une aide mais il est difficile de savoir quelle proportion (un tiers ?) a été consacrée au climat et à l’environnement et de mesurer son efficacité. Quant à la mise en place d’un marché européen du carbone pour les industries à forte consommation d’énergie, on connaît son échec : même aujourd’hui, après réforme de ce marché, l’augmentation du prix du carbone reste insuffisante pour conduire à une baisse de la consommation. En 2017, la Cour des comptes européenne jugeait la politique climatique de l’Union inefficace et estimait à 1115 Mds le montant des dépenses à engager entre 2020 et 2030 pour atténuer la détérioration. De plus, comment mener une politique climatique sans politique énergétique commune ?

La gouvernance de l’Union est également à mettre en cause. L’on incrimine en général sous ce terme la place du Conseil et les divisions des Etats, qui castrent les décisions rigoureuses et leur enlèvent leur cohérence : de fait, sur les questions environnementales, la ligne de fracture entre les Etats qui se soucient de l’écologie, plutôt à l’ouest et au nord, et ceux qui y sont indifférents, plutôt à l’est et au sud, joue un rôle. Le débat sur l’inscription de la neutralité carbone à l’horizon 2050 en sera prochainement un révélateur. Mais là aussi l’analyse doit être approfondie. Les politiques européennes sont elles-mêmes substantiellement biaisées : c’est ainsi le cas de la PAC, dont le « verdissement » a été largement vidé de son sens et où l’essentiel des aides versées sont « à l’hectare », malgré les affichages contraires. La Cour des comptes notait, dans un référé de janvier 2019, que les exploitations agricoles les moins vertueuses sur le plan environnemental touchent des sommes supérieures aux aides versées à celles qui le sont davantage. Sur un plan plus général, la cohérence entre la politique commerciale de l’Union et sa politique environnementale n’est pas assurée, comme le montre la contestation de certains accords.

Enfin, l’Union connaît des faiblesses de fonctionnement interne : sur les émissions des voitures, le « Dieselgate » a démontré une volonté de fraude des constructeurs qui ne respectaient pas les normes européennes mais aussi la tolérance des Etats comme celle de la Commission,  qui était au courant des pratiques et n’a réagi que lorsque le grand public a été averti. L’efficacité du règlement Reach de 2007 sur l’enregistrement des substances chimiques fabriquées, utilisées ou importées par les industriels a été gravement mise en cause en 2018 par un rapport de l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques, qui accuse les industriels de violer les règles : l’agence européenne en charge des produits chimiques reconnaît benoitement, en réponse, que les industriels ont effectivement « des efforts à faire ». Quant au dossier d’autorisation du glyphosate, les rapports du Parlement européen de 2019 sont éloquents sur le poids des lobbies dans une décision qui concerne la santé publique et la protection de l’environnement : les agences européennes en charge de défendre ces causes sont si imprégnées de la nécessité de protéger les entreprises qu’elles ont refusé aux parlementaires le droit d’accéder aux études de toxicité du produit transmises par l’industriel au nom de la protection des intérêts de l’entreprise, avant que le Tribunal de l’Union ne les y contraigne, en 2019, au nom de la protection de la santé publique.

Comment renverser ce mauvais bilan ?  

 L’Europe se corrige peu à peu et, sous la pression de l’opinion publique, cherche à renforcer la cohérence et l’honnêteté de ses politiques. Reste qu’il faut manifestement « changer de braquet » si l’on veut que la lutte pour le réchauffement climatique et la protection de l’environnement deviennent efficaces.

Un think tank, « La fabrique écologique », a publié récemment une note[4] qui liste les changements qui lui paraissaient indispensables : à côté de mesures précises comme la taxation du kérosène sur les vols intra-européens ou l’étiquetage sur la durée moyenne de vie des produits de la filière électronique, le document demande un plan massif d’investissements exclusivement consacré au climat et à la protection de la biodiversité, un système de protection aux frontières pour préserver les produits européens de la concurrence de produits venant de pays qui n’appliquent pas les mêmes normes environnementales, un meilleur contrôle des conflits d’intérêt et des procédures plus coercitives pour les Etats qui ne remplissent pas leurs engagements sur le climat.

En France, certains programmes électoraux comportaient des dispositions proches. En particulier, celui des Verts propose l’institution d’un nouveau traité environnemental, la création d’une banque européenne permettant d’investir 100 Mds par an pour le climat et la biodiversité et une agriculture 100 % bio : l’Europe ne peut agir seulement par la négociation et les normes et lui faut des moyens juridiques et financiers accrus.

Les élections européennes ont marqué une avancée : de nombreux responsables ont compris qu’il fallait modifier les choix actuels. Sont-ils prêts pour autant à réformer complètement la PAC, à bouleverser les règles commerciales, à augmenter les ressources consacrées à la transition énergétique, pour aider les ménages et les entreprises ? Cela reste douteux. Les partis verts représentaient 6,5 % des parlementaires en 2014 et 10 % désormais, avec, il est vrai, des relais dans les partis de gauche et du centre. Cela ne suffit pas à renverser la table. Les pays de l’Est n’ont aucun représentant vert dans leurs délégations parlementaires. L’oscillation entre les préoccupations environnementales et économiques va donc continuer mais avec sans doute, davantage d’avancées au bénéfice des premières. Le combat ne fait pourtant que commencer. Il sera rude et long, contrairement à ce que suggère l’enthousiasme actuel.

Pergama, 2 juin 2019

 

Pergama publie un dossier documentaire sur les pesticides, avec des extraits commentés d’articles et de rapports qui traitent de la nature des pesticides et de l’évolution de la consommation en France, analysent pourquoi elle ne recule pas, étudient les effets sur la santé et l’environnement et évoquent enfin les alternatives et leurs contraintes (voir Fiches concours, section Environnement et climat).

 

 

 

 

 

 

 

[1] En France, la loi Biodiversité de 2016 a interdit tous les néonicotinoïdes à compter de 2018 mais en prévoyant des dérogations.

[2] Le « Paquet hiver » climat et énergie est-il à la hauteur des ambitions de l’UE ? IDDRI, 2016

[3] Relever le défi énergétique et climatique en Europe, Terra Nova, IDDRI, I4CE, Fondapol, Institut jacques Delors, mai 2019

[4] « Les enjeux écologiques des élections européennes », La fabrique écologique, 2019