Pas de violences policières, on vous dit

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Pas de violences policières, on vous dit

Il existe en France, chez les responsables publics, des mots tabous et les mots « violences policières » en font partie.

L’on s’en était déjà aperçu dans la longue réponse de la France, en avril dernier, aux accusations de l’ONU sur « l’usage violent et excessif de la force » lors des manifestations des Gilets jaunes. La réponse évacuait totalement le problème dénoncé et ne reconnaissait même pas franchement la possibilité de dérapages, pourtant inévitables dans un contexte de manifestations difficiles et répétées.

Le premier argument utilisé (le ministre de l’Intérieur le reprend, au demeurant, constamment dans l’ensemble de ses interviews) est que les policiers ont travaillé dans des conditions très difficiles, ce qui est indéniable au vu des violences commises par les manifestants et de leurs agressions. Ce contexte peut sans nul doute constituer des circonstances atténuantes devant un tribunal ou des instances disciplinaires. Mais il ne permet pas de violer la loi, qui pose de manière précise les conditions du recours à la violence légitime, et il n’excuse pas les violences commises à l’égard de manifestants qui n’étaient pas eux-mêmes violents, comme le tabassage, à Marseille, d’une jeune fille qui sortait de son travail. Mettre en avant cet argument est en fait à double tranchant : les policiers pourraient donc répondre à une violence illégale et sans mesure par une violence illégale et sans mesure ? C’est préoccupant s’agissant de fonctionnaires qui assument une mission de service public.

Le second argument utilisé dans la réponse à l’ONU consiste à nier, parfois contre l’évidence : « A aucun moment les LBD (lanceurs de balles de défense) n’ont été utilisés à l’encontre de manifestants simplement véhéments ». Les journalistes, dont certains ont porté plainte pour des atteintes délibérées (notamment l’utilisation d’une grenade de désencerclement), n’ont été victimes que « parce qu’ils étaient mêlés à des manifestants violents ». Et « nul, en France, ne saurait être arrêté et n’a été arrêté en raison de sa seule qualité de manifestant ». Bon bon bon…

L’argumentation la plus tarabiscotée a été utilisée par le Président de la République, lors du grand débat : n’utilisez pas, a-t-il dit à un jeune, les mots de violences policières, « ces mots sont inacceptables dans un Etat de droit ». Les faits ou les mots? Comprenne qui pourra.

Jusqu’à présent, ce déni était le fait des représentants de l’exécutif et tenait lieu de communication politique. Depuis la conférence de presse de la directrice de l’IGPN, le 14 juin, service en charge de recevoir et d’examiner les plaintes contre la police et, le cas échéant, de saisir le parquet, ce n’est plus le cas. Le corporatisme rend fou : la directrice elle aussi « réfute » le terme. Les blessures sont des blessures pendant lesquelles la police a fait usage de la force, et cet usage est permis dès lors que la foule n’obéit pas aux ordres de dispersion. Certes, elle est obligée de reconnaître qu’il peut y avoir des fautes. Mais jusqu’à ce jour, aucune enquête n’a permis d’en établir. Fin de l’analyse.

Il faudra un jour réfléchir aux effets de ce refus de reconnaître ce que chacun voit : affaiblissement de la confiance envers les autorités publiques, montée d’un sentiment d’injustice qui prétend alors justifier le recours à la violence, blanc-seing donné aux policiers qui violent la loi, dégradation d’un ordre public que la police a pour mission d’assurer, limitation effective du droit de manifester et de la liberté de la presse…les conséquences ne peuvent être que négatives. Du moins ces dénégations conduisent-elles le journalisme à produire ce qu’il a de meilleur : une enquête des Décodeurs du Monde publiée le 16 mai dernier a collecté des centaines de vidéos tournées depuis 6 mois sur les manifestations des Gilets jaunes : il a été  demandé à une juriste de les examiner et de les commenter, en rappelant les termes de la loi. Le document est instructif : l’on apprend que la loi permet tout à fait l’emploi de la force mais dans des conditions très encadrées, en appliquant en même temps des principes de légitimité (la force doit s’exercer dans un but légitime et la dispersion des groupes violents en est un) mais aussi de nécessité (elle doit être utilisée en dernier recours et naturellement cesser lorsqu’elle n’a plus lieu d’être) et de proportionnalité (elle ne doit pas créer des dommages excessifs par rapport à son utilité). L’usage des différentes armes est lui-même très réglementé, aérosols, bâtons, grenades de désencerclement, sans même mentionner les LBD. Le commentaire des images, qui adopte un point de vue strictement juridique, est parlant :  les manquements aux règles ont été systématiques et les responsables qui cachent leur numéro matricule et refusent les photos (ils doivent les accepter), non identifiables. Les enjeux du maintien de l’ordre, surtout face à des manifestations violentes et non encadrées auxquelles les policiers n’étaient pas habitués, sont compliqués. Mais non seulement cela ne sert à rien de refuser d’affronter la réalité mais de plus, ce n’est pas le signe d’un pouvoir responsable.