Haut Conseil pour le climat: quelle utilité?

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Haut Conseil pour le climat: quelle utilité?

En novembre 2018, dans le cadre des annonces sur les choix de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE)[1], au moment aussi où commençait la contestation des gilets jaunes sur l’augmentation de la taxe carbone, la Présidence de la République a annoncé la création d’un Haut conseil pour le climat, mis en place dès la fin de l’année 2018 mais officialisé par le décret 2019-439 du 14 mai 2019. Le Haut conseil, présidé par une universitaire climatologue, est un organisme indépendant, placé auprès du Premier ministre, qui comprend avec son président 13 membres[2] choisis pour leur expertise scientifique, technique et économique dans le domaine des sciences du climat et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Cet organisme, abrité par France Stratégie, rédige un rapport annuel portant notamment sur le respect de la trajectoire de baisse des émissions de GES, la mise en œuvre et l’efficacité des mesures décidées par l’Etat et les collectivités pour réduire ces émissions et l’impact socioéconomique de ces différentes politiques publiques. Ce rapport, transmis au Parlement et au CESE (Conseil économique, social et environnemental), émet des recommandations et, dans un délai de 6 mois, le gouvernement présente à ces institutions les suites qu’il entend leur donner. En outre, le Haut Conseil émet un avis tous les 5 ans sur la « Stratégie nationale bas carbone » de la France (SNBC)[3], en particulier sur sa cohérence avec les politiques nationales, sur les « budgets carbone » qui y sont définis (plafond des émissions de GES pour une période donnée) et sur leur respect pour les périodes écoulées. Enfin, le Haut conseil peut s’auto-saisir, en particulier sur des politiques sectorielles ou sur le financement de la stratégie bas carbone.

Le 25 juin 2019, le Haut conseil a remis au Premier ministre son premier rapport, très critique sur la politique suivie par la France. C’est l’occasion de réfléchir sur l’utilité de telles institutions d’expertise : en l’occurrence, à quoi vise la création du Haut Conseil sur le climat ? Qu’apporte-t-il de nouveau et d’utile ?

Le premier rapport annuel du HCC : une mise en garde étayée des politiques publiques menées jusqu’ici

Le rapport de juin 2019 est un document clair, plutôt court (moins de 45 pages utiles, avec une présentation aérée), qui évite une excessive technicité et parle net. Il s’engage sur deux constats : les objectifs de réduction des émissions fixés jusqu’ici ne sont pas atteints (le premier budget carbone 2015-2018 a été dépassé, essentiellement à cause des émissions des secteurs du transport et du bâtiment). Surtout, si la Stratégie bas carbone en cours de révision continue à rester « à la périphérie des politiques publiques », si elle garde les mêmes outils, si elle n’est pas renforcée, si sa mise en œuvre n’est pas évaluée, les objectifs fixés pour l’avenir, notamment la neutralité carbone visée en 2050, ne seront pas atteints non plus. A noter que, selon le Haut conseil, la neutralité carbone est un objectif à maintenir : il est cohérent avec l’accord de Paris et techniquement possible à atteindre.

Suivent 7 propositions :

Mettre la stratégie carbone au cœur des politiques publiques : aujourd’hui, la SNBC est isolée, peu opérationnelle, mal prise en compte dans les décisions de politiques publiques qui pourtant devraient traduire ses choix. Son cadre juridique est trop faible : ainsi, s’agissant des lois ALLUR (loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové), Agriculture et alimentation ou du projet de loi d’orientation des mobilités, aucune étude de compatibilité avec les objectifs de la SNBC n’a été menée. Il faudrait donc vérifier systématiquement que les lois adoptées ou les projets de grands investissements sont compatibles avec les engagements pris ;

Renforcer les instruments de politique climatique, qui sont trop faibles aujourd’hui : il faut inscrire les budgets bas carbone dans la loi (et non dans un décret) et les rendre contraignants, fixer un prix plancher croissant pour les quotas d’émission carbone, reprendre le cours d’augmentation de la taxe carbone en veillant à une compensation pour les ménages modestes, supprimer les subventions existantes aux énergies fossiles (6 Mds) ;

Définir, dans les secteurs de l’urbanisme, des logements, des transports, les changements nécessaires et les planifier de manière réaliste et acceptable ; pour l’instant, ces secteurs s’écartent des évolutions prévisionnelles inscrites dans la première stratégie bas carbone, ce qui soulève des interrogations sur la bonne adaptation et l’efficacité des politiques menées ; il faut donc analyser ces politiques et les aménager ;

Assurer une transition juste et répartir l’effort entre les ménages, les entreprises, les collectivités et l’Etat ;

Articuler stratégies européenne, nationale et locale ;

Evaluer systématiquement l’impact des mesures prises sur le niveau des émissions ;

Réviser et renforcer le projet de nouvelle stratégie bas carbone en cours d’examen :  le budget carbone 2019-2023 tel qu’il est prévu aujourd’hui devrait être revu à la baisse pour redevenir ce qu’il était dans la première stratégie de 2015 (sinon, le risque est que le retard des années 2015-2018 ne soit jamais rattrapé) ; la capacité des « puits de carbone » à absorber des émissions incompressibles doit être étudiée sérieusement ; enfin, l’objectif de neutralité 2050 doit intégrer les émissions liées aux transports internationaux et aux importations, sinon, il s’agit d’une neutralité trompeuse : les émissions dues aux transports internationaux ont augmenté de 40 % entre 1990 et 2017 et les émissions liées aux importations ne cessent de croître : l’empreinte carbone des Français est, hors importations, de 6,6 tonnes d’équivalent carbone (6,6 t CO2e), c’est-à-dire tous gaz à effet de serre confondus, et de 11 tonnes d’équivalent carbone en intégrant les importations.

Le Haut conseil : une utilité mise en doute ?  

A l’occasion de son avis sur le projet de loi relatif à l’énergie et au climat[4] qui, dans son article 2, traite du Haut Conseil, le CESE a émis des critiques sur la création de cette institution : il indiquait alors, en référence à un de ses précédents avis sur l’accélération de la transition énergétique, que la question de la gouvernance en ce domaine était déjà trop complexe. Ainsi, il existe un Conseil national de la transition énergétique d’une cinquantaine de membres (réunissant collectivités territoriales, syndicats, employeurs, associations…) mais il est vrai qu’il ne s’agit pas alors d’expertise mais de recueil des avis des « parties prenantes ». Parmi les multiples comités d’experts, le plus important est le Comité d’experts pour la transition énergétique créé par la loi de 2015, dont le rôle est de formuler un avis sur les projets de PPE et de stratégie bas carbone, sur les projets de budgets carbone ainsi que, ex post, sur le respect des budgets carbone. Dans ce contexte, le CESE considère que le principal problème à résoudre n’est pas de créer une nouvelle instance d’expertise, mais de mieux coordonner un ensemble d’acteurs qui l’est mal et d’améliorer la réactivité quand des ajustements sont nécessaires.

L’avis du Conseil d’Etat sur le projet de loi Climat énergie n’est pas plus enthousiaste, même si, entre temps, il était devenu clair que le Haut Conseil remplaçait le Comité d’experts mentionné ci-dessus. Il note lui aussi que la nouvelle institution s’ajoute à plusieurs organismes consultatifs ayant une vocation voisine. Autrement dit, le gouvernement est soupçonné d’instrumentaliser l’annonce de la création d’un nouvel organe d’expertise, censé montrer l’intérêt que les pouvoirs publics témoignent au problème en cause, alors qu’il n’en a nul besoin.

De plus, si l’on réunit la littérature existante sur la stratégie bas carbone et la PPE, force est de constater que le rapport du Haut Conseil résumé supra, quels que soient son intérêt et sa justesse, n’apporte pas de diagnostic nouveau : la différence est surtout dans la fermeté du ton et l’appréhension franche du cœur du problème, à savoir l’absence de lien entre la stratégie bas carbone et la plupart des politiques publiques. Plusieurs rapports du CESE et une note remarquable de l’IDDRI[5] ont déjà dressé le même tableau et fait des propositions très proches.

….et pourtant, un dispositif utile ou du moins qui peut sans doute l’être

Les dossiers de presse du projet de loi Energie-climat ne s’en cachent pas : le Haut conseil pour le climat s’inspire du Comité pour le changement climatique créé au Royaume-Uni en 2008 et qui contrôle la compatibilité des politiques publiques menées avec les engagements pris par les pouvoirs publics sur le climat. Le bilan du Comité anglais est unanimement salué.

Une note de l’IDDRI[6] explique pourquoi une telle instance est utile : le Comité a un mandat large d’évaluation des politiques publiques existantes dans le domaine de la réduction des émissions de GES mais aussi dans ceux de l’adaptation au changement climatique. Il publie un rapport annuel et peut s’autosaisir sur des thèmes spécifiques qui lui semblent importants. Le Comité est une AAI, qui a un lien direct avec le Parlement, sachant que le gouvernement est tenu de répondre aux critiques qu’il émet et à ses propositions. Enfin, il dispose de moyens financiers importants (4 millions d’euros) et d’une équipe qui lui permet de conduire des expertises propres, pas seulement de synthétiser les expertises existantes.

Le Haut Conseil pour le climat est assez proche du Comité anglais : son indépendance est reconnue, il publie un rapport annuel d’évaluation des politiques publiques menées.  Ce rapport est transmis au Parlement et le gouvernement est tenu d’y répondre. Le Haut Conseil est donc très différent du Comité d’experts qu’il remplace, dont les compétences étaient réduites à donner un avis, tous les 5 ans, sur des stratégies ou budgets qui lui étaient soumis. Le Haut Conseil apparaît comme une institution nécessaire, voire indispensable, qui, inséré dans le dispositif de prise de décision, peut l’influencer en utilisant l’arme de l’opinion publique.

Toutefois, le Haut conseil n’a pas la même force que le Comité anglais : ce n’est pas une AAI, même si les textes garantissent son indépendance. Il est centré sur la question des émissions et non pas sur l’ensemble de la politique climatique. Ses moyens seront moindres (il est question d’un budget de 1,2 million). Surtout, l’IDDRI insiste sur le climat de consensus qui a entouré la création du Comité anglais et sur la fermeté avec laquelle ses avis ont été défendus (et ont prévalu), dans la période 2011-2014, lorsque certains ministres ont tenté de faire prévaloir d’autres intérêts. Pour autant, même au Royaume-Uni, le primat de la politique climatique est remis en cause depuis 3 ans avec le Brexit et les inquiétudes économiques. Le consensus n’est donc jamais acquis sur la durée…Or, en France, ce consensus n’est même pas établi au départ.

A ces fragilités s’en ajoute une autre : toute annonce politique doit susciter espoir et confiance. S’agissant du virage écologique du gouvernement, celle-ci n’est pas établie: l’on peut craindre que le gouvernement actuel appréhende mal l’ampleur des changements qu’il doit piloter et que sa conversion soit électoraliste et superficielle. Dans ce cas, le Haut Conseil ne sera qu’une instance inutile de plus. Les expertises ne sont jamais inutiles mais seule compte la cohérence des choix politiques : pour l’instant, le doute prévaut.

Pergama, le 7 juillet 2019

[1] La PPE est un outil de pilotage prévu par la loi de transition énergétique de 2015 pour fixer, dans les années à venir, la répartition du mix énergétique français. La nouvelle PPE définie fin 2018 fixe la stratégie énergétique pour deux périodes de 5 ans, 2019-2023 et 2024-2028. Elle sera revue dans 5 ans.

[2] A ce jour, 11 seulement, Pierre Larrouturou et Pascal Canfin s’étant retirés compte tenu de leur candidature aux élections au Parlement européen.

[3] La stratégie bas-carbone définit les orientations à mettre en œuvre dans tous les secteurs d’activité (transports, logements…) pour réduire les émissions de GES, à moyen terme, à l’aide de budgets carbone, et à plus long terme, en 2050. La stratégie bas carbone a été définie pour la première fois en 2015. Elle fait actuellement l’objet d’une révision pour tenir compte de l’engagement inscrit dans le plan Climat annoncé en 2017 d’une neutralité carbone pour 2050, objectif qui sera inscrit dans la loi relative à l’énergie et au climat en cours d’adoption à ce jour.

[4] Avis du CESE sur l’article 1 du projet de loi relatif à l’énergie, CESE, février 2019

[5] Comment accélérer la transition énergétique, CESE, février 2018, Climat-énergie : la France doit se donner les moyens, CESE, avril 2019, Evaluation de l’état d’avancement de la transition bas carbone en France, Institut développement durable et relations internationales (IDDRI), octobre 2018

[6] Le Comité pour le changement climatique au Royaume-Uni : quel retour d’expérience et quels enseignements pour la France ? IDDRI, juillet 2018