Dépendance : des études peu cohérentes

Barème des indemnités prudhommales: la validation surprise de la Cour de cassation
22 juillet 2019
Zéro artificialisation nette, c’est possible
28 juillet 2019

Dépendance : des études peu cohérentes

Quelles charges le vieillissement de la population va-t-il faire peser sur les générations actives de demain ? Il semble facile, sur le fondement de la dépendance constatée aujourd’hui chez les personnes âgées et des projections démographiques d’ensemble, de projeter le nombre de personnes âgées qui seront dépendantes à l’horizon 2030, 2040 ou 2050, en prenant diverses hypothèses sur l’évolution de l’espérance de vie en bonne santé.

Ainsi, l’on peut partir du nombre de personnes âgées bénéficiaires de l’APA, allocation personnalisée d’autonomie, en le complétant par le nombre de personnes de plus de 60 ans qui continuent à toucher des allocations versées pour handicap. Pour l’année 2015, l’on décompte ainsi 1,3 million de personnes âgées dépendantes. C’est sur ce fondement que la DREES, service d’étude des ministères sociaux, a réalisé des projections à horizon 2030, en tenant compte à la fois de l’augmentation démographique des tranches d’âge où la prévalence de la dépendance devient forte (la dépendance est corrélée à l’âge) et de l’évolution de la prévalence de la dépendance par tranches d’âge, qui a plutôt tendance à baisser, ce qui va dans le sens d’une réduction (toute relative) de la dépendance. Selon les scénarios choisis par la DREES, le nombre de personnes dépendantes augmenterait alors, d’ici 2030, de 200 000 à 410 000 personnes, après quoi la hausse s’accélèrerait. En retenant un scénario intermédiaire, le nombre total de personnes dépendantes passerait de 1 300 000 en 2015 à 1 582 000 en 2030 et 2 235 000 en 2050, soit une augmentation de 72 %. Ce sont les chiffres qui figurent aujourd’hui dans les données clefs sur le vieillissement publiées par le Ministère. Ce sont ces données qui ont servi de base aux calculs qui figurent dans le rapport Libault (« Grand âge, le temps d’agir », mars 2019) demandé par la ministre en charge des solidarités, rapport qui propose des mesures d’amélioration de la prise en charge de la dépendance à hauteur de 9 Mds de financement public supplémentaire à horizon 2030.

Or, parallèlement, l’exploitation par la DREES de l’enquête dite « Care » menée en face à face et appliquant plusieurs méthodes d’estimation de la dépendance conduit à des chiffres beaucoup plus ouverts, entre 0,4 et 1,4 millions de personnes dépendantes vivant en 2015 à domicile selon les indicateurs appliqués. Si l’on prend l’estimation la plus large et que l’on ajoute les personnes âgées vivant en établissement, le nombre de personnes âgées dépendantes serait, en 2015, un peu supérieur à 2 millions. L’écart entre les chiffres administratifs de bénéficiaires de l’APA et les chiffres de l’enquête Care est expliquée par le non recours à l’APA de personnes âgées insuffisamment informées de leurs droits et par une méthode différente de collecte, évaluation à domicile (pour l’APA) versus données déclaratives (pour CARE). Une autre enquête, dite Vie quotidienne et santé, réalisée en 2014, qui collationne les déclarations des personnes sur les difficultés concrètes qu’elles rencontrent dans leur vie quotidienne, va encore plus loin et chiffre à 1,95 million le nombre des personnes dépendantes à domicile (avec des degrés de dépendance variables) et à 2,5 millions l’ensemble des personnes dépendantes en intégrant les personnes âgées en établissement. Sur cette base, une étude de l’Insee (« 4 millions de seniors seraient en perte d’autonomie à horizon 2050 », Insee première, juillet 2019) projette un doublement de la dépendance en 2050. On aboutit donc à deux projections, l’une de 4 millions de dépendants en 2050, l’autre de 2,3 millions de dépendants au même horizon.

Le contraste entre les études désarçonne et les explications restant peu claires. Il existe certainement de fortes marges d’incertitude dans la manière d’estimer la dépendance, qui est inévitablement une notion conventionnelle. Pour autant, affirmer qu’en 2015 l’on peut décompter 1,3 million de personnes dépendantes (chiffrage APA) ou 2,5 millions (chiffrage Insee) et bâtir des projections 2050 nécessaires aux décideurs inévitablement contrastées (2,2 millions ou 4 millions), cela ne paraît pas sérieux. Il est difficile d’accepter que les statisticiens publient sereinement, sur une même réalité, des données aussi différentes, sans fournir des pistes pour expliquer les différences entre les divers dénombrements. Peut-être les données APA, qui ont le mérite de reposer sur l’évaluation globale d’une situation de dépendance à l’aide de multiples critères (ceux d’une grille dite AGGIR), sont-elles minorées parce que les équipes freinent les entrées pour des raisons financières. Le risque est alors que les besoins futurs soient eux-mêmes minorés. Peut-être aussi les données déclaratives, parce qu’elles classent comme dépendantes les personnes ayant au moins une limitation fonctionnelle, aboutissent-elles à une conception trop extensive de la dépendance, dès lors que l’aide dont a besoin la personne est utile sans être décisive. Le risque est alors de présenter des besoins futurs considérables. Mais un travail d’explication doit s’engager.