Plan national santé environnement : un gros travail, des enjeux cruciaux, aucun impact

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Plan national santé environnement : un gros travail, des enjeux cruciaux, aucun impact

Le Code de la santé publique prévoit (articles 1311-6 et 1311-7) l’élaboration, tous les 5 ans, d’un plan national de prévention des risques pour la santé liés à l’environnement, portant notamment sur les effets sur la santé des agents chimiques, biologiques et chimiques présents dans les milieux de vie, y compris les milieux de travail, ainsi que ceux des évènements météorologiques extrêmes. Ce plan est décliné au niveau régional sous forme de plans régionaux « santé-environnement », qui en reprennent les priorités en les adaptant aux facteurs de risques spécifiques au niveau local. Ces plans régionaux sont mis en œuvre par les agences régionales de santé, les services déconcentrés de l’Etat et les Conseils régionaux, en association avec les autres collectivités.

Par lettre de mission du 16 novembre 2017, les ministres en charge du « plan national santé environnement » (PNSE), soit le ministre de la Transition écologique et solidaire et la ministre des Solidarités et de la santé, ont demandé, avec la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’innovation, une évaluation du 3e plan 2015-2019, afin d’aider à l’élaboration du 4e plan qui doit s’engager en 2020. La demande s’adressait au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), à l’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS) et à l’Inspection générale de l’administration de l’Education nationale et de la Recherche (IGAENR).

La saisine demandait d’examiner en premier lieu la cohérence du plan, son périmètre et son articulation avec les autres plans, qui, de fait, foisonnent : plan contre les PCB (polychloro biphényles ou pyralènes), plan contre le pesticide Chlordécone, contre les micropolluants, plan Ecophyto…etc etc… La demande tendait à s’assurer que le PNSE joue son rôle intégrateur. Les ministres souhaitaient également une réflexion sur l’organisation et la gouvernance, notamment sur l’utilité du GSE (groupe santé environnement) constitué de l’ensemble des « parties prenantes » (Etat, parlementaires, collectivités, syndicats, entreprises…) soit plus de 100 personnes, et des divers « groupes de suivi ». Ils s’interrogeaient enfin sur la pertinence de la déclinaison régionale du plan. Etonnamment, ils ne demandaient pas d’en mesurer l’efficacité ni les résultats, comme si la qualités internes du plan (cohérence, exhaustivité, bonne association de l’ensemble des acteurs) suffisaient à en garantir la qualité.

De manière également très étonnante, la saisine a donné lieu en décembre 2018 non pas à un rapport mais à deux rapports distincts, un du CGEDD et un de l’IGAS, dont les conclusions sont pourtant identiques, l’IGAENR n’ayant au final rien produit. Ce dysfonctionnement administratif s’ajoute au caractère estomaquant de l’évaluation : les enjeux sont forts, l’élaboration et le suivi du plan ont imposé une forte mobilisation et pourtant le plan, tel qu’il est, ne sert à rien.

Des objectifs foisonnants mais aucun effet

 Le 3e plan national santé environnement comporte 110 actions, contre respectivement 45 et 58 dans les 1er et 2e plans. Pourtant, le champ suggéré dans le Code de la santé n’est pas correctement couvert : les conséquences des événements météorologiques extrêmes ne sont pas traitées et les risques afférents au milieu de travail à peine abordés (il faut dire qu’il existe parallèlement un plan Santé au travail 2016-2020). Les 110 actions (qui concernent des risques, des milieux particuliers, des populations…) sont le résultat des demandes multiformes des parties prenantes, sans hiérarchie ni organisation rationnelle. La plupart visent, non pas à réduire les risques, mais à améliorer la connaissance sur les expositions et leurs effets ou à mener des actions d’information et de formation. Une minorité seulement vise à diminuer l’exposition de la population à des agents nocifs mais sans précision sur les moyens mis en œuvre ni quantification des résultats visés. Un nombre non négligeable d’actions renvoient à d’autres plans, voire souhaitent l’élaboration de nouveaux plans. Quant aux moyens financiers, ils sont rarement identifiables et, quand ils le sont, paraissent très faibles : en réalité, le PNSE n’a pas de budget.

Quant à l’articulation avec les autres plans nationaux, elle n’est pas explicitée et semble hasardeuse, certaines actions venant compléter des plans dits « sectoriels », d’autres doublonnant des actions déjà prévues, sans que la logique suivie soit claire. Quant à l’articulation avec les plans régionaux santé environnement, elle est prévue par les textes mais s’organise difficilement : l’élaboration des plans régionaux a été tardive (la concomitance prévue avec le plan national n’est, au demeurant, pas raisonnable) et la mobilisation des acteurs est inégale, avec des copilotages fumeux.

Enfin, s’agissant de la gouvernance d’ensemble, le foisonnement des pilotes, copilotes, partenaires et parties prenantes, sans réelle structuration des rôles, réduit la force du dispositif, d’autant que les moyens manquent. Ainsi, les groupes de travail en charge du suivi du plan au sein du GSE ne savent pas ce que deviennent les avis qu’ils rendent.

Face à un bilan aussi désastreux, les propositions apparaissent de bon sens : le CGEDD propose ainsi un nouveau type de PNSE, qui organiserait le classement des risques de santé liés à l’environnement en risques avérés » (polluants de l’air, nuisances sonores, amiante…), auxquels s’appliquerait le principe de prévention ; risques « émergents » (nanomatériaux) relevant du principe de précaution ; risques « futurs » (déchets électroniques)avec des réponses à élaborer. Le PNSE chapeauterait les autres plans nationaux et s’assurerait de leur caractère opérationnel (adjonction d’objectifs quantifiés de réduction des risques et d’indicateurs de suivi). Il contiendrait peu d’actions propres, seulement dans des domaines non couverts par ailleurs ou impliquant une coordination. Il se focaliserait sur une thématique prioritaire, disposerait d’un budget, aurait un rôle de communication et d’information sur le thème des relations entre santé et environnement. Le pilotage serait clarifié, les pilotes seraient responsabilisés et le groupe environnement santé recevrait une mission claire, assumer le suivi du plan tout en disposant d’un pouvoir d’interpellation.

Quelles explications à un échec aussi flagrant ?

 Les deux rapports d’évaluation proposent de corriger les failles évidentes du plan, foisonnement d’objectifs désordonnés et non opérationnels, absence de pilotage fort, manque de moyens dédiés. Il est loisible toutefois de s’interroger sur les causes profondes d’un tel fiasco. Dès 2009, la Direction générale de la santé avait fait paraître des recommandations pour l’élaboration, le suivi et l’évaluation des plans nationaux de santé, qui soulignaient la nécessité d’éviter les formulations imprécises, de fixer des objectifs en termes de résultats à atteindre dans le domaine de la santé, de mentionner clairement le type de progrès attendu (pour quelle population, dans quel champ, à quelle échéance).  Les décideurs ont donc pleinement conscience des faiblesses à éviter : il ne s’agit pas de négligence…

Par ailleurs, le Haut Conseil de santé publique a été sollicité, en 2015 (soit après la date de mise en œuvre du 3e PNSE), pour définir des objectifs et indicateurs de résultat opérationnels : il les a proposés en 2016, sans aucun effet. Autre signal qui révélerait plutôt l’indifférence des décideurs à la qualité de tels documents, le CGEDD indique, à la fin de son évaluation de 2018, qu’aucune des recommandations rédigées en 2013 par la mission d’évaluation du PNSE de l’époque n’a été suivie d’effet, alors que certaines préconisations restent d’actualité. Bref, la mauvaise qualité du PNSE ne tient pas à des erreurs ponctuelles mais à un désintérêt de fond. L’on peut évoquer une probable méconnaissance des enjeux, qui ne sont pas si bien reconnus, la difficulté d’échapper à une conception trop étroite de la santé publique, la séduction de processus bureaucratiques (la planification en fait partie) qui donnent l’illusion d’avoir prise sur la réalité et, surtout, l’incapacité dans laquelle l’Etat se trouve de définir une politique efficace de protection de l’environnement.

Des enjeux volontairement négligés

 Quels sont les enjeux ? Les deux rapports d’évaluation mentionnent une étude ancienne (et non réactualisée) de l’OMS chiffrant en France à 14 % de la mortalité les décès dus aux causes environnementales, soit 74 300. Toutefois, les estimations scientifiques portant sur des domaines si larges sont souvent imprécises : l’Inserm indique ainsi que les fourchettes d’estimation des cancers attribuables à l’environnement vont de 5 % selon le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer) à 19 % selon l’OMS. En fait, dès que l’on veut approfondir la question des enjeux, le recours à des études sectorielles s’impose : il est difficile de comparer les effets de la pollution de l’air (en Europe,  l’Agence européenne de l’environnement chiffre à 520 400 le nombre de décès prématurés qui lui seraient liés et, en France, une étude de Santé publique France évalue les victimes à 48 000) et les effets du bruit, qui se traduisent essentiellement par des coûts sociaux, élevés il est vrai, liés à l’impact sur certaines pathologies. Un plan global santé-environnement a-t-il du sens ?

Surtout, l’Etat, dans de nombreux cas, n’est pas au clair avec l’estimation scientifique des risques :  les deux rapports d’évaluation du PNSE peuvent bien citer l’étude incontestable de l’INSERM de 2013 selon laquelle il existe une association positive entre exposition professionnelle à des pesticides et certaines pathologies chez l’adulte (maladie de Parkinson, cancer de la prostate et certains cancers hématopoïétiques). Reste que le plan officiel Ecophyto qui entend réduire la consommation de produits phytosanitaires esquive la question du risque sanitaire : il ne contient pas de cible sur ce sujet. Sur la dangerosité des pesticides, y compris sur le chlordécone, les pouvoirs publics refusent de prendre parti entre les scientifiques qui soulignent les dangers des produits et les industriels qui les relativisent, ce qui affaiblit considérablement la portée des plans.

Cette volonté d’ignorer les risques est due aux intérêts économiques en jeu. Elle est renforcée par un partage de compétences politiques et administratives discutable. La France a traditionnellement une conception étroite de la santé : le ministère de la Santé ne s’occupe pas ou très peu de la qualité des produits alimentaires, des risques professionnels ou environnementaux. Sa priorité va aux soins, alors que la santé dépend d’un parcours de vie où l’environnement, la nutrition et les conditions de travail ont une importance décisive. Une conception plus globale (et plus juste) de la santé gagne peu à peu les discours mais, en pratique, la politique relative aux pesticides continue à relever de la compétence du ministère de l’agriculture (qui défend en premier lieu les agriculteurs) et la qualité de l’air du ministre en charge des transports, qui a peur d’édicter des mesures défavorables aux routiers. Sur les questions de santé, l’Etat boite.

Des erreurs de méthode trop fréquentes pour être innocentes

Dans le domaine de la santé publique, la France a, depuis la loi du 9 aout 2004, multiplié le recours à une planification sanitaire multiforme (plans cancer, plans contre les conduites à risques, plans santé au travail, plans autisme…). Au départ, les experts y ont vu, avec enthousiasme, la possibilité de donner à la politique de santé un nouvel élan et de réunir enfin, dans un même plan, des objectifs d’amélioration des soins et de développement de la prévention et de la recherche. Pour autant, nombre de ces plans ont dérivé et sont devenus, au moins pour une part, des plans de communication politique :  dès 2011 le rapport de la Cour des comptes sur la prévention soulignait qu’ils étaient de valeur inégale, parfois mal suivis, comportaient des objectifs trop nombreux, non hiérarchisés, non assortis d’une étude des moyens nécessaires. Elle proposait alors de « sélectionner quelques priorités et les mettre en œuvre dans le cadre d’un nombre restreint de plans structurés disposant de moyens financiers propres ».

Ces recommandations n’ont guère été suivies : outre le PNSE, il existe bien d’autres exemples de plans purement déclaratifs, comme le Plan national nutrition santé que, dans un rapport de juillet 2016, l’Inspection générale des affaires sociales critiquait vigoureusement, évoquant « l’inanité de la politique menée en ce domaine », qui n’impose de règles d’amélioration de la qualité des produits alimentaires ni aux industriels ni à la grande distribution. Il est loisible aussi de citer la stratégie nationale de santé de 2017, qui n’annonce sur des dizaines de pages que des objectifs généraux incontestables (développer la prévention, améliorer la qualité des soins, lutter contre les inégalités…), sans échéance et sans chiffrage des actions, renvoyant à d’hypothétiques plans et programmes à paraître. Le ministre ensuite se réfère à ce plan comme s’il avait agi…alors qu’il n’a fait que parler.

Un vide qui renvoie à l’absence de choix politiques

 Les plans nationaux ne sont pas creux ou insuffisamment précis par erreur : ils reflètent les indécisions de l’Etat sur la politique à mener. Le rapport d’évaluation du CGEDD évoque ce point : il reconnaît que l’Etat a du mal à faire appliquer une politique d’édiction de normes (c’est le cas s’agissant du bruit ou de la qualité de l’air) La norme n’est donc pas la panacée. Quant à mettre à la charge des industriels ou des consommateurs le coût des pollutions occasionnées, l’Etat hésite par crainte d’affecter la compétitivité de secteurs économiques essentiels. Il élabore des plans sans définir une politique, pour avoir au moins une réponse formelle à apporter : ainsi, dans le domaine de la qualité de l’air, il existe ainsi toute une cascade de plans, que l’OCDE[1] décrit comme « peu contraignants, sans échéancier précis », « mal articulés » et qui ne sont « pas systématiquement évalués ». Après le renvoi de la France devant la Cour européenne de justice pour non conformité aux indicateurs de qualité de l’air, un rapport parlementaire recommandait d’approfondir et de compléter les actions prévues (coût, étude d’impact), et surtout de les replacer, pour certaines, dans des politiques intégrées sur la mobilité, les déchets, le report modal. C’est bien là que le bât blesse : les plans ne bâtissent pas de politique cohérente mais énumèrent des actions multiformes sans logique structurée. Le dernier plan produit dans le domaine environnemental, la nouvelle Stratégie sur les perturbateurs endocriniens de janvier 2019, esquive là encore la construction d’une politique globale et cohérente, qui irait jusqu’au bout de ses choix : le texte contient des avancées (les pouvoirs publics veulent parvenir à une définition des perturbateurs endocriniens plus large que celle, trop restrictive, de la Commission européenne, et des actions de formation et de sensibilisation sont prévues). Pour autant, aucune décision n’est prise sur l’étiquetage des produits (il est mis à l’étude !) et aucune obligation n’est imposée aux industriels auxquels il est seulement demandé d’élaborer des substituts. A quoi sert une telle « stratégie » ?

Reste au final, dans ce tableau peu flatteur de l’action publique, un point positif : les experts parlent. Ils disent franchement l’inanité des plans, l’incapacité des pouvoirs publics à élaborer des stratégies rigoureuses et efficaces de protection de la population, la faiblesse des politiques publiques de santé. C’est une étape, encore confuse et incertaine, souvent méconnue toutefois de la population (qui lit les rapports du CGEDD ?) et parfois désespérante, puisque ce sont nos représentants démocratiquement élus qui manquent à leur rôle. Mais il faut bien en passer par là pour espérer un jour que les gouvernements se décident à agir.

Pergama, le 22 juillet 2019

 

[1] OCDE, « Examens environnementaux : France », 2016.