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Réforme du bac : salutaire mais améliorable

Dès mars 2018, les organisations syndicales ont massivement rejeté la réforme du baccalauréat et de l’organisation du lycée présentée en Conseil supérieur de l’éducation. Il y a quelques jours, des enseignants, peu nombreux, ont protesté contre sa prochaine mise en œuvre en refusant de participer à la surveillance des épreuves du bac. Tous les syndicats, sauf deux il est vrai (UNSA et SGEN-CFDT, représentant un peu plus de 30 % des voix obtenues aux élections professionnelles) avaient appelé à cette grève.  Certains enseignants annoncent même leur refus de corriger les copies. Cette opposition est-elle fondée ?

Une réforme fondamentale

Aux origines de la réforme, le rapport de Pierre Mathiot, universitaire plutôt classé à gauche, remis le 24 janvier 2018, « Baccalauréat 2021 »[1], qui n’a pas été une réflexion libre mais un rapport opérationnel. Il est vrai qu’il s’agissait de mettre en œuvre un engagement précis du candidat E. Macron : simplifier l’organisation de l’examen, le lier davantage à des choix d’orientation, affirmer son lien avec l’enseignement supérieur (90 % des bacheliers y poursuivent leurs études) et l’utiliser pour y améliorer la réussite.

Le rapport Mathiot critique le baccalauréat actuel : sa démocratisation était nécessaire mais aujourd’hui sa « valeur certificative » est mise en doute et il ne correspond plus à la garantie d’un niveau de connaissances et de compétences ; il n’est de plus pas correctement articulé à l’enseignement supérieur : la procédure Parcoursup qui répartit les élèves dans les établissements post-bac l’ignore et ni le lycée ni le baccalauréat lui-même ne sont orientés vers la maitrise des compétences qui y sont  nécessaires ; enfin, l’examen est, pour l’essentiel, structuré par des épreuves finales regroupées à la fin de l’année scolaire de terminale, ce qui ne valorise pas suffisamment la continuité de l’effort et en fait un « monstre organisationnel », dont les contraintes pèsent excessivement sur l’institution scolaire.

Surtout, même si le rapport Mathiot ne le dit pas explicitement, la logique des filières (ou « séries »), mises en place dès 1968, est inégalitaire : la série S, considérée comme la filière de la sélection et du succès, écrase les autres et regroupe 52 % des élèves, dont une part n’est pas attirée par une carrière scientifique mais se contraint en espérant que cette orientation lui ouvrira des portes. Ce dévoiement des mathématiques en outil de sélection n’est ni opportun ni épanouissant.

S’appuyant sur ces constats et à partir des propositions du rapport Mathiot, la réforme prévoit la suppression des filières et la mise en place d’un cursus plus modulaire, avec un tronc commun (français ou philosophie, histoire-géographie, éducation physique et sportive, langues vivantes, enseignements scientifiques), correspondant à une moitié environ des cours ; s’ajouteront des choix de spécialités (3 en première, 2 en terminale sur un ensemble de 12. On y trouve des spécialités d’approfondissement (mathématiques, sciences économiques et sociales…) et d’autres plus neuves parfois pluridisciplinaires (arts, numérique et sciences informatiques, sciences de l’ingénieur, histoire, géographie, géopolitique et sciences politiques) ; enfin, des enseignements optionnels sont prévus, arts, EPS, langues…L’objectif est que les élèves fassent des choix qui correspondent à leurs goûts et préparent leur orientation (un module spécifique est destiné à les y aider en seconde) ; il est aussi de casser la conviction selon laquelle les mathématiques sont un passage obligé pour réussir. Enfin, les pouvoirs publics espèrent « muscler » les compétences grâce aux spécialités et en développant une aide individuelle en seconde.

En termes organisationnels, un contrôle continu est prévu, qui comptera pour 30 %  de la note finale, avec 3 épreuves, dont deux en classe de première ; s’ajouteront 5 épreuves terminales comptant pour 60 %, dont le bac français maintenu à la fin de la première, deux épreuves de spécialité qui auront lieu au printemps de terminale pour que leurs résultats puissent être pris en compte dans Parcoursup et deux épreuves en juin, philosophie et oral sur un projet préparé en deux ans et adossé à une spécialité. Le « bulletin scolaire » comptera, quant à lui, pour 10 %.

Depuis 30 ans, une réforme qui se heurte à mille obstacles

La volonté de réformer le baccalauréat est ancienne. Dans un récent article de Libération, l’historien Claude Lelièvre rappelait que la dernière « vraie » réforme datait de De Gaulle en 1959, avec une seule volonté, simplifier : l’essentiel de l’examen a alors été concentré en terminale (il s’étendait sur 2 ans) et la plupart des oraux supprimés, sauf en langue et en français. Depuis lors, sous les ministères Jospin, Allègre, Fillon, Darcos, la volonté d’introduire du contrôle continu (même combiné à des épreuves traditionnelles, comme le proposait François Fillon en 2005), voire d’organiser l’enseignement au lycée avec un tronc commun et des options (projet de Xavier Darcos en 2007) a fait long feu.

Ces projets cherchaient à alléger la lourdeur de l’examen et à lutter contre la rigidité des filières et leurs effets de sélection. Ils se sont heurtés alors, comme c’est le cas aujourd’hui, à la crainte des acteurs de perdre au changement : crainte que le prestige de l’examen ne baisse (les opposants parlent systématiquement d’une « éducation au rabais » quand il s’agit de contrôle continu, considéré comme moins noble et moins objectif  qu’un examen traditionnel) ; crainte de perdre l’image sélective du diplôme, pourtant largement écornée par son taux de réussite[2]  et par son absence de prise en compte dans les processus de sélection pour l’accès à l’enseignement supérieur ; crainte, pour les enseignants qui défendent leurs disciplines, de perdre des heures, l’étiage optimal leur paraissant être celui de la filière[3],  l’étiage du tronc commun étant systématiquement jugé insuffisant et celui de la spécialité ou de l’option assimilé à une relégation (la timide multidisciplinarité de certaines spécialités n’étant par ailleurs appréciée qu’à l’aune des conflits qu’elle engendrera[4]) ; crainte enfin d’un baccalauréat qui, du fait du poids du contrôle continu, perde son caractère national, qualificatif corrélé à l’équité et à l’égalité sociale.

Que répondre à ces arguments ? La perte de prestige est déjà actée. Le baccalauréat n’est plus un enjeu, même s’il reste nécessaire de l’obtenir. L’enjeu, pour les jeunes, c’est aujourd’hui la sélection organisée par l’enseignement supérieur qui, pour l’instant, ignore le bac. C’est surtout le choix d’une orientation qui leur convienne et la construction d’un parcours qui débouche sans accroc sur le supérieur, ce à quoi le baccalauréat est aujourd’hui indifférent. Quant aux disciplines, l’abandon des filières implique un débat sur la place qu’elles retrouveront dans une organisation différente. Ce débat ne doit pas toutefois être prévalent, d’autant qu’il néglige souvent la valeur du choix de spécialité (moins d’élèves mais plus intéressés). Ce qui est essentiel, c’est que les élèves soient accompagnés dans leur réflexion sur l’avenir, alors qu’ils sont aujourd’hui corsetés dès la classe de première dans des filières qu’ils ne choisissent pas vraiment et qu’ils arrivent aujourd’hui à Parcoursup insuffisamment préparés.

Le baccalauréat cessera-t-il d’être national (et égalitaire) parce qu’il intègre un contrôle continu ? Les comparaisons internationales qui figurent dans le rapport Mathiot montrent que la plupart des pays proches se partagent entre contrôle continu et épreuves terminales, certains pays (Suède ou Finlande) n’ayant toutefois recours qu’à des épreuves organisées dans l’établissement et le Royaume-Uni ne prévoyant pas de contrôle continu. En France, la réponse du ministre (les sujets seront choisis dans une base nationale et les copies corrigées par d’autres enseignants que ceux de l’élève) n’a pas désarmé la crainte d’un examen qui deviendrait « local », alors même qu’elle conduit à appeler « contrôle continu » une procédure qui n’en relève pas vraiment. Au demeurant, aujourd’hui, la sélection organisée par les établissements d’enseignement supérieur se fonde exclusivement sur le contrôle continu (et un « vrai » contrôle continu).  De plus, comme souvent, l’affichage d’une égalité formelle dissimule une réalité moins séduisante : dès aujourd’hui, comme tout postulant sur Parcoursup l’a bien compris, ce n’est pas la même chose, surtout pour les filières très sélectives, d’être inscrit dans un lycée de Seine Saint Denis ou dans un grand lycée parisien.

Au-delà des anathèmes, des réactions ambivalentes et nuancées, plus intéressantes

La réaction de la majorité des organisations syndicales est préoccupante : elles ont raison d’alerter sur la répartition de l’offre de formation (toutes les spécialités ne seront pas présentes partout mais il faudrait qu’elles soient, pour autant, accessibles, ce qui n’est pas garanti), sur les difficultés de mise en place (comment les enseignants trouveront-ils leur place, leur nombre sera-t-il suffisant puisque les spécialités concerneront des classes moins nombreuses, au moins dans certaines disciplines?), sur les points qui restent encore obscurs (quelle préparation pour l’oral ? Comment les enseignants s’impliqueront-ils en seconde dans le module d’orientation de 54 heures ?). Au-delà, le plaidoyer en faveur du retour au statu quo (« il faut retirer la réforme »), assorti des traditionnelles demandes de moyens supplémentaires, est peu responsable :  le refus de voir les apports de la réforme et de contrebalancer ses inconvénients avec l’intérêt qu’elle présente pour les élèves, la décision de se placer dans une logique de tout ou rien, voire de sous-entendre que la réforme ne poursuit en réalité que des objectifs gestionnaires, le lancement de grèves gênantes mais très minoritaires, ces choix conduisent le syndicalisme sur une voie de garage.

D’autres réactions sont plus intéressantes, sans être pour autant complaisantes.  C’est le cas de celle du think tank Terra nova, favorable aux principes de la réforme puisqu’il a préconisé, dès 2016[5], de mixer contrôle continu et épreuves terminales, de responsabiliser les élèves dans le choix des épreuves qu’ils souhaitaient passer et d’articuler plus clairement les exigences du lycée et les attendus post-bac. Dans une note convaincante de juin 2018[6], il craint que la réforme « bac 2021 » ne soit insuffisamment audacieuse et, de ce fait, ne rate les objectifs poursuivis : le baccalauréat, selon l’analyse fournie, ne s’allège pas, il s’alourdit, les épreuves sont trop nombreuses et le contrôle continu, pour éviter les critiques, ressemble trop à des épreuves ordinaires ; le tronc commun pèse trop lourd et les spécialités pas assez et, surtout il faudrait ouvrir la gamme des spécialités, individualiser davantage le parcours pour qu’il soit typé et prenne du sens, alors qu’aujourd’hui, avec un tronc commun large et plutôt littéraire, le choix des spécialités risque d’être un choix de prudence portant plutôt sur les sciences, recréant ainsi les filières que l’on souhaitait casser. Enfin, pour éviter la dispersion des matières tout en réservant un temps suffisant à leur étude, une organisation de l’année en semestres serait préférable.

Quant au sociologue spécialiste des politiques de l’Education François Dubet, il reconnaît[7] que le système actuel est trop inégalitaire et inefficace pour être défendu. Une réforme qui accroît l’autonomie des individus, améliore leur orientation et sans doute renforce leur motivation est une bonne réforme. Il demande toutefois d’approfondir, sans corporatisme, la réflexion sur la place des disciplines (notamment les sciences sociales), de mesurer les changements apportés au travail des enseignants (il est normal, dit-il, qu’ils s’en préoccupent puisqu’il leur faudra accompagner davantage l’orientation et les choix des élèves et les préparer à l’oral) et surtout de se préoccuper de la réduction des inégalités : le risque, dit-il, est d’échanger davantage de liberté contre davantage d’inégalité, puisque faire des choix et construire un parcours implique une bonne capacité d’anticipation et un  niveau d’information élevé, apanage traditionnel des catégories favorisées. L’accompagnement doit donc être plus attentif pour les moins armés, l’offre scolaire doit être correctement répartie, un effort particulier doit être fait sur la préparation de l’oral, qui, sinon, est une épreuve socialement discriminante, de même qu’il faut veiller à instituer dans le supérieur des filières de formation intéressantes pour les « seconds de cordée ».

 

Comment critiquer un projet cohérent qui affiche des objectifs difficilement récusables ? L’on peut choisir d’en déformer le sens, de jeter l’anathème sur lui avec des mots accusatoires, esprit gestionnaire, atteinte à l’égalité républicaine, bac poubelle, tri social, régression…L’on peut aussi entrer dans la réforme, en comprendre la logique et la « peser », dans un dialogue qui ne s’interdit pas la sévérité et en tout cas touche plus juste. En choisissant la première méthode, les organisations syndicales empêchent les projets qui leur sont présentés d’être améliorés, découragent le dialogue et incitent les responsables publics à défendre leurs réformes bec et ongles sans accepter d’y réfléchir plus avant. S’ils avaient choisi la seconde méthode, ils auraient défendu l’intérêt bien compris de leurs mandants et, surtout, celui des élèves dont ils ont aussi la charge. Au final, la réforme du bac se fera : c’est un progrès. Elle aurait pu être meilleure si un débat loyal s’était ouvert. C’est, aujourd’hui, trop tard.

Pergama, le 23 juin 2019.     

[1]http://cache.media.education.gouv.fr/file/Janvier/44/3/bac_2021_rapport_Mathiot_884443.pdf

 

[2] En 2018, le taux de réussite a été de 91 % pour les séries générales, de 89 % pour les séries technologiques et de 83 % pour la voie professionnelle.

[3] Voir ainsi l’interview du sociologue Stéphane Beaud dans Alternatives économiques (15/02/2018) regrettant la marginalisation d’une discipline (la sociologie) qui structurait une série (la série SES). Il voit dans la suppression de cette série la volonté de tuer une culture contestataire et de vouer à l’échec les enfants des classes populaires. Le parallèle existe dans les protestations de la Commission française pour l’enseignement des mathématiques et l’association des professeurs de mathématiques, qui voient dans l’institution d’une combinaison tronc commun/spécialités un risque de baisse du niveau scientifique de la population française, qu’ils jugent en contradiction avec la volonté des pouvoirs publics de promouvoir les sciences.

[4] Voir « Les disciplines contre la réforme du lycée », Café pédagogique, 19 février 2018 http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2018/02/19022018Article636546211209072839.aspx

 

[5] Comment sauver le Bac ? juin 2016 http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/208/original/15062016_-_Comment_sauver_le_Bac.pdf?1466700534

[6] Réforme du baccalauréat, attention au hors sujet,  Terra nova, juin 2018 http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/208/original/15062016_-_Comment_sauver_le_Bac.pdf?1466700534

[7] La réforme libérale du conservateur Blanquer, François Dubet, AOC, février 2018